La réputation : un capital immatériel appréciable

Quand la vertu renforce l’économie, la RSE un investissement de long terme – Deuxième partie :
« Efficacité et éthique se rejoignent à long terme »191, « on retrouve là l’axiome de base du management »192.
La RSE ne doit pas être considérée comme un coût mais comme un investissement sur le temps long, tant en termes d’image qu’en termes économiques. Si le coût de départ peut parfois décourager les dirigeants les plus motivés, une fois enclenchée, le retour sur investissement de la RSE peut s’avérer non négligeable.
En ce sens, l’adoption d’une démarche RSE participerait de l’intérêt bien compris des entreprises tant d’un point de vue marketing que d’un point de vue strictement économique. L’éthique devient alors un élément stratégique de l’entreprise.
Chapitre I- La RSE : un altruisme utilitariste
La Responsabilité sociale de l’entreprise ne relève pas de l’angélisme. La réalité des affaires garde ses droits et même lorsqu’il s’agit d’éthique, la prééminence de l’économique reste totale. Ainsi, comme l’a montré le prix Nobel d’économie Garry Becker193, l’altruisme ne peut être dissocié de la fonction d’utilité et n’est en ce sens jamais complètement désintéressé.
« Peu importe ce qu’ils racontent en public, lorsque vous êtes derrière la scène avec les chefs d’entreprise et les dirigeants, ils vont vous demander “pourquoi devrions-nous investir dans des initiatives sociales?”. Nous aurons beau tous nous préoccuper sincèrement de sauver le monde, si nous ne pouvons répondre à cette question correctement, nous avons un problème »194.
L’entreprise cherche à retrouver sa légitimité perdue, c’est-à-dire l’impression partagée que ses actions sont désirables, convenables ou appropriées par rapport au système socialement construit de normes, de valeurs ou de croyances sociales195. Si pour certains dirigeants, la RSE continue à être vécue comme une contrainte supplémentaire, pour d’autres, il s’agit certes d’une contrainte, mais d’une contrainte porteuse d’opportunités, notamment en termes de réputation.

Section 1 : La Responsabilité sociale des entreprises ou la quête d’une bonne réputation

« Il est plus facile de s’arranger avec sa mauvaise conscience qu’avec sa mauvaise réputation » Friedrich Nietzsche
Comme Henry Ford le disait, la réputation est fondamentale même si celle-ci n’apparaît pas dans le bilan de l’entreprise. Aujourd’hui encore plus qu’hier, avec le développement des moyens de communication, l’information se propage à une vitesse telle que la gestion de ce précieux capital immatériel devient une composante majeure de la stratégie des entreprises.
« Gérer c’est légitimer, c’est-à-dire produire une argumentation susceptible de rendre le management de l’entreprise acceptable par toutes les parties prenantes »196.
Prises en étau entre les attentes d’une opinion publique méfiante et les exigences des actionnaires, les entreprises utilisent leur responsabilité sociale pour tenter de se forger et d’entretenir une bonne réputation.

A. La réputation : un capital immatériel « appréciable »

Étymologiquement, la réputation, du latin reputatio renvoie à la notion d’examen, d’évaluation. La réputation est un actif incorporel majeur qui constitue une source de “goodwill ”197 en créant une sorte de tampon entre les entreprises bénéficiant d’une bonne réputation et les problèmes auxquels elles sont confrontées.
La réputation : un capital immatériel appréciable
La réputation s’inscrit sur le long terme. Elle est distincte de l’image faisant référence à une vision statique d’un instantt. La réputation d’une entreprise est une succession d’images, elle n’est jamais acquise mais en continuelle construction. La réputation est « le socle de confiance autour duquel s’articule et fluctue l’image »198.
Ainsi, construire une réputation prend du temps, l’entretenir également. Des chercheurs américains ont calculé qu’il fallait en moyenne 83 ans pour construire une réputation199! Par définition, la réputation est difficile à mesurer et donc à traduire en chiffres, elle relève de l’émotionnel plus que de l’économique. Les méthodes d’analyses du fameux palmarès des sociétés les plus appréciées établi par le magazine Fortune comporte nombres d’imperfections.
Malgré les difficultés de mesures, il n’est plus à prouver qu’une crise de réputation peut avoir une influence considérable. L’actif intangible qu’est la réputation se fait bel et bien réel en période de crise. La difficulté réside dans le fait que la réputation d’une entreprise est fonction du public considéré. En effet, l’appréciation de la réputation d’une entreprise ne sera pas là même selon que l’on s’adresse à une organisation non gouvernementale ou à un actionnaire, et peut même varier selon les pays.
La réputation d’une entreprise est multiple, divers éléments viennent la composer comme des données financières, économiques, sociales et environnementales ou éthique… La réputation représenterait aujourd’hui 70% du total du capital d’une entreprise contre 30% avant la deuxième guerre mondiale200. Cette augmentation est due d’une part à la financiarisation de l’économie et d’autre part à ce que certains appellent la « médiacratie »201, c’est-à-dire la mobilisation croissante de l’opinion publique rendue possible par le progrès technique des moyens de communication.
Ainsi, dans la semaine suivant la marée noire provoquée par le naufrage de l’Exxon Valdez en 1989, la valeur boursière du pétrolier chute de près de 3 milliards de dollars202. De la même façon, en 1995 les scientifiques émettent la possibilité d’un lien entre l’utilisation d’un téléphone portable et le cancer du cerveau, soupçons entraînant la perte de 6 milliards de dollars203. Si les multinationales sont plus puissantes que jamais, elles sont également beaucoup plus dépendantes de leur réputation.
Dans le monde en général et en France tout particulièrement, le monde de l’entreprise à mauvaise réputation. De récentes études montrent que la France affiche le plus fort taux de “désamour” des entreprises au monde. Le divorce entre l’entreprise et l’opinion publique française est total. Dans ce contexte, les entreprises cherchent à se forger une bonne réputation, elles s’affichent responsables et pas là même porteuses de valeurs dans un monde “désenchanté”.

1. L’entreprise porteuse de valeurs

D’aucuns voient dans la perte de sens de notre société individualiste une crise de la modernité, la résultante d’une combinaison de facteurs comme la crise de l’Etat providence, du travail, de l’école ou encore la désaffectation de la sphère politique.
Gilles Lipovetsky parle d’une « désertion généralisée des valeurs et des finalités sociales »204 et Alain Finkelkraut, remet au goût du jour un slogan populiste du XIX° siècle en affirmant que de nos jours, « une paire de bottes vaut mieux que Shakespeare »205. L’entreprise cherche à donner une image de conformité aux valeurs perdues de la société.
Ainsi, les multinationales s’éloignent de plus en plus d’un approche centrée sur le produit pour aller vers une approche de services. Selon Naomi Klein206, célèbre auteur alter-mondialiste, les entreprises sont devenues de véritables « courtiers en signification » et vendent davantage une image, une identité, un “logo” que des biens. La marque devient un capital fondamental de l’entreprise, un élément de leur compétitivité.
Le cas d’école analysé par l’auteur est celui de Nike dont la communication repose sur les valeurs du sport. Dans ce contexte, le rapport annuel de développement durable devient un morceau de littérature destiné à « ré-enchanter le monde », pour reprendre l’expression de l’Université d’été du MEDEF de 2005207. La RSE permet aux entreprises de s’affirmer comme des « institutions totales »208 porteuses de valeurs et de normes. Pierre Yves Gomez parle ainsi de « l’effet Gulliver » que les entreprises ont sur la société209. Cependant l’image positive véhiculée par la RSE ne doit être qu’une résultante et non pas une motivation en soi.
Les multinationales sont de plus en plus perméables à leur environnement sociétal et dans le contexte d’adversité dans lequel elles évoluent, cette communication de marque contribue à augmenter leur vulnérabilité. Leur capital – réputation est à la merci des rumeurs et des accusations des organisations non gouvernementales. Si les entreprises peuvent parfois habilement échapper ou contourner des obligations juridiques, elles n’échappent jamais à leur réputation, les organisations non gouvernementales veillent.

2. Le « Name and Shame » : la pire des sanctions

La réputation est extrêmement longue à construire mais très facile à détruire. Redorer son blason est souvent long et peut être très coûteux, tant en manque à gagner qu’en frais de communication. Littéralement “name and shame” signifie “dénoncer et punir” par l’opprobre. Les ONG, véritables « sentinelles de la réputation »210 des entreprises sont passées maîtres en la matière.
Elles cherchent à mobiliser l’opinion publique en jouant sur la sensibilité et en suscitant l’indignation. Ces conflits cognitifs entre entreprises et ONG se traduisent par un combat fondé sur l’émission d’informations destinées à modifier, dans le sens souhaité, la perception des parties prenantes211. L’une des premières affaires retentissantes est le scandale du lait en poudre de Nestlé qui éclate en 1974.
À la suite d’une politique de distribution de lait en poudre dans des pays en voie de développement, la société suisse était accusée d’être à l’origine de la mort de nouveau- nés. En effet, mélangé à de l’eau non potable, le lait s’est avéré mortel. Un boycott est donc lancé par les ONG avec le slogan « Nestlé tue les bébés » entachant ainsi durablement la réputation de la multinationale.
Les crises informationnelles peuvent rapidement se transformer en véritable cauchemar pour les entreprises et s’avérer extrêmement dommageable. Aux yeux de l’opinion, les ONG bénéficient d’une grande légitimité et crédibilité. Celles-ci sont censées agir pour le bien commun de façon totalement désintéressée. Une fois lancée, la « guerre de l’information au nom de l’éthique »212 a tendance à s’auto-alimenter et peut resurgir au moindre soupçon.
Internet confère un avantage stratégique aux ONG. Une information lancée sur le réseau numérique se propage de façon quasi épidémique et est très difficile à interrompre. Monsanto et les OGM, Gap et les sweatshops, Nike et le travail des enfants, Total et son implantation au Myanmar… On assiste à une multiplication des conflits cognitifs213 entre les entreprises et certaines ONG très engagées.
Dès 1995, Total est cloué au pilori dans des forums de discussion sur Internet. La société pétrolière est soupçonnée d’aider le régime totalitaire birman à combattre la guérilla, de blanchir l’argent du trafic de drogue, d’employer des travailleurs forcés. Des faux courriels entre dirigeants de la multinationale circuleront.
La crédibilité dont elles disposent donne aux organisations non gouvernementales un pouvoir de pression considérable sur les multinationales. Si ces crises de réputation orchestrées par les ONG peuvent avoir des conséquences extrêmement néfastes sur l’activité des entreprises, bien gérées, elles peuvent également constituer une opportunité.
Lire le mémoire complet ==> (Responsabilité sociale : un nouvel enjeu pour les multinationales ?)
Mémoire pour l’obtention du Diplôme
Université PAUL CEZANNE – AIX-MARSEILLE III – Institut D’études Politiques
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191 « Ethique et efficacité sont indissociables », Entretien avec Louis Schweitzer, Enjeux-Les Echos, février 2008
192 ibid.
193 BECKER Garry, The Economic Approach to Human Behavior, University Of Chicago Press, 1978
194 « CSR : a religion with too many priest ? », interview de Michael PORTER, Copenhagen Business School, septembre 2003
195 SUCHMAN M.C., « Managing legitimacy : strategic and institutional approaches », Academy of Management Review, vol. 20, n°3, 1995, p. 572
196 LAUFER, 2002
197 Notamment par l’économiste français Michel Glais
198 PIOTET Pierre, Réputation : le regard des autres, Editions ESKA, 2004
199 Cité dans PIOTET Pierre, Réputation : le regard des autres, Editions ESKA, 2004, ibid
200 « Quand l’entreprise s’affiche “responsable”…», Gabriel Saint-Lambert, Education Permanente n°167, 2006-2
201 PIOTET Pierre, Réputation : le regard des autres, Editions ESKA, 2004, op. cit
202 www.reputationinstitute.com
203 ibid
204 LIPOVETSKY Gilles, L’ère du vide. Essai sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, 1989
205 FINKELKRAUT Alain, La défaite de la pensée, Gallimard, 1989, p136
206 KLEIN Naomi, No logo : la tyrannie des marques, Actes Sud, 2001
207 LAMARCHE Thomas et DE LA BROISE Patrice, Responsabilité sociale : vers une nouvelle communication des entreprises ? , Presses Universitaires du Septitentrion, 2006
208 LALLEMENT, Le travail, Paris, Gallimard, 2007, p.227
209 GOMEZ Pierre-Yves, La République des actionnaires. Le gouvernement des entreprises entre démocratie et démagogie, Paris, Syros, 2001
210 DRULLION Kristine, « Les ONG sont-elles les « sentinelles » de la réputation des entreprises ? », Mémoire de master en communication des entreprises et des institutions, CELSA, 2004/2005
211 FRANÇOIS Ludovic, « Quand la société civile s’empare de l’intelligence économique », Problèmes économiques n° 2.940, janvier 2008
212 FRANÇOIS Ludovic, « ONG et réputation d’entreprises : La guerre de l’information au nom de l’éthique », Revue d’études du Renseignement et des Opérations Spéciales, n°8, l’Harmattan
213 HARBULOT et LUCAS, La terre cognitive, Lavauzelle, 2002

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Responsabilité sociale : un nouvel enjeu pour les multinationales ?
Université 🏫: Université Paul Cézanne - Aix-Marseille III - Institut d'études Politiques
Auteur·trice·s 🎓:
Sandra Naigeon De Boer

Sandra Naigeon De Boer
Année de soutenance 📅: Mémoire pour l'obtention du Diplôme
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