Le maintien d’une interdiction injustifiée de la gestation ?

Une convention (de gestation pour autrui) dont l’illégalité est contournée par les parties – Section I :
II – La contrariété des systèmes juridiques favorisant la fraude
B – Le maintien d’une interdiction injustifiée ?
« On cesse d’interdire une pratique non pas lorsqu’elle se développe, mais lorsqu’on ne sait plus pourquoi elle est interdite. Si l’interdiction est justifiée, il faut la maintenir »160. Mais, pour diverses raisons, l’interdiction de la gestation pour autrui paraît aujourd’hui injustifiée. Tout d’abord, l’interdiction de la gestation pour autrui semble être une anomalie dans le droit de la procréation médicalement assistée (1) ; puis, ses fondements s’avèrent d’une extrême faiblesse (2). La prohibition a pour conséquence de laisser les intéressés dans un zone de non droit (3), alors que son autorisation permettrait de respecter l’intérêt de toutes les parties en cause (4).
1 – Une anomalie dans le droit de la procréation médicalement assistée
L’interdiction de la maternité pour autrui apparaît aujourd’hui comme une anomalie à l’intérieur du domaine juridique de la procréation médicalement assistée161. La loi du 29 juillet 1994162, qui reconnaît la légalité de l’assistance médicale à la procréation (AMP) et en établit le régime, admet le recours au don de gamètes163 c’est-à-dire qu’elle autorise la procréation artificielle réalisée à l’aide d’un don de spermatozoïdes ou d’ovules. Cependant, l’article L.2141-3 du Code de la santé publique limite le don de gamètes à un seul type, masculin ou féminin. En vertu de ce texte, le double don est interdit164.
L’interdiction de la gestation pour autrui résulte de la superposition des articles 16-7 du Code civil et L. 1244-1 du Code de la santé publique autorisant le don de gamètes.
Dans la maternité de substitution, une femme accepte d’être inséminée avec le sperme de l’époux du couple demandeur. La phase d’insémination passe par un don d’ovocyte, admis par l’article L. 1244-1 du Code de la santé publique et couramment pratiqué. Ce n’est que la deuxième phase, c’est-à-dire la gestation pour autrui, qui est en fait prohibée par l’article 16-7 du Code civil. L’article 16-7 du Code civil est donc confus en ce qu’il distingue procréation et gestation.
Dans une première analyse, la procréation ne vise que la phase de conception, mais alors le texte est en contradiction avec l’article 1244 qui autorise explicitement l’intervention d’un tiers dans la phase de conception, donc la « conception pour autrui ».
Dans une seconde analyse, la procréation s’entend comme le processus qui va de la conception à la naissance.
Mais la conception pour autrui étant admise, ce n’est que la phase de gestation qui est en réalité interdite. Le texte apparaît alors entaché d’illogisme, voire de redondance. La procréation pour autrui est admise dans sa phase de conception, mais la gestation pour autrui est interdite165.
2 – La faiblesse des fondements actuels
Une autre raison de réexaminer la question réside dans la teneur des motifs adoptés par la Cour de cassation en 1991, qui servent de fondements aux décisions judiciaires. Ces motifs, liés à l’illicéité de l’objet des conventions, à l’indisponibilité du corps humain, ainsi qu’à l’indisponibilité de l’état des personnes, s’avèrent d’une extrême faiblesse166.
Le principe de l’indisponibilité du corps humain ne peut être soutenu au regard de l’admission des multiples conventions qui portent sur le corps humain. La loi encadre les nombreux actes qu’une personne est en droit de consentir directement sur son corps, gratuitement, pour des raisons thérapeutiques : collecte du lait167, don du sang168, don de gamètes féminins ou masculins169, don d’organe entre personnes vivantes170, recherches biomédicales auxquelles se prêtent certaines personnes171.
Les auteurs qui ont approfondi cette question ont démontré le caractère fictif d’un tel principe au sujet duquel Mme GOBERT écrit : « C’est dans l’imaginaire plutôt que dans les pratiques que s’est épanoui, comme celui de la liberté de la volonté, le principe de l’indisponibilité du corps, aussi faux que le précédent »172. Les exemples sont multiples pour montrer que le corps n’est pas resté en dehors du commerce juridique, il y est même impliqué de plus en plus. L’affirmation que le corps humain est hors du commerce juridique serait essentiellement doctrinale.
Par ailleurs, la terminologie employée par le législateur de 1994 est éloquente. C’est certainement parce que le principe d’indisponibilité du corps humain s’est avéré irréaliste, vidé de sa substance par le nombre et l’importance de ses exceptions, que le législateur lui a préféré celui de non-patrimonialité, qui figure aujourd’hui aux articles 16-1, 16-5 et 16-6 du Code civil173. Il est donc possible de disposer de son corps à titre de dons, dans les limites de la loi.
Puis, si on prend en compte le recours à l’article 1128 et au principe d’indisponibilité, en faisant abstraction des critiques qui viennent d’être exposées, il faudrait admettre que l’interdiction qui en résulte doit être étendue à l’ensemble des techniques de procréations hétérologues qui supposent la mise à disposition des fonctions reproductrices d’un tiers au profit d’un couple infécond. Le principe d’indisponibilité du corps humain, sur lequel les juges fondent leur décision de 1991, a perdu toute valeur depuis que la loi de 1994 reconnaît licite le don de gamètes.
Enfin, à l’argument de la réification de la mère gestationnelle, nous pourrions objecter que, dans les pays où cette pratique est autorisée, la majorité des mères porteuses sont altruistes et que toutes les parties participent à la grossesse et à l’accouchement. Le couple commanditaire ne voit généralement pas la mère porteuse comme une chose, mais plutôt comme un « miracle », une personne si généreuse qui leur permettra d’être parent, d’autant plus si elle porte l’enfant issu de leurs gamètes.
Pareillement, à l’argument de l’exploitation de la mère gestationnelle, nous pourrions objecter que ce risque est minime en raison des contrôles effectués par des agences et l’intervention d’une autorité judiciaire. De plus, il ne ressort pas des témoignages que la conviction première est la rémunération, mais plutôt une idée de solidarité.
Au risque du conflit de maternité, positif ou négatif, nous pouvons envisager que si la pratique était autorisée, le contrat étant la base de l’engagement, la mère porteuse devrait remettre l’enfant et le couple commanditaire ne pourrait pas refuser l’enfant. En effet, le risque de conflit est minime. A titre d’exemple, il est de l’ordre de 4% aux Etats-Unis et de 2% au Royaume-Uni174.
Quant au principe de l’indisponibilité appliqué à l’état des personnes, il protège pour sa part la filiation en empêchant qu’elle soit laissée à la disposition des intéressés. Cependant, comme nous l’avons vu dans l’introduction, le droit de la filiation tend progressivement à perdre son caractère d’ordre public. De plus, ce principe connaît actuellement certaines exceptions et ne figure dans aucun texte. Tout d’abord, nous y trouvons le régime de l’accouchement sous x, qui permet à la femme qui accouche de ne pas reconnaître l’enfant qu’une autre adoptera. D’ailleurs l’adage Mater semper certa est est aujourd’hui dèsuet. De même, l’adoption atteste de la possibilité de déroger au principe par la mise en place de systèmes parallèles destinés à régir des situations reconnues comme socialement souhaitables. Le don d’ovocyte également entraîne une dissociation de la maternité en conséquence de laquelle l’état civil de l’enfant ne correspon
dra plus à sa filiation réelle. Ce principe n’est pas un obstacle insurmontable à l’admission de la gestation pour autrui175. Il suffirait pour le dépasser que, à l’instar de ce qui a été réalisé relativement à l’adoption, la loi érige cette pratique au rang d’exception.
Il serait également possible que la jurisprudence prenne les devants comme en matière de transsexualisme. Après avoir jugé le contraire176, elle a décidé que le principe d’indisponibilité de l’état des personnes ne fait pas obstacle à la rectification du sexe sur l’acte de naissance d’une personne présentant le syndrome du transsexualisme177. Il reste le nom, que l’on a longtemps dit indisponible, comme l’état dont il fait partie. Mais sur ce point, la loi du 3 janvier 1972 et 11 juillet 1975 ont permis des arrangements à son propos, renforcé par la loi du 4 mars 2002. Bien que la cour se réfère au principe d’indisponibilité de l’état des personnes, il semble que ce principe est loin d’être absolu. On peut même dire qu’il n’existe pas, mais qu’il est opportun de ne pas disposer de l’état d’une personne178.
Comme nous le voyons, les exceptions légales ont toutes un fondement tel que l’intérêt thérapeutique pour le don d’organe. Concernant la gestation pour autrui, la question ne peut être posée en terme de vie ou de mort du bénéficiaire, mais de dèsir et de souffrance morale des couples demandeurs. Le professeur FRYDMAN parle de « médecine du dèsir 179». Ainsi, pour la gestation pour autrui, le fondement pourrait être « le droit à l’enfant » mais uniquement pour des femmes qui ont des ovules mais qui ne peuvent pas assumer la grossesse.
Lire le mémoire complet ==> La convention de gestation pour autrui : Une illégalité française injustifiée
Mémoire présenté et soutenu vue de l’obtention du master droit recherche, mention droit médical
Lille 2, université du Droit et de la Santé – Faculté des sciences juridiques, politiques et économiques et de gestion
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160 Propos de Madame DEKEUWER-DEFOSSEZ lors de son audition devant le Président M. BLOCHE pour la mission d’information sur la famille (procès verbal du 5 octobre 2005).
161 Depadt-Sebag (V.), « De la nécessité d’une réforme de l’article 16-7 du Code civil relatif à l’interdiction de gestation pour autrui » in Revue générale de droit médical, n°12, p. 135, 2004.
162 Loi n° 94-654 du 29 juillet réation et au diagnostic prénatal
163 Art. L. 2141-6, L. 1244-1 du Code de la 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la proc santé publique.
164 Une exception à ce principe est prévue à l’article L. 2141-4 du Code de la santé publique lorsque des embryons excédentaires sont issus d’une FIV. En ce cas, le couple ayant procédé à la fécondation pourra consentir à ce que les embryons surnuméraires soient accueillis par un autre couple.
165 D. 2005, n° 7, p. 476, note DEPADT-SEBAG (V.).
166 DEPADT-SEBAG (V.), « De la nécessité d’une réforme de l’article 16-7 du Code civil relatif à l’interdiction de gestation pour autrui » in Revue générale de droit médical, préc.
167 Art. L. 2323-1 du Code de la santé publique.
168 Art. L. 1221-1 à L. 1224-4 du Code la santé publique.
169 Art. L. 1244-1 à L. 1244-9 du Code de la santé publique.
170 Art. L. 1231-1 à L. 1231-5 du Code de la santé publique.
171 Art. L. 1121-1 à L. 1132-5 du Code de la santé publique.
172 GOBERT(M), « Réflexions sur les sources du droit et les « principes » d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, à propos de la maternité de substitution », R. T. D. Civ.1992, p. 489 et spéc. p. 513.
173 Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994.
174 Voir « La gestation pour autrui, aspects éthiques, juridiques et médicaux, état des lieux en 2006 » ; site Internet : www.maia-asso.org
175 HAUSER (J.) et HUET-WEILLER (D.), Traité de droit civil, La famille 2ème éd., L.G.D.J., n°517
176 Cass. Civ. 1ère, 16 déc. 1975, 1re esp., D. 1976, Jur. p. 397, note LINDON.
177 Les conditions posées sont que, à la suite d’un traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique, cette personne ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe auquel correspond son comportement social, Cass. Ass. Plén. 11déc. 1992, Bull. ass. Plén. n°13 ; D. 1993, I.R. p. 1 ; RTD civ. 1993, p. 97, obs. Hauser (J.). La cour a statué ainsi car la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné la France au motif que la solution adoptée par la première chambre civile conduirait à la violation du droit à la vie privée de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ; CEDH, 25 mars 1992, D. 1993, Jur. p. 101, note Marguénaud (J.-P) ; JCP 1992, II, note Garé.
178 POISSON-DROCOURT (E.), D. 2004 Jurisp. p. 1998.
179 FRYDMAN (R.), FLIS-TRÊVES (M.), KOEPPEL (B.), Les procréations médicalement assistées : vingt ans après, éd. O. Jacob, 1998, p. 113.
180 DEPADT-SEBAG (V.), « De la nécessité d’une réforme de l’article 16-7 du Code civil relatif à l’interdiction de gestation pour autrui » in Revue générale de droit médical, préc.

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