Les États s’emparent de la RSE : France, Belgique…

B. Quelques dispositifs normatifs : un premier pas vers une responsabilité sociale juridique ?
2. Les États s’emparent de la RSE
L’État, dont le rôle est traditionnellement de garantir l’intérêt commun, apparaît comme l’entité la plus à même de légiférer en matière de RSE et de concilier les intérêts divergents des différentes parties prenantes. En France en matière de RSE, la loi relative aux nouvelles régulations économiques dite loi NRE, adoptée en mai 2001 est la disposition légale la plus emblématique. Elle prévoit dans son article 116 l’obligation de « prendre en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité » dans son bilan annuel. Le décret d’application du 20 février 2002 fixe les thèmes qui doivent figurer dans le rapport : émissions de gaz à effet de serre, égalité professionnelle entre homme et femme ou insertion des handicapés entre autres. La portée de la loi se voit cependant limitée par l’absence de certification et de sanction en cas de non-respect de celle-ci. Les rapports repose donc uniquement sur le discours et la bonne foi des entreprises. Par ailleurs, cette obligation est circonscrite aux entreprises cotées en bourse (environ 700) et ne s’applique qu’à un périmètre très restreint puisqu’elle exclu les filiales installées à l’étranger. Certaines entreprises, apparemment de bonne volonté, ont su exploiter ses limites juridiques. Ainsi, Air liquide, l’Oréal ou Aventis ont rendu des rapports ne prenant en compte qu’une toute petite partie de leurs effectifs totaux, respectivement 11%, 14% et 0,2%, ce qui réduit considérablement la pertinence des données186. En 2005, selon un rapport sur le reporting des entreprises françaises intitulé « La couleur du reporting, le goût du reporting mais est-ce du reporting ? »187, les entreprises semblent succomber à un syndrome dit « Canada Dry ». Cependant, certains groupes se sont consciencieusement prêtés à l’exercice, notamment ceux des secteurs ayant d’importants impacts environnementaux, et l’étude publiée par le groupe Alpha en 2007 montre une amélioration continue de la qualité des informations communiquées. Si le législateur a estimé que cette démarche était trop coûteuse pour les petites et moyennes entreprises, il y a fort à parier que celles-ci ne resteront pas épargnées très longtemps188.
La loi NRE n’est pas une exception française et de plus en plus de pays occidentaux légifèrent en vue d’imposer un reporting social aux entreprises cotées : La loi Sarbanes Oxley aux Etats-Unis en 2002, le Companies Act au Royaume-Uni en 2006 qui s’est aussi doté d’un portefeuille ministériel RSE au sein du ministère du commerce, mais également la Norvège, la Suède et l’Allemagne. En Belgique, les pouvoirs publics sont allé encore plus loin puisqu’ils ont initié un label social en 2002. « L’objectif est d’octroyer ce label à des entreprises qui respectent quatre points clés dans l’ensemble du processus de protection : la liberté syndicale, l’absence de travail forcé, de travail forcé, de travail des enfants et de discrimination »189. Mais la réaction de l’Organisation Mondiale du Commerce ne s’est pas faîte attendre. Un tel label est considéré comme une mesure protectionniste par la gardienne de la libre concurrence. Ainsi, l’obligation de reporting sociétal existe désormais dans la plupart des pays européens et anglo-saxons et en 2005, 64% des 250 plus grandes multinationales ont publié un rapport prenant en compte leurs performances sociales et environnementales, soit au sein du rapport annuel, soit, dans la majorité des cas, dans un rapport distinct. L’enjeu de la reddition de comptes en matière de RSE est de s’exposer au regard de la société en vue d’améliorer la performance sociétale de l’entreprise. La dualité des initiatives nationales et internationales rend la mise en œuvre du reporting complexe. À terme, les démarches nationales en la matière ne feront plus sens et un consensus devra être trouvé.
Cette obligation de reporting s’est accompagnée d’une plus grande possibilité de mise en cause juridique des dirigeants et de l’entreprise en tant que personne morale. La condamnation de Total par le tribunal correctionnel de Paris pour « faute d’impudence » ayant conduit au naufrage de l’Erika en décembre 1999 ouvre une jurisprudence nouvelle en matière environnementale. Pour la première fois en France le tribunal consacre juridiquement le respect de la biodiversité. Le verdict s’inscrit dans le sillage du Grenelle de l’environnement qui avait évoqué la possibilité de durcir les sanctions contre les entreprises causant des dommages environnementaux. Le rapport confié à Corinne Lepage et présenté en janvier 2008 préconisait notamment la création d’un « délit de délinquance écologique », l’instauration de « dommages et intérêts punitifs » ainsi que l’élargissement de la mise en danger délibérée au risque sanitaire et environnemental190.
Enfin, le rapport va jusqu’à suggérer « un principe général de responsabilité des sociétés mères du fait de leurs filiales » qui rendrait possible la poursuite des multinationales dont les filiales auraient porté atteinte à l’environnement. Si rien n’est encore fait, la dynamique est lancée.
Pour le moment, aucun standard de reporting ne s’est encore imposé et les acteurs peuvent donc choisir le référentiel à partir duquel il souhaite être étalonné. À terme, l’établissement de critères internationaux homogènes est souhaitable. Les règles encadrant le marché de la notation sont appelées à se durcir. Si les pressions externes à l’entreprise se font de plus en plus nombreuses et commencent à s’institutionnaliser, l’efficacité de celles-ci pâtie encore d’un déficit d’uniformisation et d’un manque de lisibilité tant pour les entreprises que pour les citoyens. Au regard des pressions convergentes qui s’exercent sur les multinationales, la RSE est désormais perçue comme un enjeu majeur.
Paradoxalement, si l’on considère la définition volontariste de la RSE, ce qui est imposé par la loi ne peut pas être considéré comme relevant de la RSE. Une entreprise ne saurait se proclamer socialement responsable du seul fait de respecter une obligation juridique. Dans ces conditions, quel intérêt l’entreprise a-t-elle à s’investir volontairement dans une démarche de responsabilité sociale allant au-delà de la loi ? La RSE, qui relève de prime abord de valeurs intrinsèquement altruistes, peut également se révéler économiquement profitable pour l’entreprise responsable.
Lire le mémoire complet ==> (Responsabilité sociale : un nouvel enjeu pour les multinationales ?)
Mémoire pour l’obtention du Diplôme
Université PAUL CEZANNE – AIX-MARSEILLE III – Institut D’études Politiques
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186 « Les entreprises rechignent à rendre des comptes », Alternatives Economiques, 1er novembre 2003
187 L’état du reporting sur le développement durable 2005, Elisabeth Laville, Agence Utopies
188JOLLY Cécile, L’entreprise responsable, sociale, éthique, « verte »… et bénéficiaire ?, Edition du Félin, Paris, 2006, op. cit. p94
189 Anne Peeters, responsable de ce dossier auprès du gouvernement belge, citée dans « L’épargne éthique et solidaire et l’évaluation des entreprises », Alternatives Economiques- Pratique n°9- Décembre 2002
190 SMÉE Véronique, « Verdict de l’Erika : le préjudice écologique reconnu », Problèmes économiques n°2.942, février 2008

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Responsabilité sociale : un nouvel enjeu pour les multinationales ?
Université 🏫: Université Paul Cézanne - Aix-Marseille III - Institut d'études Politiques
Auteur·trice·s 🎓:
Sandra Naigeon De Boer

Sandra Naigeon De Boer
Année de soutenance 📅: Mémoire pour l'obtention du Diplôme
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