Les experts et les risques sanitaires du champ électromagnétique

Les acteurs concernés par la question des risques sanitaires des champs électromagnétiques – Chapitre 2 :
Nous allons donc identifier les différents acteurs concernés par la question des effets sanitaires liés à l’exposition aux champs électromagnétiques. Pour faciliter l’analyse, nous les présentons sous forme de catégories d’acteurs, mais les frontières ne sont pas si tranchées, un acteur pouvant appartenir à différentes catégories. Par exemple, un expert peut être à la fois membre fondateur d’une association, exercer une activité professionnelle scientifique et être membre du Parlement européen ou élu local. Il en est ainsi de Michèle
Rivasi, qui est à la fois fondatrice du Criirem88 et députée européenne. D’autre part, les différents groupes d’acteurs ne se présentent pas comme des entités statiques, mais mettent en jeu des stratégies se traduisant par des processus dynamiques. Pour chacune des catégories, nous chercherons à analyser les stratégies mises en œuvre par les différents acteurs afin d’identifier les relations qui s’instaurent entre eux et leur impact dans la publicisation de la question des risques sanitaires liés aux champs électromagnétiques.
1. Les experts
Dans cette partie, nous analyserons les rivalités et les alliances qui se créent entre les experts eux-mêmes mais aussi avec d’autres acteurs. Nous chercherons ainsi à mettre en évidence les enjeux communicationnels sous-tendus par ces relations et à comprendre leur apport dans la mise en débat de la question de l’hypersensibilité électromagnétique.
La notion d’« expert » est une notion largement mobilisée par les pouvoirs publics pour désigner la mise en œuvre de savoirs scientifiques dans le processus de décision politique. Cette pratique repose sur le principe selon lequel les décisions acquerraient une légitimité lorsqu’elles sont produites à partir d’une expertise réalisée par des spécialistes. Comme nous l’avons vu précédemment, l’émergence de dangers échappant au processus de « mise en risque », notamment dans le domaine de la santé et de l’environnement, suscite des situations de crise et le développement de controverses. Néanmoins, le recours à l’expertise reste une pratique courante pour traiter la question du danger des champs électromagnétiques. Or, cette démarche s’avère problématique pour de multiples raisons. Tout d’abord, le renvoi constant à des éléments scientifiques pour évaluer les risques des champs électromagnétiques rend difficile la compréhension de ce dossier (y compris par les politiques) et, par conséquent, rend difficile la participation aux débats qu’il suscite. La gestion technique du dossier semble ainsi primer sur une dimension plus sociale. Par ailleurs, l’importance accordée à l’expertise scientifique confère à la science un caractère positiviste, suggérant que la connaissance relève principalement de la science et non pas d’autres savoirs comme ceux acquis par l’expérience. Aussi, nous le verrons dans le paragraphe suivant, les acteurs de la société civile acquièrent-ils un « professionnalisme » qui leur permet d’intervenir dans le dossier en proposant des informations et des expertises alternatives. Notons également que l’expertise peut être mise en avant pour cautionner des décisions qui sont en réalité orientées par des aspects économiques ou politiques. A cet égard, nous verrons que les associations ou collectifs engagés dans la lutte contre la pollution électromagnétique dénoncent les conflits d’intérêt de certaines agences sanitaires. Enfin, le recours à l’expertise officielle peut poser question quant à la rétention d’information. Ce problème est bien illustré par l’exemple du nuage de Tchernobyl au sujet duquel les experts avaient soutenu qu’il s’était arrêté aux frontières de la France. Ces différents éléments, en remettant en cause la légitimité de l’expertise traditionnelle, interrogent les rapports entre science, politique et société. Cependant, si les connaissances scientifiques restent nécessaires pour l’évaluation des risques, leur recours présente d’importants enjeux démocratiques qui mettent en évidence la nécessité de faire appel à d’autres règles pour encadrer les dossiers. Aussi, les expertises « indépendantes » ont-elles un rôle à jouer dans un renouvellement de la manière de gérer les dossiers.

88 Centre de Recherche et d’Information Indépendant sur les Rayonnements ElectroMagnétiques non ionisants.

Pour la suite de notre réflexion, nous appellerons « experts » les spécialistes ou scientifiques auxquels s’adressent les pouvoirs publics pour les aider à gérer un dossier qui demande des connaissances spécifiques. Par ailleurs, nous utiliserons le terme de « contre- experts » pour désigner les individus qui produisent des connaissances, des savoirs et des savoir-faire, mais qui ne sont pas spécialement sollicités par les autorités. Cela signifie qu’un scientifique peut être un expert ou un contre-expert, il peut également être expert à un moment donné, puis devenir un contre-expert à un autre moment. Il peut aussi être « tout simplement » un scientifique, c’est-à-dire un professionnel n’intervenant pas dans le débat public. Dans le cas du dossier des risques sanitaires liés aux champs électromagnétiques, les autorités sanitaires font appel aux experts pour leur demander, la plupart du temps, un état de l’art des études disponibles. Les experts auxquels font référence les pouvoirs publics à propos de la question des effets sanitaires des champs électromagnétiques ne sont donc pas les chercheurs eux-mêmes, c’est-à-dire ceux qui produisent au sein de la communauté scientifique des connaissances sur le sujet, mais des spécialistes ayant pour mission d’analyser les différents travaux et de donner un avis sur la question. A cet égard, nous verrons que certains rapports d’expertise sont contestés. Mais avant cela, il nous faut distinguer différents niveaux de conflits générés par la question liée à la nocivité des champs électromagnétiques.
Dans le langage courant, nous utilisons une diversité de termes pour désigner une forme de désaccord intellectuel, il peut être question d’affaires, de polémiques, de querelles, de disputes, de controverses, etc. Il est donc important de définir le sens que nous donnerons au mot controverse. En nous inspirant des études sociologiques sur les controverses et notamment des études des Science studies89, nous proposons de distinguer trois sortes de controverses:
1.1. Les controverses scientifiques proprement dites, c’est-à-dire les querelles qui ont lieu au sein de la communauté scientifique et qui portent spécifiquement sur des connaissances scientifiques. La controverse scientifique se caractérise alors « par la division persistante et publique de plusieurs membres d’une communauté scientifique, coalisés ou non, qui soutiennent des arguments contradictoires dans l’interprétation d’un phénomène donné90. » L’analyse des controverses scientifiques s’est constituée avec les travaux des anglo-saxons David Bloor et Harry Collins, principaux représentants de la première génération du courant des Science studies des années 7091. Pour les champs électromagnétiques, les controverses au sein de la communauté scientifique deviennent importantes au début des années 90. Ces controverses sont vives entre les scientifiques estimant qu’aucune preuve de danger n’a été établie, et ceux considérant en revanche que les soupçons sont suffisamment graves pour nécessiter des actions92;

89 Pestre Dominique, Introduction aux Science Studies, La découverte, Coll. Repères, Paris, 2006.
90 Raynaud Dominique, Sociologie des controverses scientifiques, Presses Universitaires de France, Paris, 2003, p. 8.
91 Pestre Dominique, Introduction aux Science Studies, op. cit., pp. 26-31.
92 Borraz Olivier, Devigne Michel, Salomon Danielle, Controverses et mobilisations autour des antennes relais de téléphonie mobile, Rapport de recherche, Centre de Sociologie des Organisations, 2004, p. 21.

1.2. Les controverses socio-techniques sont des controverses qui recouvrent un spectre plus large que les controverses scientifiques proprement dites. Ce sont les controverses pour lesquelles les incertitudes scientifiques et techniques se combinent avec des incertitudes sociales. Les querelles débordent alors des seules questions techniques et scientifiques; la frontière entre ce qui est technique et ce qui est social est remise en cause avec la rentrée de nouveaux acteurs dans le débat public93. Bruno Latour et Michel Callon, représentants des Science studies en France, ont initié l’analyse des controverses socio-techniques à partir des années 80 (94). Avant de faire l’objet d’une controverse socio-technique, le dossier des risques sanitaires liés aux champs électromagnétiques était réservé aux seuls spécialistes. En effet, les premières recherches sur les effets biologiques des champs électromagnétiques sont menées dès les années 60 et portent sur les champs micro-ondes95. Puis, fin des années 70, deux chercheurs américains (N. Wertheimer et E. Leeper) s’intéressent aux extrêmes basses fréquences et plus particulièrement aux risques accrus de leucémie chez les jeunes enfants habitant à proximité de lignes à haute tension96. De très nombreuses études sur les effets sanitaires des champs électromagnétiques sont alors engagées et cette question se transforme, vingt ans plus tard, avec l’apparition d’acteurs multiples (riverains d’antenne-relais, élus, contre-experts, assureurs, etc.) en un problème social et politique;
1.3. Les querelles qui recouvrent un spectre encore plus large que les catégories précédentes, où il est question des disputes, des affaires de la vie courante, comme les disputes au sein d’une entreprise ou d’une administration. Les travaux des sociologues Luc Boltanski et Laurent Thévenot portent sur ces formes de querelles. Concernant l’hypersensibilité électromagnétique, il existe vraisemblablement des querelles de cette sorte, mais nous ne les aborderons pas car elles n’émergent pas dans la sphère publique.
Dans le cadre de notre analyse, nous nous intéresserons donc principalement aux deux premières catégories de controverses.

93 Callon Michel, Lascoumes Pierre, Barthe Yannick, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Seuil, Paris, 2001, p. 45.
94 Pestre Dominique, Introduction aux Science Studies, op. cit., pp. 43-48.
95 Vallée Philippe, Etude de l’effet de champs électromagnétiques basse fréquence sur les propriétés physico- chimiques de l’eau, Thèse de Doctorat de l’Université Pierre et Marie Curie, 2004, p. 9.
96 Ibid., p. 10.

Les controverses proprement scientifiques
Dans le cas des controverses proprement scientifiques, les recherches sur les risques sanitaires des champs électromagnétiques ne sont pas stabilisées, les divers travaux aboutissant actuellement à des conclusions ne faisant pas l’unanimité. Selon l’OMS, les études épidémiologiques peuvent donner lieu à des distorsions, et « la validité d’une extrapolation à l’homme des études réalisées chez l’animal est souvent discutable97. » L’existence d’une controverse scientifique nous conduit à examiner les rivalités et les alliances présentes entre les scientifiques eux-mêmes et avec les autres acteurs (médias, politiques, associations, contre-experts…) dans le but de caractériser les divers acteurs scientifiques et de repérer l’apport de chacun dans la publicisation des risques pour la santé des champs électromagnétiques. Dans cette perspective, plusieurs points se dégagent:
– Le financement des recherches peut poser question quant à la publicisation des résultats. Autrement dit, nous pouvons nous interroger sur la capacité des scientifiques à tirer une alarme sans être inquiétés par les institutions dont ils dépendent. Nous reviendrons plus largement sur ce point lorsque nous aborderons les enjeux sous-tendus par la question sanitaire des champs électromagnétiques;
– Il peut exister également des conflits d’intérêt entre experts et opérateurs. Il en est ainsi par exemple de Bernard Veyret, faisant partie de nombreux comités d’experts (AFSSET, ICNIRP98, OPECST99…) alors même qu’il est membre du conseil scientifique de Bouygues Telecom100. A cet égard, cette collusion de certains experts avec l’industrie de la téléphonie mobile a été mise en évidence par le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale de l’environnement (IGE)101 qui, en 2005, a évalué les méthodes de travail scientifique de l’AFSSET;

97 OMS, Instauration d’un dialogue sur les risques dus aux champs électromagnétiques, Bibliothèque de l’OMS, Genève, 2004, pp. 35-36.
98 Pour rappel, l’ICNIRP détermine les normes d’exposition aux champs électromagnétiques.
99 Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
100 Perez Martine, « Antennes-relais: pas de risque selon des scientifiques », in Le Figaro, 27/10/2010.
101 Patriarca Eliane, « Des rapports sur le mobile embrouillés », in Libération.fr, 13/09/2006, article en ligne, http://www.liberation.fr/terre/010160233-des-rapports-sur-le-mobile-embrouilles, [consulté le 12/03/2011].

– Un scientifique peut à un moment donné endossé le rôle de « lanceur d’alerte102 ».
C’est le cas par exemple du Pr. George Carlo qui, après avoir longtemps affirmé l’absence d’effets sanitaires des portables, annonce au Washington Post en 1999 l’existence d’un lien entre l’usage du téléphone portable et le développement de tumeurs du cerveau103. Il prend alors la figure du lanceur d’alerte. L’alerte est définie par Francis Chateauraynaud et Didier Torny comme « un processus plus ou moins long et tortueux, situé entre deux figures limites: l’appel au secours (alerte- toute-en-urgence) et la prophétie du malheur (mêlant de multiples éléments hétérogènes et visant un futur déterminé). Une alerte peut être immédiatement prise au sérieux, mise en attente, rejetée, dénoncée, ou peut susciter une controverse d’experts104. » En l’espèce, l’annonce de G. Carlo vient renforcer l’alerte de Roger Santini105 qui, à la fin des années 70, fait partie des premiers scientifiques français à attirer l’attention sur les conséquences sanitaires des champs électromagnétiques, en interpellant notamment les parlementaires européens106;
– Une alerte, lorsqu’elle est relayée par la presse et la télévision, peut connaître une large médiatisation. Il en a été ainsi de l’alerte de G. Carlo, dont l’information a été reprise par des médias américains et étrangers, et en l’occurrence en France par Envoyé Spécial107. Cette médiatisation peut obliger notamment les pouvoirs publics à se positionner. Ce faisant, la question sanitaire des effets des champs électromagnétiques peut bénéficier d’une plus grande publicisation dans l’espace public;
– Les scientifiques, en diffusant leurs idées, ont la capacité d’élargir leur audience.
C’est le cas de G. Carlo qui publie en juillet 2000 ses résultats et ses analyses sur Medscape, un portail en ligne d’information médical américain destiné aux professionnels. Ces données ainsi qu’une interview de G. Carlo sont publiées par Sciences et Avenir108 en septembre 2000. Le médecin est également invité en juin 2000 au colloque « Téléphones portables, un danger pour la santé ? » à l’Assemblée nationale. De même, R. Santini a largement diffusé ses idées en publiant de nombreux ouvrages à destination d’un large public109;

102 Nous empruntons l’expression « lanceur d’alerte » à Chateauraynaud Francis et Torny Didier, Les sombres précurseurs. Une sociologie pragmatique de l’alerte et du risque, Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 1999.
103 Borraz Olivier, Devigne Michel, Salomon Danielle, Controverses et mobilisations autour des antennes relais de téléphonie mobile, op. cit., p. 20.
104 Chateauraynaud Francis, Torny Didier, Les sombres précurseurs. Une sociologie pragmatique de l’alerte et du risque, Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 1999, p. 14.
105 Décédé en 2006, Roger Santini était Docteur d’Etat ès sciences et enseignant chercheur au laboratoire de biochimie-pharmacologie de l’Institut National des Sciences Appliquées de Lyon (INSA).
106 Borraz Olivier, Devigne Michel, Salomon Danielle, Controverses et mobilisations autour des antennes relais de téléphonie mobile, op. cit., p. 83.
107 Galzi Olivier, Jasselin Philippe, Kenyon Paul et Higginson Neil, « Les risques du portable », in Envoyé Spécial, France 2, 21/10/1999.

– Des réseaux peuvent se créer, permettant aux différents acteurs d’établir et d’entretenir des liens entre eux. Il en est ainsi d’un réseau comprenant principalement des personnalités belges et jouant un rôle important en France dans la structuration de l’alerte par rapport aux champs électromagnétiques110. Ce réseau est animé notamment par Paul Lannoye111, par Benoît Louppe112, par Jean-Marie Danze113 et par l’éditeur Marco Piétteur114. Des relations peuvent ainsi se tisser entre scientifiques, députés, éditeurs et, ce faisant, renforcer le débats sur la question des champs électromagnétiques. C’est le cas de ce réseau, puisqu’en 1994, P. Lannoye a participé activement au sein du Parlement européen à l’adoption d’une résolution « sur la lutte contre les nuisances provoquées par les rayonnements non ionisants », dans le but de lutter contre la multiplication des sources de rayonnement dans l’environnement provenant des lignes à haute tension, des appareils électroménagers et des écrans de visualisation115. Le Comité Scientifique sur les Champs ElectroMagnétiques (CSIF-CEM) joue également un rôle important dans la diffusion d’idées alternatives. Il a été fondé par Richard Gautier116, Daniel Oberhausen117, Pierre Le Ruz118 et Roger Santini, lesquels ont écrit en 2004 un livre intitulé Votre GSM, votre santé: On vous ment !119

108 Gaullier Vincent, « Antennes relais de téléphones mobiles et rayonnements magnétiques : 100 000 Français très exposés », in Sciences et Avenir, n° 643, septembre 2000, pp. 68-74.
109 Roger Santini a écrit notamment: Notre santé face aux champs électriques et magnétiques. Des faits scientifiques aux conseils pratiques (1995); Guide pratique européen des pollutions électromagnétiques de l’environnement (1996); Téléphones cellulaires. Danger ? (1998).
110 Borraz Olivier, Devigne Michel, Salomon Danielle, Controverses et mobilisations autour des antennes relais de téléphonie mobile, op. cit., p. 83.
111 Docteur en Sciences de l’université libre de Bruxelles et député européen jusqu’en 2001.
112 Conseiller en environnement.
113 Consultant en Biophysique.
114 L’éditeur Marco Piétteur publie des ouvrages de lanceurs d’alerte.
115 Borraz Olivier, Devigne Michel, Salomon Danielle, Controverses et mobilisations autour des antennes relais de téléphonie mobile, op. cit., p. 22.
116 Biologiste et Dr en pharmacie.
117 Agrégé de Physique.
118 Biophysicien, Expert devant les tribunaux.
119 Gautier Richard, Le Ruz Pierre, Oberhausen Daniel, Santini Roger, Votre GSM, votre santé: on vous ment !, Marco Pietteur, Embourg, 2004.

– Certains scientifiques créent des associations, celles-ci permettant ainsi de donner une plus grande portée à leurs travaux et de s’allier avec des acteurs de la société civile. Il en est ainsi de Pierre Le Ruz ou de Roger Santini qui ont fondé le Criirem. Roger Santini a également créé l’association Next-up organisation;
– Certains scientifiques peuvent, en outre, être à l’initiative de programme de recherches indépendantes. C’est le cas de Pierre Le Ruz et Dominique Belpomme120 qui ont fondé l’Alliance Scientifique pour le Traitement et la Reconnaissance des malades Electrosensibles (ASTRE), ou encore de l’Association pour la Recherche Thérapeutique Anti-Cancéreuse121 (ARTAC), association indépendante qui réunit cancérologues, malades et représentants de la société civile. L’ARTAC a mis au point un protocole d’étude pour approfondir les recherches sur les effets des champs électromagnétiques et sur l’hypersensibilité électromagnétique. Elle a également mis en place une consultation de médecine environnementale où sont pris en charge les malades souffrant d’hypersensibilité électromagnétique. D. Belpomme, qui préside l’association, a pu ainsi établir, à partir de dossiers médicaux, une description du syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques (SICEM)122.
Les controverses socio-techniques
Les controverses socio-techniques, nous avons vu, débordent de la seule communauté scientifique avec l’arrivée de nouveaux acteurs qui interagissent dans le débat. Dans le cas des risques liés à l’exposition aux champs électromagnétiques, nous pouvons identifier plusieurs acteurs qui prennent part à la controverse socio-technique en s’intéressant aux aspects scientifiques:
– Les associations et les collectifs qui dénoncent notamment:
o Le manque d’indépendance de certaines agences ayant pour mission de rendre une expertise sur les dangers des champs électromagnétiques. Il en est ainsi des associations Priartem et Agir pour l’environnement qui ont dénoncé l’absence d’indépendance d’experts de l’AFSSET. Ainsi l’agence a-t-elle fait l’objet d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale de l’environnement qui a montré la collusion de certains experts de l’AFSSET avec des opérateurs123;

120 Médecin et professeur de cancérologie au Centre Hospitalier Universitaire Necker-Enfants malades.
121 ARTAC mène notamment des recherches sur l’identification des causes environnementales à l’origine des cancers, http://www.artac.info/, [consulté le 12/03/2011].
122 Maussion Catherine, « Antennes relais, le dialogue de sourds », in Libération.fr, 23/04/2009.

o Le fait que les rapports des experts privilégient les études de scientifiques tendant à montrer l’absence de risques sanitaires liés à l’exposition aux champs électromagnétiques. A cet égard, la plupart des acteurs de la société civile mettent en avant le rapport BioInitiative124 dont les résultats, selon eux, prouvent la dangerosité des champs électromagnétiques.
– Les juges:
Les divergences scientifiques mettent en évidence l’incertitude quant aux risques pour la santé. Aussi ce doute conduit-il des juges à adopter le principe de précaution125 et à demander le démontage d’antennes-relais126. Des juges s’appuient également sur le rapport BioInitiative pour se prononcer sur l’existence d’un risque potentiel pour la santé de riverains habitant à proximité d’une antenne-relais127.
– Les assureurs:
Avec l’existence d’une controverse scientifique concernant les effets sanitaires des champs électromagnétiques, les assureurs ne peuvent pas faire référence à des données établies pour évaluer les risques potentiels. Par conséquent, de nombreux assureurs refusent d’assurer les risques générés par l’émission de champs électromagnétiques, notamment par la téléphonie mobile128.
– Les opérateurs:
Les opérateurs, nous l’avons vu, peuvent être dans des conflits d’intérêt avec des groupes d’experts. L’association française des opérateurs mobiles (AFOM) s’appuie sur les études scientifiques disponibles et sur l’existence d’un consensus au sein des autorités sanitaires pour affirmer l’absence d’un risque sanitaire liée à la téléphonie mobile129. De plus, les opérateurs justifient scientifiquement l’innocuité de leur activité en faisant référence aux normes d’exposition établies par l’ICNIRP dont ils respectent les préconisations.
– Les pouvoirs publics:
Le Parlement européens demande la mise en place d’une mission d’évaluation de « l’intégrité scientifique afin d’aider la Commission à prévenir les éventuelles possibilités de situations à risque, de conflits d’intérêts ou même de fraudes susceptibles de se produire dans un contexte de compétition accrue pour les chercheurs130. »
Cette partie était consacrée aux experts. Elle nous montre combien l’existence d’une controverse scientifique conduit les différents acteurs concernés par la question des effets sanitaires des champs électromagnétiques à se positionner et à exprimer leur point de vue au sujet des risques. Ce faisant, la controverse socio-technique se développe, engageant de multiples débats et enclenchant ainsi la publicisation du sujet au sein de la société.

123 Patriarca Eliane, « Des rapports sur le mobile embrouillés », in Libération.fr, 13/09/2006, article en ligne, http://www.liberation.fr/terre/010160233-des-rapports-sur-le-mobile-embrouilles, [consulté le 12/03/2011].
124 Rapport BioInitiative, août 2007, présentation en ligne, http://www.bioinitiative.org/report/index.htm, [consulté le 12/03/2011].
125 Nous reviendrons ultérieurement plus précisément sur cette notion.
126 Steinmetz Benoît, « Antennes relais de téléphonie mobile: preuve du risque et risque de la preuve », in Droit de l’Environnement, 1/04/2009.
127 Ibid..
128 Berber Myriam, « Antennes-relais: les assureurs s’alarment », in RFI.fr, 23/10/2002, article en ligne, http://www.rfi.fr/actufr/articles/034/article_18208.asp, [consulté le 13/03/2011].

Lire le mémoire complet ==> L’activité de communication autour de l’hypersensibilité électromagnétique
Mémoire de master 2 recherche en Sciences de l’information et de la communication
Université Stendhal Grenoble 3 – Institut de la Communication et des Médias
 

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top