Les paradoxes du capitalisme (et mutations sociales)

3. Les paradoxes du capitalisme (et mutations sociales)
Au-delà de cette vision sur quelques secteurs économiques, il est important de considérer d’une manière plus générale l’économie et plus particulièrement le capitalisme. Le philosophe et homme politique italien Antonio Négri met en avant le paradoxe dans lequel vit aujourd’hui le capitalisme néolibéral. De fait, l’ouverture des frontières ces 20 dernières années a contribué à accentuer davantage les phénomènes concurrentiels, plaçant aujourd’hui les entreprises dans un contexte de lutte perpétuelle. Il faut soulever d’autre part que l’économie se trouve être dans une position tout à fait ambivalente puisque celle-ci n’affiche plus les conditions pour une concurrence loyale, postulat à priori de l’économie libérale et de marché. Nous sommes en effet à présent face à la puissance (aujourd’hui contestée) du capitalisme « démocratique » mais aussi et surtout face à la montée fulgurante d’un capitalisme « communiste » avec la Chine. L’effet de dumping sur les prix, mais surtout le dumping social qui résulte de l’affrontement de ces deux types de capitalisme est exacerbé en temps de crise. D’ailleurs, à l’occasion des élections européennes, nombreuses sont les positions qui prônaient la mise en place d’un protectionnisme plus ou moins rigide. Sur ce point il est intéressant de relever les conclusions de Michel Mollard, président du directoire d’Euler Hermes SFAC, qui table sur un avenir moins mondialisé du fait de la contraction des investissements ainsi que d’une montée du « risque pays »78. Les investissements étrangers ont déjà baissé de 15% en 2008 selon Supachai Panitchpakdi, le secrétaire général de la Conférence de l’ONU pour le commerce et le développement (UNCTAD)79, et celui-ci table visiblement sur un déclin des investissements étrangers plus important en 2009.
En ce qui concerne l’engouement des produits bio ou encore le développement d’énergies « vertes », il est important de noter là aussi que les enjeux sont de taille. De fait, la demande qui s’exprime depuis quelques années sur ce types de biens tend à s’accentuer, non pas forcément en termes de demande effective mais plutôt à travers un réel désir de changer sa manière de consommer. Et sur ce point en Europe, les résultats remportés par les parties Ecologique sont plutôt encourageants. Ils témoignent d’une réelle prise de conscience des populations. Pour le moment, il faut tout de même noter que la France se positionne en bas de la liste (13ème place sur 17) au classement Greendex80. Le haut de ce même classement étant occupé par l’Inde, le Brésil et la Chine. On note d’autre part une significative amélioration des consommateurs espagnols, allemands, français et australiens grâce à l’adoption de gestes plus favorables à l’environnement (moins de chauffage et de climatisation, lessives à l’eau froide…). En effet, 60% des consommateurs parmi les 17 pays interrogés sont d’accord pour dire que l’on doit consommer moins et ainsi améliorer l’environnement pour les générations futures. En ce qui concerne le bien-être et la santé, il faut souligner le fait que si les européens voyaient leur pouvoir d’achat augmenter, ils s’orienteraient vers une alimentation plus saine et plus écologique81, ceci étant probablement dû à une communication de plus en plus intensive à propos des produits biologiques.
Ainsi, la consommation positive, qui peut être comprise comme le lien entre la consommation et le développement durable, constitue en quelque sorte le point de rencontre entre l’égoïsme de chacun, la satisfaction des besoins et des désirs individuels et la volonté de manière plus globale de permettre à notre civilisation de perdurer. Ce qui pose problème en revanche, c’est le fossé entre d’une part cette prise de conscience générale pour une consommation plus éthique et d’autre part les arbitrages en termes de consommation qu’engendre la crise. De fait, la conjoncture contraint et contraindra d’autant plus encore les consommateurs à sacrifier leur désir d’achats en termes de produits éthiques parce que tout simplement le prix de ces produits est plus élevé. Sur ce point, l’intervention de l’Etat est déterminante car il est clair que tant que le nucléaire sera soutenu par les politiques, les énergies vertes ne décolleront pas. Ce constat nous amène à penser que le principal enjeu de demain sera, comme le soulevait à son époque Joseph Schumpeter, d’affronter le phénomène de « destruction créatrice »82. Cette notion constitue une donnée fondamentale du capitalisme. Elle nous paraît refléter certains enjeux à venir, à cette différence que la solution viendrait peut être d’une transition historique de la modification à priori toujours destructive vers une modification constructive.
Il est autrement essentiel de tenir compte des mutations profondes qui se sont établies depuis les années 2000. Ces changements concernent aussi bien l’individu, que la société, les médias ou encore les nouvelles technologies. Internet et les technologies portatives (téléphones mobiles, GPS, ordinateurs portables) ont engendré de réels changements sur le mode de vie des individus et plus généralement de la société elle-même. Bernard Stiegler évoque le terme de société réticulaire, c’est-à-dire une société basée sur l’externalité et l’économie de la robotique. Selon B. Stiegler toujours, la notion d’externalité et par extenso de société réticulaire peut revêtir à la fois des caractères positifs et négatifs. Selon lui, est positif ce qui ne contribue pas à aliéner, déséquilibrer ou réduire la liberté des individus. Pour en revenir à cette notion d’externalité, il est pertinent de s’intéresser à ce qu’appelle Marie-Anne Dujarer Le Travail du Consommateur, intitulé de son ouvrage. Elle y met en exergue à la fois l’utilisation croissante du consommateur dans le processus de production (ex. Mc Donalds, Ebay…), mais aussi de plus en plus comme vecteur de communication et même créateur de valeurs pour les marques. On associera aujourd’hui de plus en plus ce travail à du crowdsourcing (sujet que nous développerons plus loin).
D’autres mutations, sociétales cette fois, sont en cours. Tout d’abord il est important de noter que l’individu du XXIème siècle aborde les médias d’une toute autre manière. De ce point de vue, Internet à en effet grandement contribué à révolutionner l’accès à l’information. Ce nouveau média a aussi ouvert la voie à de nouveaux comportements consuméristes. Sur ce point, Gilles Blanc, Chef de projet Etudes au sein de Benchmark Group, souligne qu’Internet constitue un nouveau canal de vente dans le paysage du consommateur, il est donc normal qu’il induise de nouveaux comportements d’achats. Pour prendre conscience de son impact il suffit de constater qu’en l’espace de 10 ans nous sommes passés en France de 209 000 à 20 millions d’acheteurs en ligne83. L’autre évolution majeure tient du fait qu’Internet apparaît désormais comme un moyen accessible à tous : alors qu’à ses débuts on comptait 61,9% d’internautes CSP+ pour 13% de CSP-, on atteint aujourd’hui un certain équilibre puisqu’en 2009 on compte 35,7% de CSP+ et 34,1% de CSP-84.
En effet, si on confronte la courbe de Kuznets avec ce qui se passe effectivement, nous constatons que ses prévisions ne se réalisent pas. De fait, au cours des 20 dernières années, le fossé entre riches et pauvres s’est creusé dans trois pays de l’OCDE sur quatre. Un résultat qui, admet Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, va totalement à l’encontre de la plupart des chiffres officiels. En effet les recherches effectuées par Camille Landais indiquent qu’il y a eu une véritable explosion des hauts revenus puisque ceux-ci ont vu leur part de revenus totaux considérablement augmenter entre 1998 et 2006. Il semblerait que les 0,01% des foyers les plus riches aient vu leur revenu réel croître de 68,9% sur la période (soit un gain de 2835 € sur leur saalire mensuel) tandis que pour les 90% de foyers les moins riches la part de ce revenu total n’a augmenté que de 0,9% (équivalent à un gain de 11 € par mois8)5. Selon Angel Gurría, secrétaire général de l’OCDE, les risques sont clairs : « une inégalité croissante est un germe de division. Elle polarise les sociétés, crée une fracture entre les régions des pays et creuse dans le monde un fossé entre les riches et les pauvres. L’accroissement des inégalités de revenus bloque l’ascenseur social »86. Il semblerait qu’au sein des pays développés nous assistions à la fin de l’époque où les parents étaient persuadés que leurs enfants gagneraient plus qu’eux. En effet, si les revenus des personnes proches de l’âge de la retraite ont augmenté ces 20 dernières années, les enfants et les jeunes adultes ont une probabilité de pauvreté supérieure à 25% à celle de l’ensemble de la population. Le rapport conclu également que la probabilité de pauvreté est trois fois supérieure à la moyenne de la population pour les ménages monoparentaux87. Sur ce point, Remy Oudghiri, directeur du département tendances et prospectives d’Ipsos, explique que jusqu’aux années 1980 la société a connu un enrichissement généralisé, tout le monde en profitait, même les pauvres. En revanche depuis, la tendance s’est inversée. Une étude du Credoc met en exergue la pression que subissent les classes moyennes et les plus pauvres quant au poids des dépenses contraintes (logement, eau, gaz, électricité, assurance, téléphone…) et des dépenses incontournables (alimentation, transport, santé, éducation) 88. Ce rapport met autrement en lumière le fait que la classe moyenne inférieure est aujourd’hui de plus en plus vulnérable. Conséquences pour ces ménages : un pouvoir d’achat sur les revenus arbitrables qui progresse plus lentement chez les classes moyennes : 72% des classes moyennes inférieures déclarent devoir s’imposer régulièrement des restrictions sur certains postes de leur budget, soit plus de 10 points de plus par rapport à l’estimation faite en 1980. Chez les catégories plus modestes, ce sentiment de restriction est quant à lui passé de 71% à 80%89. Pour résumer sur ce point, on constate finalement un amoindrissement du niveau de vie du fait du poids des dépenses contraintes ou incontournables qui on pratiquement doublé depuis 1979. Il est estimé que ce budget représente aujourd’hui près de 90% du budget des plus pauvres et 80% du budget des classes moyennes ! Ainsi, si les ménages ont l’impression de voir leur pouvoir d’achat baisser, cela s’explique par deux raisons majeures. La première vient du fait que leur revenus augmente de manière infime depuis quelques années, alors que les taux de croissances ont été bien plus fort jusqu’au années 1980. Par exemple, entre 1950 et 1968 le pouvoir d’achat a doublé, avec un rythme soutenu à +5,7% par an en moyenne de 1960 à 1974. Cette progression s’est nettement affaiblie (+2,1% par an) à partir de 1974 (crise pétrolière). Un rebond a eu lieu entre les années 1998 et 2002 (+3,4% par an), puis à nouveau un ralentissement de 2002 à 2006 avec seulement +1,9%90 pour chuter finalement avec l’un des taux les plus bas de l’histoire en 2008 puisque la progression des revenus n’affiche que +1,1%91. La seconde raison qui explique ce sentiment d’un pouvoir d’achat en baisse vient du fait que les ménages ont vu leurs dépenses « contraintes » ou « incontournables » peser de plus en plus lourdement sur leur budget global 92. D’ailleurs, pour préserver leur pouvoir d’achat, les ménages ont puisé dans leurs réserves puisque le taux d’épargne des ménages français est passé de 15,6% en 2007 à 15,3% en 2008. Sur ce point il est intéressant de constater que les Américains (dont le revenu disponible progresse même plus lentement qu’en France), commencent à épargner de nouveau. On constate en effet que le taux d’épargne des américains atteint 5,7% en avril, un niveau qui n’avait pas été constaté depuis 199593.
Le crédit à la consommation est en baisse mais inégalement réparti en Europe. En effet, l’étude Sofinco dévoilée en mai 2009 montre qu’en 2008 cinq pays (Royaume-Uni, Allemagne, France, Espagne et Italie) totalisent 76% des crédits à la consommation (en baisse de 2 points par rapport à 2007). Son usage est plus répandu en Europe du Nord (57% des encours) qu’en Europe du Sud (36%), l’Europe de l’Est étant la zone où le potentiel de développement reste fort puisqu’il se place en dernière position avec 7% des encours. L’évolution des encours enregistrés fin 2008 cachent des disparités importantes puisqu’on en compte +26% pour l’Europe de l’Est, +3,8% en Europe du Sud et seulement +2,1% pour les pays d’Europe du Nord. Les plus fortes baisses ont à cette période touché des pays jusqu’ici pourtant très dynamiques : Danemark (-17 points), Espagne (-13 points), Portugal (-11 points) et Italie (-10 points)94. La France, qui déjà en 2008 contractait moins de crédit que la moyenne Européenne (12,7% vs 16,2%) est, depuis avril, en baisse pour le 7ème mois consécutif. Autre constat en France, le crédit à la consommation servirait de plus en plus à boucler les fins de mois. En effet, alors que le recours aux différents types de crédit sert généralement à financer des achats importants dont les ménages ne peuvent faire face avec leur épargne, il s’avère, selon l’association UFC-Que Choisir que de plus en plus ces dernières années, le recours à un crédit « relève moins d’un choix que d’une obligation pour maintenir un niveau de vie et pour financer leurs dépenses incompressibles (vie courante, logement, santé) »95.
Lire le mémoire complet ==> (La consommation : les enjeux du demain)
Dans un marché en pleine mutation, quelles stratégies adopter alors que la crise impose une vision courtermiste ?
Mémoire de fin d’études
Pôle Paris Alternance
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77 Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de vie, publication du 28 mai 2009
78 Propos évoqué dans le communiqué de presse de l’entreprise daté du 4 juin 2009
79 D’après un rapport publié fin mai par les Nations unies
80 Greendex 2009 est la 2ème étude mondiale réalisée par National Geographic et l’institut de sondage GlobleScan. Elle vise à mesurer les habitudes de consommations dans 65 domaines relatifs à la maison, les transports, l’alimentation, les achats et à classer les différents pays sondés en fonction de l’impact environnemental de leurs comportements de consommation
81 Etude cabinet de conseil BIPE 2009
82 Capitalisme, socialisme et démocratie, Schumpeter, 1942
83 Médiamétrie, l’Observatoire des Usages d’Internet (OUI), mai 2009
84 Médiamétrie, l’Observatoire des Usages d’Internet (OUI), mai 2009
85 Les hauts revenus en France (1998-2006) : Une explosion des inégalités ?, Camille Landais, 2007
86 Croissance et inégalité, Rapport OCDE, Ocde.org, novembre 2008
87 Les inégalités de revenus et la pauvreté s’accroissent dans la plupart des pays de l’OCDE, Ocde.org, Octobre 2008
88 Les classes moyennes sous pression, Consommation et Modes de vie, Régis Bigot, Credoc, mars 2009
89 Les classes moyennes sous pression, Consommation et Modes de vie, Régis Bigot, Credoc, mars 2009
90 La mesure du pouvoir d’achat, Ladocumentationfrançaise.fr, 2007
91 La progression du pouvoir d’achat ralentit depuis 2007, Lefigaro.fr, 24 février 2009
92 Eurostat, Roostat BIPE 2007
93 Le taux d’épargne des Américains au plus haut depuis 14 ans, L’expansion.com, 1er juin 2009
94 Le crédit à la consommation en Europe à fin 2008, Etude Sofinco, mai 2009
95 Le crédit à la consommation sert de plus en plus à boucler les fins de mois, Lesechos.fr, 14 juin 2009
 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Pôle Paris Alternance
Auteur·trice·s 🎓:

Dilène SANTOS & Florent FEDOU
Année de soutenance 📅:
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