Design : Définitions, Analyse et Filières de l’enseignement

Design : Définitions, Analyse et Filières de l’enseignement

2. Design, Un objectif à définir

2.1- Définitions empruntées et mots clés

Il nous est apparu indispensable de débuter ce travail par une recherche de définitions, non exhaustive, mais qui ne soient pas rédigées exclusivement par des professionnels du design. Notre volonté dans cette démarche est de mettre en relief les mots clés, autrement dit les incontournables pour quiconque voudrait définir le design.

Partant du postulat que le design, à la fois discipline et pratique, ne se laisse pas aisément enfermer dans une définition universelle, et afin de débuter par une approche qui soit la plus objective possible, il nous semble justifié d’accorder la primauté à un ouvrage généraliste, le dictionnaire. Nous avons retenu la suivante :

«1. Discipline visant à une harmonisation de l’environnement humain, depuis la conception des objets usuels jusqu’à l’urbanisme»1

Sans aller plus loin, nous pouvons d’ores et déjà dire que où il est question de design, il est question d’harmonie, d’environnement, donc de l’homme et de cette notion vaste qu’est le concept. Par harmonie, il faut entendre le rapport heureux entre les parties d’un tout, et se révèle comme l’objectif du design.

La conception, soit l’action entreprise, est considérée comme l’élaboration de l’idée générale abstraite. Quant au champ, il semble déterminé par l’environnement de l’homme, c’est-à-dire tout ce qui l’entoure, du petit objet à la ville.

Notons pour l’instant l’absence des notions de fabrication, de production…

«2.  Ensemble d’éléments crées selon l’optique de cette discipline : vendre du design»2

Le point commun de l’ensemble de ces objets serait d’avoir été crées dans le respect d’un certain nombre de règles, d’objectifs.

On notera par ailleurs la présence du verbe créer, laissant entrevoir une relation avec l’acte créatif, nous y reviendrons…

«3. Adj. Inv.; d’un modernisme fonctionnel sur le plan esthétique : mobilier design»3

  • Le nom devient alors adjectif et qualifie toute chose selon les critères suivants :moderne : de l’ordre du technique, voire de l’avant-garde

    fonctionnel : soit relatif à l’usage

    esthétique : recherche du beau, nous débordons là du cadre de l’harmonisation.

1 Dictionnaire en cinq volumes, Paris, Larousse, 1994

2 Ibid.

3 Ibid.

Dans ce même dictionnaire, vient ensuite une rapide synthèse historique, que nous ne reprenons pas littéralement, mais d’où l’on peut extraire un certain nombre de mots que voici, que nous avons regroupés en sous- ensembles :

Werkbund – Bauhaus – styling – esthétique industrielle……..….l’histoire

structure – forme……………………………………………………..…….le concept

fabrication -vente……………………………………………………….…..l’objectif

synthèse…………………………………………………………..……..la compétence

impératifs industriels – besoins sociaux – production – consommation……………………………………….les contraintes

messages – codes conventionnels – système de communication……………………….la symbolique et le culturel

Cette définition permet de discerner la présence des différents champs avec lesquels le design doit composer, et nous les avons classés selon quatre catégories :

  •  l’artistique et le culturel
  •  l’industriel
  •  le technique
  •  l’économique

Pour compléter, voici quelques autres définitions, notamment celles de professionnels, qui introduisent ou appuient des éléments qui nous ont parus importants :

Gillo Dorflès1 :

«Le design doit être conçu comme objet reproductible industriellement, et non artisanalement, il est projeté pour être répliqué. Sa fonctionnalité incontournable est d’ordre pratique, utilitaire, économique, voire psychologique, oblige sans cesse le designer à jongler de la forme à la fonction.»

Nous retiendrons qu’il renvoie le design à la production industrielle comme condition exclusive de la légitimation de son existence.

Quant à l’Union Française des Designers Industriels, voici sa définition2 : «La profession de créateur industriel a pour vocation, après analyse technique, économique et esthétique, exhaustive, de créer les formes, matières, couleurs, structures permettant d’améliorer tous les aspects de l’environnement humain conditionnés par la production industrielle, qu’il s’agisse :

  •  de création (ou design) de produits,
  •  de création (ou design) graphique,
  •  de création d’environnement ou d’ambiance visuelle.»

1 Propos recueillis par J.C. Conesa et V. Lemarchands, Caravelles 2, Lyon, Totem,1991.

2 Cité dans l’ouvrage L’objet industriel en question, Paris, editions du Regard, 1985.

L’UFDI1 lance l’équivoque vocable de création. Le designer est un créateur (non un créatif, terme employé dans la publicité), sémantique propre au domaine de l’art.

Etymologiquement, le terme de créateur provient du grec poesis, qui désigne par métaphore, l’activité du poète ou de l’artiste qui, à l’image de Dieu, est capable de créer des formes.( l’artiste représentant de Dieu sur terre, du sacré, de l’absolu, voire le travail des paysagistes…)

Maldonado2 (designer, enseignait à l’école d’ULM) nous propose une définition qui n’est pas sans référence au courant de pensée structuraliste et aux théories développées par Levy Strauss :

«Le design est une activité créatrice qui consiste à déterminer les propriétés formelles des objets que l’on veut produire industriellement. Par propriétés formelles, on ne doit pas entendre seulement les caractères extérieurs, mais surtout les relations structurelles qui font d’un objet (ou d’un système d’objets) une unité cohérente.»

Jocelyn De Noblet3, (Directeur de la revue Culture Technique), utilise volontiers le terme de création industrielle, plutôt que celui de designer et intègre l’idée majeure de synthèse :

«La création industrielle est un processus de synthèse qui permet d’interconnecter la série de décisions nécessaires à la conception de tout produit nouveau technologiquement et formellement. Ce processus s’étend à tous les aspects de l’environnement humain qui sont conditionnés par la production industrielle.»

Cette notion de synthèse est également présente dans la définition historienne (de l’art), faite par Bernard. Ceysson, Conservateur au Musée d’Art Moderne de Saint Etienne4 :

«(…) caractérise une activité dont la vocation est la mise en forme des objets produits industriellement. Directement issue du débat qui, à la fin du XIXe siècle, se développe autour des questions liées à la démocratisation, à la synthèse des arts et à la possibilité maintenant offerte de produire mécaniquement et de manière sérielle les objets indispensables à notre vie quotidienne.»

1 Union Française des Designers Industriels.

2 Design, Culture Technique, n°5 spécial, Paris, 1981.

3 Design, le geste et le compas, Paris, Somory, 1988.

4 Extrait de la plaquette de présentation publiée à l’occasion de l’exposition design, naissance d’une collection, en Septembre 1995.

A partir de ces définitions, on peut donc dire que l’usage commun du terme implique une première conception de cette activité : le design est constitué, par l’ensemble des opérations dont l’effet serait de donner forme à des réalités objectives déjà déterminées par la finalité pratique. Il aurait à donner forme à des objets usuels ou d’ailleurs, à des gadgets, à des outils et des machines, voire à des édifices, à des topographies locales, à des ensembles urbains ou paysagers.

D’autre part, le design se définit bien en tant que création industrielle et stylistique, utilitaire et sociale. Il propose des solutions au conflit de l’utile et du beau (ou l’original) que la fabrication de masse installe dans notre vie quotidienne.

Le designer serait celui qui reçoit ou assume la tâche d’ajouter un surcroît de sens ou de beauté à la réalité fonctionnelle, une connotation qu’on dira formelle ou esthétique, d’ajouter à une instrumentalité ou à une utilité, quelque chose qui les mette en «valeur». Le design occupe une position charnière : réaliser des modèles destinés à servir à la fois l’intérêt du commerce et l’intégration de formes harmonieuses à nos espaces privés ou professionnels.

Au delà des caractéristiques liées à la technique et à l’industrie, certains designers, en particulier italiens, s’orientent vers des projets humanistes où le design sert de levier à la refondation d’un projet social, une pensée globalisante conçue comme la production d’objets à différentes échelles. Il s’agit alors de véritables laboratoires de réflexion, entre réalisme et réformisme.

Citons Andrea. Branzi 1 :

«Le designer est un inventeur de scénarios et stratégies. Ainsi, le projet doit s’exercer sur les territoires de l’imaginaire, créer de nouveaux récits, de nouvelles fictions, qui viendront augmenter l’épaisseur du réel.»

L’ensemble de ces définitions mettent à jour un certain nombre de «thèmes» récurants sur lesquels nous reviendrons tout au long de ce mémoire.

1 La casa calda, Paris, Editions de l’Equerre, 1985.

2.2- Analyse sémantique

Comme le démontrent ces définitions, l’expression reste un «fourre tout» imprécis qui n’a pas su s’intégrer totalement à la langue française.

Or, les mots signifient beaucoup plus qu’ils ne veulent le dire. Derrière le mot se cache souvent le problème. La langue française est sans doute la championne toutes catégories du genre. La limpidité n’est qu’apparente.

Si le mot, appliqué à la conception d’objets industriels apparaît en 1936 dans le Burlington Magazine (supplément de l’Oxford dictionary), en Grande Bretagne, en France c’est la notion d’esthétique industrielle qui sert d’abord de référence (le «styling.»), et c’est sous les effets de l’euphorie consumériste qu’au début des années 60, elle est remplacée par le «style design», appliquée principalement à l’objet meublant.

Dans les années 70, lorsque le mot «environnement» fait son apparition, il n’est que le révélateur du problème. En diluant le design dans l’environnement, on ruine pour des années la prise de conscience du problème industriel et la réalité économique qui s’y attachent.

Il faut attendre le début des années 80 pour qu’environnement vieillisse et que le terme design apparaisse sous de nouveaux atours. Il fait alors une percée en force au sein du vocabulaire quotidien français, mais avec 2 acceptions :

  • * en matière de production d’objets usuels, le design correspond à ce que l’on appelle l’esthétique industrielle, notion mise en évidence par Raymond. Loewy1
  • * dans le domaine de l’ameublement et de la vie quotidienne, le design englobe les définitions de l’ensemblier (formes des meubles, impression de tissus, luminaires etc…, autant que l’agencement harmonieux de l’ensemble).

La mentalité française ne parvient toujours pas à chasser les doux mots de décorateur, ensemblier…

Que signifie le mot «design» ?

Du point de vue de la sémantique, dans le mot anglais, comme dans le mot italien «designo», on trouve à la fois DESSIN et DESSEIN, soit un double sens. Le dessin renvoie au graphisme (à la forme, au modèle), le dessein à la projection consciente d’un objectif, d’une intention (programmer, planifier). Mais le mot «design», nous confronte aussi à l’adjectif désigné, c’est-à-dire à l’objet comme signe…

1 La laideur se vend mal, Paris, Gallimard, 1953.

Dans la revue La Banque des mots1, on trouve l’analyse de l’enquête menée par le Conseil International de la langue française dans les années 70, auprès des téléspectateurs de l’émission «Télémagazine», qui fait ressortir 360 propositions de remplacement ! En 1983, le Journal Officiel publie une liste de termes mis au ban parmi lesquels figurent bien entendu «design» remplacé par «stylique» et «designer» par «stylicien». L’histoire nous a montré la faillite de ces termes.

Cette indétermination sémantique du mot design en France semble installé durablement, et n’est pas sans effets sur le champ du design, notamment celui de l’enseignement.

1 Cité par Françoise Jollant Kneebone, dans le texte «Les aventures des décennies», extrait du catalogue de l’exposition : design français, trois décennies, APCI-Centre G. Pompidou, 1974.

2.3- les filières de l’enseignement

La valse hésitation du dit «design» au travers des filières de l’enseignement font clairement ressortir les ambiguïtés identitaires, le balancement constant entre le monde artistique et celui de la technique.

Pressée de mettre fin à l’hégémonie italienne en matière de design et de dynamiser une industrie timorée, la France crée dans les années 70 un enseignement du design dans les écoles d’architecture, les écoles des Beaux-Arts, et Arts Appliqués et les filières universitaires formant des ingénieurs. Dans les années 8O, ce dispositif est complété par d’autres structures, tel que l’ENSCI (Ecole Nationale Supérieur de Création Industrielle) et l’ESDI (Ecole Supérieurs de Design Industrielle).

On peut penser que cet éclatement de l’enseignement sous-entend plusieurs constations :

  • * une approche peut-être trop superficielle des contenus, un enseignement «culture générale»
  • * une absence de communication interne entre les différents départements
  • * une absence de communication externe, les écoles ayant tendance à s’ignorer mutuellement, tant localement qu’internationalement
  • * une absence d’ouverture sur l’université, milieu privilégié de la réflexion

Pressée de mettre fin à l’hégémonie italienne en matière de design et de dynamiser une industrie timorée, la France n’a peut-être cependant pas pris le temps de redéfinir, sinon de traduire un anglicisme que l’on comprend mal.

Cette politique peu ouverte des établissements donne au phénomène de multiplicité des lieux d’enseignement, des effets de dispersion et d’isolement. Pourtant, la multiplicité n’est- elle pas souhaitable ?

2.4- Une profession aux étiquettes multiples

Compte-tenu de cette diversité de l’enseignement, et de cette indétermination sémantique, les professionnels eux-mêmes ont des difficultés à définir leur identité.

Le designer ne revendique que très peu cette étiquette. Il s’identifie plutôt à la formation qu’il a reçue :

  • * ceux qui se reconnaissent comme designers dits «problématiciens» ont une double formation en général : artistique et ingénieur; opèrent dans les domaines de la création industrielle.
  • * certains se disent créateurs, ils ont eu une formation à l’école des Arts Décoratifs, école des Beaux-Arts, école Camondo, Boulle…Ils se sentent artistes, et sont plutôt orientés vers le mobilier.
  • * ceux qui ont une formation d’architecte et se définissent comme tels; conception d’objets à petite et grande échelle.
  • * ceux qui sont à la tête d’agence ayant le label «design et communication» ou «design management»; stratégies proches de l’agence de publicité.
  • * ceux qui se définissent comme architectes d’intérieurs, décorateurs, voir intérioristes, dont les conceptions vont d’un espace donné (différence avec les architectes), au choix du tissu qui recouvrira un siège.

Ces diverses approches nous font entrevoir l’indétermination du champ du design. Celui-ci apparaît comme une mosaïque de fausses différences. En effet, on s’aperçoit que les multiples filières d’enseignement dont se réclament les designers entraînent une identification par défaut. La diversité n’est qu’un facteur de différence puisque les secteurs d’activités se recoupent, quelles que soient les formations.

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