Analyse des licences Creative Commons

B. Analyse des licences Creative Commons

Nous allons tenter, ici, de faire une analyse juridique des licences élaborées par Creative Commons. Le projet a démarré en 2001 sous l’impulsion de l’universitaire américain Lawrence Lessig, c’est pourquoi les textes régissant ces licences ont d’abord été rédigés en anglais, en se référant à la loi américaine sur le copyright. Par la suite, des équipes de juristes volontaires se sont consacrées à leur traduction et adaptation dans leur langue et à leur législation nationale.

En France, le Centre d’Etude et de Recherche de Science Administrative (CERSA), rattaché à l’Université Panthéon Assas Paris 2 et au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) est l’institution affiliée à Creative Commons. « Au lieu de soumettre tout acte ne relevant pas des exceptions légales à l’autorisation préalable des titulaires de droits exclusifs, les licences Creative Commons permettent d’autoriser à l’avance le public à effectuer certaines utilisations selon les conditions exprimées par l’auteur », peut-on lire sur le site français des Creative Commons.

Plusieurs artistes se sont déjà laissés convaincre par ces nouveaux contrats. Ainsi, un groupe d’artistes parmi lesquels le Brésilien Gilberto Gil (également ministre de la Culture de son pays), le groupe de rap américain Beastie Boys ou encore l’ex-leader des Talking Heads David Byrne, ont créé une compilation, diffusée avec le numéro de novembre du mensuel américain Wired, sur laquelle les morceaux sont tous placés sous licence Creative Commons.

En France, la radio Web d’Arte, Arteradio.com, a également adopté la licence Creative Commons. Tous les reportages et créations sonores du site sont librement téléchargeables et diffusables pour une utilisation non commerciale. Arteradio.com reste propriétaire des droits, mais favorise une diffusion de ses contenus en dehors de la sphère commerciale.

L’internaute a la liberté de télécharger une banque de données comprenant plus de 460 fichiers MP3. Il peut les échanger sur des réseaux de peer to peer, les copier librement. Les reportages d’Arte radio peuvent aussi être librement rediffusés à condition de mentionner le réalisateur et la source.

C’est une forme de protection juridique, basée sur un contrat accepté par l’internaute qui télécharge l’œuvre. Contrairement à une œuvre protégée techniquement, un niveau de confiance est accordé à l’internaute qui télécharge. Il n’est plus possible de qualifier l’internaute de consommateur puisque ces œuvres sont téléchargées gratuitement. Et à la différence des œuvres distribuées par les maisons de disques, celles-ci sont bien souvent autos produites par les artistes eux-mêmes. Cette alternative évite le dépôt de l’œuvre à la SACEM par exemple.

Les contrats Creative Commons se présentent sous 3 formes. Un contrat pour les juristes, un résumé explicatif pour que les conditions d’utilisation, en lien dans le logo CC « Certains droits réservés » apposé près de l’œuvre, apparaissent clairement aux utilisateurs et des méta données pour la recherche automatique en ligne. En août 2005, plus de 53 millions de pages Web étaient placées sous licence Creative Commons.

Ces contrats d’accès ouvert peuvent être utilisés pour tout type de création : texte, film, photo, musique, site Web. Nous nous intéresserons particulièrement à leur application aux œuvres musicales. A ce titre, le site Creative Commons France1 permet de répondre à plusieurs interrogations.

1 http://fr.creativecommons.org/FAQjuridiques.htm

Avant tout, il faut s’interroger sur la qualification juridique de ces licences. Les documents Creative Commons sont des contrats-type qui permettent à l’auteur de communiquer au public les conditions d’utilisation de son œuvre.

Ce sont des offres selon la définition suivante : la « manifestation de volonté par laquelle une personne propose à une ou plusieurs autres, déterminées ou indéterminées, la conclusion d’un contrat à certaines conditions1 ».

Ces offres semblent pouvoir être qualifiées de contrats à exécution successive et de concession de droit d’usage. Creative Commons les fournit à titre d’information gratuitement et il est bien précisé qu’elles « n’impliquent aucun transfert des droits de propriété intellectuelle2 ». Il ne s’agit donc clairement pas de vente ou de cession.

Creative Commons propose 6 contrats différents, comprenant chacun certaines options. Une condition commune, l’option paternité est devenue obligatoire à partir de la version 2.0. Il n’est donc plus possible de renoncer au droit à la paternité, ce qui est en adéquation avec l’article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que « l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre.

Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible ». Rendre cette option obligatoire était une nécessité au regard du droit français.

Il est toujours autorisé, dans les contrats proposés par Creative Commons, de reproduire, distribuer et communiquer gratuitement l’œuvre au public, à titre non commercial, y compris dans les œuvres dites collectives et sur les réseaux de peer to peer. Ensuite, trois options peuvent se cumuler : l’option « Pas de Modification », l’option « Pas d’utilisation commerciale » et l’option « Partage des conditions initiales à l’identique ».

Il convient de se référer su site de Creative Commons pour comprendre le cumul de ces options3. Notons que chacune des conditions optionnelles peut être levée après l’autorisation du titulaire des droits.

Sur le site Dogmazic, deux licences sont principalement utilisées, la licence Creative Commons – by-nc-sa 2.0, et la licence Creative Commons – by-nc-nd 2.0. Ces deux licences prévoient la paternité de l’œuvre, obligatoire, et l’absence d’utilisation commerciale. Ensuite, la première licence autorise la modification de l’œuvre et donc la réutilisation dans les mêmes conditions, tandis que la seconde interdit toute modification.

Ces deux contrats ne sont donc pas des licences libres mais des licences de libre diffusion, qui semble plus appropriées aux usages de l’internet en terme de diffusion des œuvres musicales.

La question s’est posée récemment, dans les débats qui ont précédés l’arrivée de la licence Creative Commons version 3.0, de savoir si les DRMS étaient compatibles avec ces licences.

En d’autres termes, une protection technique peut-elle s’ajouter à la protection contractuelle ? Le risque est réel de voir un intermédiaire récupérer une œuvre sous licence Creative Commons puis la verrouiller avec un format spécifique.

Afin de prévenir ces atteintes, les termes de la licence, quelques soient les option choisies, prévoit l’interdiction d’utiliser des mesures techniques. La version 3.0 de la licence, qui n’a pas encore été traduite en France, maintien cette interdiction. Le souhait reste donc fort de ne pas mélanger les deux formes de protection.

La version 3.0 de la licence Creative Commons modifie essentiellement les points suivants. Il existe désormais une version générique, qui se veut trans-juridictionnelle, alors que la précédente se basait sur le droit américain.

Il a également été tenté d’harmoniser les licences au regard des droits moraux et des sociétés de gestion collective. De plus, la paternité des œuvres est renforcée, notamment par l’interdiction de faire croire qu’un auteur est d’accord avec l’exploitation de son œuvre, lorsqu’il n’a pas donné spécifiquement son consentement.

L’exploitation reste possible au regard de la licence, mais elle ne doit pas apparaître comme émanant de l’auteur lui-même. Enfin, la compatibilité (voire l’interopérabilité) avec les autres

licences libres peut désormais être spécifiée, notamment à l’égard des licences Art Libre.

1 Dir. Gérard Cornu, Vocabulaire Juridique Association Henri Capitant, PUF Quadrige 4ème éd. 2003.

2 Christophe Caron, Les licences de logiciels dites « libres » à l’épreuve du droit d’auteur français, Dalloz 2003, n° 23, p. 1556

3 http://fr.creativecommons.org/contrats.htm

Ajoutons, pour conclure, que de nouveaux modèles économiques, basés sur les licences Creative Commons, pourraient bien voir le jour. La fondation Creative Commons annonçait en décembre 2006, qu’elle avait signé un accord avec Pump Audio1, un service en ligne qui propose aux musiciens indépendants de vendre des licences pour les publicités, la télévision, le cinéma ou certaines exploitations en ligne.

Creative Commons proposera aux artistes d’utiliser les services de Pump Audio, et réciproquement Pump Audio proposera à ses artistes de choisir une licence Creative Commons pour distribuer leurs œuvres.

1 http://www.pumpaudio.com/

Les modèles des licences libres semblent être une alternative intéressante pour la diffusion en ligne des œuvres musicales. Pourtant, certains points restent flous, et pourraient se trouver en contradiction avec le droit français. Ce type de protection garantit-elle suffisamment les droits des artistes ?

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Diffusion en ligne des œuvres musicales : protection technique ou contractuelle ?
Université 🏫: Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne
Auteur·trice·s 🎓:
Simon BRIAND

Simon BRIAND
Année de soutenance 📅: Master 2 Droit de l’internet - 2006 – 2007
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