Le caractère hybride de la composition pénale

Lille 2, université droit et santé

Ecole doctorale des sciences juridiques, politique et sociale (n°74)

Faculté des sciences juridiques politiques et sociales

Mémoire présenté et soutenu en vue de l’obtention du Master Droit« recherche », mention « droit pénal » Droit privéLe caractère hybride de la composition pénaleLe Caractère Hybride De La Composition Pénale

Par Emilie Deschot

Sous la direction de Françoise LOMBARD

Année universitaire

2005/2006

Remerciements

Je tiens à remercier sincèrement celles et ceux qui m’ont aidée dans la préparation de ce projet.

Parmi eux madame Lombard, dont les conseils, la disponibilité et l’écoute ont permis au projet de se dérouler dans les meilleures conditions.

Je remercie également madame Menu pour sa réactivité dans l’échange des mails. La rapidité de ses réponses m’a ravie tout au long de cette année.

Je remercie aussi ma famille pour son soutien et pour m’avoir permis d’en arriver là où je suis.

Enfin, je tiens tout particulièrement à remercier Pierre, sans qui ce projet n’aurait peut-être pas vu le jour, en lui dédiant cette recherche.

Introduction :

Depuis près d’un demi-siècle nous assistons à une véritable métamorphose du rôle du Ministère public. C’est sans aucun doute l’une des institutions de procédure pénale dont le visage a le plus spectaculairement été modifié depuis le Code de procédure pénale de 1959.

Si jusqu’alors, lorsqu’une infraction leur était rapportée, les membres du parquet n’avaient guère d’autre choix que de classer sans suite l’affaire ou poursuivre l’auteur, aujourd’hui leurs pouvoirs se sont considérablement étoffés.

Ce sont les lois des 3 janvier 1993 et surtout 23 juin 1999 qui ont mis fin à cette vieille dualité entre poursuite et classement qui montrait ses limites face à l’accroissement des affaires.

Plus précisément, le manque de souplesse de ce système faisait que les parquets et tribunaux répressifs, dont la capacité était restée identique, ne parvenaient plus à faire face à cette montée en puissance du nombre d’affaires.

Parallèlement à l’augmentation du nombre d’infractions commises, c’était un nombre de plus en plus conséquent de cas qui faisait l’objet d’un classement sans suite, classement de pure nécessité et non dicté par des considérations de politique criminelle.

Non seulement la justice n’apportait pas de réponse à des faits manifestement délictueux, mais en plus les victimes étaient souvent ignorées.

C’est donc par souci d’apporter plus systématiquement une réponse pénale aux infractions constatées que le législateur, par le biais de ces deux lois, a mis à la disposition du Ministère public une série de possibilités moins tranchantes que le classement « sec » et l’engagement des poursuites.

Ce sont les mesures alternatives aux poursuites de l’article 41-1 du Code de procédure pénale, dites aussi mesures de la « troisième voie », et, ce qui nous intéresse plus particulièrement, la composition pénale.

En instaurant la composition pénale dans le droit français, les parlementaires semblent avoir répondu à la demande du Comité des ministres du Conseil de l’Europe qui, en 1987, recommandait aux pays membres de l’Union européenne le recours à la procédure du guilty-plea : « Chaque fois que les traditions constitutionnelles et juridiques le permettent, il faudrait instituer soit la procédure des guilty-pleas, par laquelle l’inculpé est appelé à comparaître devant un tribunal à un stade précoce de la procédure pour déclarer publiquement s’il reconnaît ou nie les charges retenues contre lui, soit des procédures analogues » (1).

Claire Saas, « De la composition pénale au plaider coupable : le pouvoir de sanction du procureur de la République », revue de science criminelle et de droit comparé, octobre-décembre 2004, n° 4, p. 827 et seq.

La loi n° 99-515 du 23 juin 1999, qui a institué la composition pénale, avait clairement pour objectif d’améliorer l’efficacité de la procédure pénale.

Deux nouveaux articles, les articles 41-2 et 41-3, ont été insérés dans le code de procédure pénale dans la troisième section du chapitre 2, relatif au Ministère public, intitulée « Des attributions du procureur de la République ».

En effet, la nouvelle procédure a été mise au service de ce dernier afin d’alléger les audiences correctionnelles d’un certain nombre d’infractions rencontrées régulièrement par les tribunaux, la « petite délinquance de masse qui encombre les audiences correctionnelles » comme les qualifiait Monsieur Mermaz.

Si, à l’origine, les délits pouvant être traités par la composition pénale étaient strictement limités et énumérés à l’article 41-2 NCPP (à savoir, les délits prévus par les articles 222-11, 222-13 (1° à 11°), 222-16, 222-17, 222-18 (premier alinéa), 227-3 à 227-7, 227-9 à 227-11, 311-3, 313-5, 314-5, 314-6, 321-1, 322-1, 322-2, 322-12 à 322-14, 433-5 à 433-7 et 521-1 du code pénal, par les articles 28 et 32 (2°) du décret-loi du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions, par l’article L. 1er du code de la route et par l’article L. 628 du code de la santé publique) , la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 (dite loi Perben 2) est venue considérablement étendre le champ d’application de la composition pénale, la rendant applicable à tous les délits punis à titre de peine principale d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans.

Mais la composition pénale ne peut pas être réduite simplement à une mesure allégeant les audiences correctionnelles. Elle est bien plus que cela.

Elle améliore la qualité de la justice pénale en apportant une réponse dissuasive et plus systématique aux actes de petite et moyenne délinquance bien trop souvent classés sans suite, voire non poursuivis.

En quoi consiste cette nouvelle procédure ? Dans une présentation volontairement succincte, la composition pénale est la proposition d’une ou plusieurs mesures par le procureur de la République ou son délégué à l’auteur de certains délits ou contraventions qui doit les accepter pour que la procédure puisse être mise en œuvre.

Seuls les majeurs peuvent faire l’objet d’une telle proposition. L’acceptation de la procédure est entendue comme un aveu de culpabilité.

L’accord intervenu entre le procureur et le délinquant est ensuite transmis aux présidents du tribunal de grande instance pour les délits ou du tribunal d’instance pour les contraventions à fin de validation (les juges de proximité étant compétents également sur saisine du président du tribunal concerné, depuis la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002) et ceux-ci ne peuvent que l’accepter ou la rejeter purement et simplement.

Ils ne peuvent en aucun cas substituer d’autres mesures à celles décidées par le procureur de la République. En cas de validation par le juge, la réussite de la composition pénale, qui dépendra de l’exécution volontaire du mis en cause, éteindra l’action publique.

En ne faisant pas de la composition pénale une mesure entièrement concentrée dans les mains du procureur mais nécessitant l’intervention d’un juge pour la validation, le législateur s’est autocensuré.

Il a ainsi anticipé la probable censure du Conseil constitutionnel qu’avait connu une mesure similaire créée en 1994, l’injonction pénale, qui consistait à abandonner les poursuites contre une somme à verser au Trésor public et dans laquelle seul le procureur était amené à prendre la décision, l’intervention de l’autorité de jugement n’étant à aucun moment prévue.

Dans la décision n° 95-360 DC du 2 février 1995 le Conseil constitutionnel censurait la mesure car la séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement, garantissant la sauvegarde des libertés individuelles, faisait défaut.

La composition pénale n’a pas reçu l’accueil escompté. Dès le vote de la loi l’instituant elle subissait de vives critiques, provenant tant des juges répressifs que du Ministère public.

C’est pourquoi la Chancellerie a attendu dix-huit mois, le 29 janvier 2001, avant de publier son décret d’application qui fit entrer en vigueur ce nouveau dispositif. Comme nous pouvons nous en douter, si les juges et les procureurs s’harmonisaient sur le principe de la critique, ils divergeaient sur le contenu de celle-ci.

En effet, les magistrats du siège reprochaient à la nouvelle mesure de les priver de la prérogative suprême de décider des mesures répressives dans bon nombre de cas, en transférant ce pouvoir au Ministère public.

C’est ainsi que la composition pénale est qualifiée par certains de « justice au rabais », justice écartant la juridiction du tribunal correctionnel, et donc la solennité attachée à l’audience, la plupart du temps publique, qui pouvait intimider le délinquant et le dissuader de se retrouver un jour confronté à nouveau au circuit judiciaire.

Le Ministère public, quant à lui, voyait dans la lecture du texte une mesure encore trop complexe et lourde à mettre en œuvre.

Cependant, avec le temps et l’application de la composition pénale, les critiques se sont faites de plus en plus rares et aujourd’hui la justice pénale compose totalement avec elle.

A la manière d’un bilan de la composition pénale après un peu plus de cinq ans d’activité il n’est d’ailleurs pas péremptoire d’affirmer qu’elle a désormais rencontré le succès escompté dans les tribunaux. Son utilisation ne cesse d’augmenter, ce qu’attestent d’ailleurs les statistiques :

3500 compositions pénales enregistrées dès la première année de son entrée en vigueur, 13800 en 2002, 14788 en 2003 et plus de 25500 en 2004 (2).

En effet, les parquets, qui finalement ont découvert dans le texte une assez large liberté dans les conditions de mise en œuvre, ont très vite perçu dans la mesure un outil leur permettant non seulement de gérer le flux des contentieux, mais également d’adapter la réponse pénale à l’auteur et à la gravité de son acte.

En effet, avec la composition pénale est créé un nouveau traitement de la délinquance qui permet au parquet, sans pour autant engager des poursuites, d’apporter une réponse pénale à des infractions trop souvent rencontrées mais qui bien souvent, du fait de l’encombrement des tribunaux combiné à une relative gravité, donnaient lieu dans le meilleur des cas à un rappel à la loi, et le plus souvent à un classement sans suite.

Quant à la majeure partie des magistrats du siège, si la mesure ne la ravit toujours pas totalement, ils ont compris que leur rôle était primordial bien que réduit à l’acceptation ou au rejet pur et simple de la mesure.

Pour l’année 2004 : 28600 sur http://www.senat.fr/rap/r05-017/r05-0172.html, et 25777 selon la synthèse du rapport remis au Garde des Sceaux sur la politique pénale menée en 2004 sur http://www.admin-net-.fr/datas/inavem/fichier/SynthRap DACGGDS1005 .pdf .

Le législateur, après avoir observé et mesuré le succès de la composition pénale au sein des tribunaux, a souhaité donner davantage d’importance et de force à celle-ci.

Toutes les modifications apportées au texte original, c’est-à-dire à la loi du 23 juin 1999, ont pour point commun de renforcer la composition pénale puisqu’elles facilitent, étendent et aggravent le recours à la mesure.

C’est en ce sens qu’il convient d’examiner l’évolution législative dont nous ne ferons qu’évoquer ici les différentes phases, celles-ci, ainsi que leurs conséquences, faisant l’objet de développements ultérieurs.

Tout d’abord, la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 (dite loi Perben 1) est venue permettre la proposition de la composition pénale à l’auteur des faits dès le stade de la garde à vue.

Puis cette même loi a instauré l’inscription au casier judiciaire du mis en cause des compositions pénales exécutées.

Enfin, la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 (loi Perben 2), comme nous l’avons vu précédemment, est venue bouleverser le champ d’application de la composition pénale la rendant applicable à tous les délits encourant à titre de peine principale une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans

ou une amende (à l’exception des délits de presse, des délits d’homicides involontaires et des délits politiques).

Lorsqu’une nouvelle mesure apparaît dans le paysage juridique, le besoin se ressent chez le juriste de la qualifier et d’en déterminer sa nature juridique.

Pour cela il est parfois nécessaire d’opérer des comparaisons avec d’autres afin de voir si la mesure étudiée leur emprunte toutes leurs composantes ou si elle comporte des caractéristiques propres car, selon le résultat obtenu, la nature sera soit identique à une mesure déjà en vigueur, soit inédite.

La composition pénale n’a pas échappé à la règle, et pourtant, si la mesure n’est plus tout à fait nouvelle, d’aucun n’est capable aujourd’hui d’affirmer avec précision quelle est sa nature juridique.

C’est à cette question que nous tenterons d’apporter une réponse. Pour cela, nous analyserons les mesures les plus fréquemment comparées à la composition pénale afin de voir si ces rapprochements sont judicieux et légitimes.

Nous nous apercevrons rapidement que le législateur est allé chercher des influences dans des mesures totalement différentes les unes des autres pour alimenter le contenu de la composition pénale, ce qui n’est pas pour rassurer les juristes, les magistrats et tout autres commentateurs de la mesure, et que c’est justement son caractère hybride qui rend la recherche de la nature juridique aussi difficile.

En effet, avec la composition pénale nous nous retrouvons face à ce qui pourrait apparaître comme un paradoxe puisque nous verrons que si la composition pénale se rapproche des mesures de la « troisième voie » et fait penser à une forme de « justice négociée » (1ère partie), les mesures que peut prendre le procureur de la République dans le cadre d’une composition pénale sont aussi très proches des peines (2ème partie).

Sommaire :

Introduction

Première partie – La composition pénale : une mesure proche de celles de la « troisième voie », avec l’apparence d’une négociation

Chapitre I – La composition pénale : une justice négociée ?

Section I – La « dépendance » de la mesure à la volonté du mis en cause

Sous-section I – L’aveu et le consentement obligatoires du mis en cause

Sous-section II – Le domaine limité du consentement

Section II – Le rapprochement avec des formes de justice négociée

Sous-section I – La composition pénale et le contrat

Sous-section II – La composition pénale, la négociation et la transaction

Chapitre II – La composition pénale : une mesure alternative aux poursuites?

Section I – Les caractéristiques des mesures de la « troisième voie »

Sous-section I – La présentation des mesures de la « troisième voie »

Sous-section II – Les effets des mesures de « troisième voie »

Section II – La composition pénale, une alternative réparatrice à l’engagement des poursuites

Sous-section I – Une alternative à l’engagement des poursuites

Sous-section II – Une alternative en partie réparatrice

Deuxième partie – La composition pénale : une mesure proche d’une peine

Chapitre I – L’aspect répressif certain de la composition pénale

Section I – Une alternative particulière à l’engagement des poursuites

Sous-section I – Une dimension « sanctionnalisante » dans la composition pénale

Sous-section II – Le rapport ambigu de la composition pénale avec l’action publique

Section II – Des sanctions proches des peines

Sous-section I – Des mesures calquées sur des peines existantes

Sous-section II – Des effets proches de ceux provoqués par une décision de condamnation

Chapitre II – Les caractéristiques manquantes pour faire de la composition pénale une véritable peine

Section I – Les différences essentielles d’avec une peine

Sous-section I – Différences quant au déroulement de la procédure

Sous-section II – Différences quant aux effets du prononcé des mesures de composition

Section II – Un nouvel ordonnancement pénal

Sous-section I – Une mesure proche des jugements écartant la peine d’emprisonnement

Sous-section II – Une gradation et une diversification dans la réponse pénale

Conclusion

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le Caractère Hybride De La Composition Pénale
Université 🏫: Lille 2, Université droit et santé - Faculté des sciences juridiques politiques et sociales
Auteur·trice·s 🎓:
Emilie Deschot

Emilie Deschot
Année de soutenance 📅: Ecole doctorale des sciences juridiques, politique et sociale (n°74) - 2005/2006
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