Limitation injustifiée de l’intervention de l’assureur

Limitation injustifiée de l’intervention de l’assureur

2°. Une limitation injustifiée et contraire à l’objectif du législateur

856. Indépendamment même des considérations d’opportunités qui ont pu être retenues de manière critiquable par le législateur, la limitation de l’intervention de l’assureur à certaines infractions apparaît totalement injustifiée.

857. Au regard de la théorie de l’action civile, rien ne permet de justifier que l’assureur puisse intervenir ou non au procès pénal suivant la nature de l’infraction1259. Soit il est admis, soit il est exclu, mais uniquement pour des raisons tenant à l’exercice de l’action civile devant les juridictions répressives.

En effet, c’est à l’action civile que l’assureur intervient devant le juge répressif. Son intervention à cette action ne dépend aucunement de la qualification pénale des faits1260.

Ce d’autant moins que cette qualification n’est pas censée avoir une incidence sur l’action civile. D’une part, la recevabilité de l’action civile devant le juge répressif ne doit pas dépendre de la qualification pénale des faits1261.

Et d’autre part, le droit à indemnisation dépend de la qualification civile, et aucunement de la qualification pénale des faits1262. Ainsi que le montre l’exposé des arguments présentés en doctrine pour ou contre l’admission de l’action civile devant le juge répressif, ceux-ci ont trait à l’intérêt de la victime et à celui de la justice pénale ou à l’intérêt général, mais pas à la qualification de l’infraction en cause1263.

Outre qu’elle n’est absolument pas justifiée sur le plan théorique, au regard notamment de l’action civile, la restriction imposée par le législateur conduit à des iniquités inopportunes et contraires au but affiché par la loi qui l’a édictée.

858. Une limitation contre-productive. La limitation instaurée par la loi crée deux catégories de justiciables, mais pour cela ne répond à aucune logique, aucune nécessité particulière et aboutit à des incohérences, voire à des situations vécues comme des injustices.

En limitant le bénéfice de ses dispositions les plus importantes aux victimes d’homicide ou de blessures involontaires, le législateur n’a pas renforcé la protection de l’ensemble des victimes d’infractions, mais seulement d’une petite minorité d’entre elles.

Ce faisant, il a manqué au but affiché de la loi du 8 juillet 1983 « renforçant la protection des victimes d’infractions ».

859. Les statistiques judiciaires sont à cet égard éloquentes1264. En 2007, 744 832 décisions de condamnation ont été prononcées toutes juridictions confondues1265.

Sur les 119 385 condamnations pour atteintes aux personnes1266, 13 117 seulement concernent des homicides et violences involontaires1267, le plus souvent commis par des conducteurs de véhicule (11 313 cas)1268.

A titre de comparaison, 73 972 condamnations pour violences volontaires ont été prononcées la même année1269, sans compter les viols (1 729) et les homicides volontaires (571).

Ces chiffres démentent l’idée répandue selon laquelle les victimes d’infractions d’imprudence sont plus nombreuses que les infractions volontaires d’atteinte à la personne1270.

Il est inutile de préciser toutes les victimes n’a pas bénéficié de l’intervention de l’assureur dans tous les dossiers d’homicides et blessures involontaires. Il est donc faux d’affirmer que la loi de 1983 a privilégié la majorité des victimes.

Et en tout état de cause, « on ne discerne pas la logique qui consiste à écarter une minorité de plaideurs qui ont une qualité identique de personnes lésées et une égale vocation à la réparation de leurs dommages.

On éprouve le sentiment de rencontrer l’un des effets du phénomène actuel de polarisation sur les accidents de la circulation dont nul ne songe à nier l’importance mais qu’il serait fâcheux de voir occulter les difficultés tout aussi réelles des autres victimes »1271.

860. En écartant certaines victimes d’infractions, le législateur a fait preuve d’un grossier manque de psychologie envers des personnes dont il ne peut prétendre améliorer la situation, alors que tel était le but affiché de la loi.

En particulier, l’éviction des violences volontaires1272 a été la plus critiquée : Pourquoi refuser à la victime d’une agression la perspective d’une indemnisation plus sûre et plus rapide alors que ces avantages sont offerts à la victime d’un accident1273 ?

La simple suppression dans l’article 388-1 de l’épithète « involontaires » permettrait d’étendre l’intervention de l’assureur à tous les homicides et violences et constituerait un progrès appréciable pour les victimes.

Malheureusement, cela laisserait de côté les victimes de nombreuses atteintes à la personne, dont en particulier les infractions sexuelles.

861. Abolition de la restriction. La limitation de l’intervention de l’assureur à certaines infractions introduit donc une distinction difficilement soutenable, tant intellectuellement que sur le plan pratique.

Elle nous paraît devoir être totalement abolie. Toutefois, cela n’empêche pas de considérer une solution de compromis consistant en une ouverture partielle.

862. Suppression partielle de la restriction. Peut-être la recherche de l’équilibre entre l’intérêt de la victime et celui de la justice pénale pourrait conduire à exclure une série d’infractions, en l’occurrence les infractions contre les biens1274.

Si nous comprenons l’intérêt de la victime comme le bénéfice d’une indemnisation plus rapide, il n’est qu’indirect et assez faible en ce qui concerne l’intervention de son assureur subrogé.

Et la possibilité de mettre en cause ’assureur du responsable est restreinte par l’exclusion de la faute intentionnelle et le fait que la caractérisation des infractions contre les biens suppose l’intention d’obtenir le dommage tel qu’il est survenu1275.

En cas d’infraction contre les biens, l’intérêt de la victime peut être considéré par certains comme plus faible que pour une atteinte à la personne1276.

L’intérêt faible de la victime ne justifierait alors pas que la possibilité soit donnée aux assureurs de chose d’investir les prétoires pénaux pour exercer plus facilement un recours subrogatoire qu’ils pouvaient porter devant les juridictions civiles, d’autant plus que cela pourrait donner lieu à de très nombreuses interventions.

Mais d’une part cet envahissement des assureurs ne porterait pas systématiquement préjudice au système judiciaire pénal en l’encombrant.

En effet, l’assureur ne fait qu’exercer une action civile qui aurait pu être utilisée par la victime, de son propre chef en l’absence d’indemnisation préalable par l’assureur, ou en exécution d’un accord avec l’assureur confinant à la « comédie judiciaire »1277.

Dès l’entrée en vigueur de la loi du 8 juillet 1983, le Doyen Durry estimait souhaitable une réforme élargissant l’intervention de l’assureur aux infractions contre les biens, n’y voyant que des avantages de temps et d’efficacité à partir du moment où l’on prend la précaution d’interdire à l’assureur de déclencher l’action publique1278.

L’assureur doit en effet se comporter en professionnel averti soucieux d’économiser son temps et ses moyens, et par là même ceux du juge pénal : il est censé former des demandes précises en recourir autant que faire se peut à la demande d’indemnisation par lettre de l’article 420-1 du Code de procédure pénale.

D’autre part, l’assureur exerce devant le juge pénal un recours dont le juge civil sera soulagé. L’ordre judiciaire de juridictions, pris dans son ensemble, n’en pâtit donc pas.

Toujours est-il que pour les infractions contre les biens, il reste concevable que l’intérêt de la victime cède devant la volonté de préserver les juridictions répressives des recours subrogatoires des assureurs de choses.

863. Nécessité de mettre fin à une situation provisoire. Plus de vingt cinq ans après sa mise en œuvre, l’intervention de l’assureur n’a pas vu son champ d’application modifié alors qu’il s’agissait expressément d’une disposition que le législateur se proposait de reconsidérer au vu des résultats constatés.

Or, en vingt cinq ans d’application, l’intervention de l’assureur au procès pénal n’a provoqué ni la dénaturation de la mission du juge pénal, ni l’engorgement et la désorganisation des tribunaux répressifs redoutés par certains.

Il serait temps de songer à la suppression, ou du moins à la révision, de la restriction aux infractions d’homicide ou violences involontaires, ne serait-ce qu’à titre expérimental une nouvelle fois.

864. En conclusion, nous sommes favorable à la suppression de la limitation de l’intervention de l’assureur quant aux infractions, qui est dénuée de justification.

Il serait à tout le moins utile d’atténuer cette limitation en étendant le champ d’application de l’intervention de l’assureur à l’ensemble des infractions contre les personnes, avant d’envisager une extension aux infractions contre les biens. La suppression de toute distinction selon les infractions poursuivies s’impose au regard de la théorie de l’action civile.

856 Cf. supra n° 368 et 375.

857 Articles 1382 et 1383 du Code civil.

858 Articles 1147 et suivants du Code civil.

859 Loi du 5 juillet 1985. On peut également citer la responsabilité du fait des choses : article 1384 du Code civil.

860 On pense en premier lieu aux cas de responsabilité du fait d’autrui prévus par l’article 1384 du Code civil (dont un cas général de responsabilité tiré par la jurisprudence du premier alinéa de ce texte). Il existe cependant d’autres cas, tel celui de la responsabilité des mandants du fait de leur mandataire dans le cadre de l’intermédiation en assurance, et plus précisément de la présentation d’opérations d’assurance : article L 511-1 du Code des assurances qui prévoit une extension en cette matière des règles de la responsabilité du commettant du fait du préposé prévues par le cinquième alinéa de l’article 1384 du Code civil.

861 Ce droit propre a d’abord été reconnu par la jurisprudence, avant d’être consacré par la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 modifiant en ce sens l’article L 124-3 du Code des assurances.

862 Cf. infra n° 735 et s.

863 Article 33 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, qui prévoit que seules les prestations mentionnées aux articles 29 et 32 de la loi ouvrent droit à une action récursoire contre la personne tenue à réparation du dommage ou son assureur.

864 Article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985.

Le juge pénal saisi des faits et connaissant de l’action civile pourrait ainsi statuer complètement sur le dossier et régler tous les problèmes d’indemnisation des victimes. Il s’agirait d’un grand progrès pour celles-ci. L’intérêt des victimes commande à tout le moins d’élargir le champ d’application de l’intervention de l’assureur.

Si l’on peut comprendre les réticences exprimées face à l’intervention de l’assureur de choses subrogé dans les droits de la victime, en particulier pour les infractions d’atteinte aux biens, il n’en reste pas moins qu’un élargissement de l’intervention de l’assureur à toutes les infractions d’atteinte à la personne serait on ne peut plus opportun.

Conclusion de la Première Partie

865. L’intervention de l’assureur devant le juge répressif est finalement admise en droit français depuis la loi du 8 juillet 1983, mais elle l’est de manière très limitée.

L’exclusion de l’assureur reste la règle. Cela s’explique sans difficulté par le fait que si l’intervention de l’assureur a été admise en pratique, pour des raisons pragmatiques et d’opportunité, la théorie de l’action civile n’a pas été remise en cause.

Or, la question de l’intervention de l’assureur au procès pénal est indissociable de celle de l’action civile portée devant le juge répressif, puisque c’est en réalité à cette action civile que l’assureur participe car il n’a pas vocation à être partie à l’action publique.

La participation de l’assureur à l’action civile n’étant qu’un aspect de cette action, son régime doit en principe suivre celui de cette action. Or, le droit positif français consacre une vision dualiste de l’action civile exercée devant le juge pénal, selon laquelle cette action n’est pas seulement une action en indemnisation et comporte également un objet répressif.

L’intervention de l’assureur relève d’une action purement indemnitaire et dénuée d’objet répressif, et s’accorde donc mal avec l’action civile telle qu’elle est admise devant les juridictions répressives.

C’est la raison pour laquelle l’intervention de l’assureur au procès pénal reste en principe exclue. Dans la mesure où la conception de l’action civile qui sous-tend cette exclusion n’a pas été remise en cause, l’intervention de l’assureur ne peut rester qu’une exception.

C’est pour cette raison qu’une intervention du législateur a été nécessaire pour introduire en droit français cette intervention limitée de l’assureur.

866. En dépit de la longue durée des débats doctrinaux sur l’intervention de l’assureur au procès pénal qui ont précédé l’adoption de la loi du 8 juillet 1983 (une trentaine d’années) et du fait que ces débats ont été contemporains de la controverse sur la nature dualiste ou unitaire de l’action civile, la question de l’intervention de l’assureur n’a pas été replacée dans le cadre de l’analyse de l’action civile.

Le législateur a pourtant senti, ne serait-ce que de manière confuse, que l’admission de l’intervention de l’assureur allait à l’encontre de la conception établie de l’action civile et de la procédure pénale.

C’est la raison pour laquelle, sans doute « effrayé de sa propre audace »1279, il a strictement limité le cadre de l’intervention de l’assureur.

867. L’admission de l’intervention de l’assureur est d’abord très limitée dans son champ d’application : elle l’est même bien trop en ce qui concerne la restriction à quelques infractions, qui n’est pas justifiée au regard de l’action civile. L’intervention de l’assureur au procès pénal est également limitée dans sa mise en œuvre.

865 Pour la recevabilité, cf. supra n° 536.

866 Cf. supra n° 409, 416 et 431.

867 Nous pouvons également citer comme exemple la caractérisation d’une responsabilité civile personnelle du préposé à l’égard des tiers, en application de la jurisprudence Cousin et par exception à l’immunité issue de la jurisprudence Costedoat. Cf. infra n° 1218 et s.

Le régime instauré par le législateur constitue un mauvais compromis entre d’une part la volonté d’introduire l’intervention de l’assureur pour favoriser le sort des victimes d’infraction, objectif affiché par l’intitulé de la loi du 8 juillet 1983, et d’autre part la volonté de ne pas remettre en cause la procédure pénale, ou plutôt l’absence de volonté de réformer l’action civile et donc la procédure pénale.

868. Faisant une application de la loi remarquablement fidèle, la jurisprudence a par conséquent répercuté les faiblesses de la mise en œuvre de l’intervention de l’assureur devant le juge répressif, n’apportant que quelques correctifs ou comblant à l’occasion les lacunes du régime légal en respectant son esprit.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’intervention de l’assureur au procès pénal
Université 🏫: Université Nancy 2 Faculté de Droit - Ecole Doctorale Sciences Juridiques
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur Romain SCHULZ

Monsieur Romain SCHULZ
Année de soutenance 📅: THESE en vue de l’obtention du Doctorat en Droit - le 18 novembre 2009
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