La vente de médicaments en ligne en France

La vente de médicaments sur l’internet en France

Université de Toulouse I Sciences sociales

Mémoire pour le master droit des contrats et de la responsabilité des professionnels

La vente de médicaments sur l’internet en France

La vente de médicaments sur l’internet

Présente par

Mademoiselle Camille Bouchaïb

Sous la direction de

Madame Céline Castets-Renard

Année universitaire

2006 – 2007

Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteur et n’engagent pas l’Université de Toulouse I- Sciences Sociales

1- Le Traité de Rome prône la libre circulation de marchandises, mais il est des produits qui, en raison de leur caractère dangereux ou technique, ne peuvent être délivrés librement au public.

C’est le cas des médicaments1, dont l’utilisation présente un danger pour la santé humaine. Or, chaque Etat est libre de décider du traitement qu’il décide de réserver à ces produits.

Le droit français règlemente strictement la commercialisation des médicaments, conformément à des impératifs de santé publique et de protection du consommateur. Cependant, l’internet attire toutes sortes de commerces car il constitue un espace sans contact physique ni frontière.

La vente de médicaments en ligne bouleverse le mode de distribution traditionnel, il convient donc de déterminer quel est le contexte juridique de l’e-commerce de médicaments.

Les pharmaciens français n’ont pas encore tenté l’expérience du commerce électronique de médicaments. En revanche, à l’étranger, les pharmacies électroniques se sont développées. Trois types de pharmacies se retrouvent sur la Toile.

Certaines livrent des médicaments aux patients après avoir obtenu une ordonnance électronique d’un médecin, processus légal dans de nombreux pays.

D’autres enfreignent la plupart des législations, en employant des médecins qui prescrivent des médicaments sur la seule base d’informations recueillies à partir d’un succinct questionnaire en ligne, puis les font parvenir au patient virtuel.

Les plus illégales d’entre elles ne se fatiguent pas avec ces convenances et livrent partout dans le monde des médicaments, souvent contrefaits, à toute personne dans la capacité de les payer.

2- Les contrôles sont difficiles à effectuer sur l’internet car l’identification des responsables est souvent malaisée.

Chacun peut commercer sur l’internet, quelle que soit sa qualité, à partir de peu de moyens.

A cela il faut ajouter que l’internet est un lieu qui dématérialise les échanges et rend l’appréciation de concepts et exigences juridiques « physiques » délicate. En outre, le dépassement des frontières, en permettant un essor exponentiel du commerce international, génère des difficultés nées de l’inadéquation des différentes exigences juridiques nationales.

Ainsi, le commerce de médicaments en ligne peut présenter de nombreux risques.

L’internet permet l’acquisition de certains médicaments sans ordonnance, alors qu’ils sont soumis à prescription médicale obligatoire dans le pays de résidence de l’acheteur.

Les informations fournies peuvent être erronées, inexistantes, voire en langue étrangère. Certaines pharmacies électroniques permettent la délivrance de médicaments aux clients sans l’intervention de pharmaciens diplômés.

Les produits, s’ils arrivent effectivement à destination, peuvent ne pas être conformes, être périmés ou avoir été transportés dans des conditions ne permettant pas leur préservation.

Le statut des médicaments diffère d’un pays à l’autre, la conception du monopole pharmaceutique est disparate et les exigences qui en découlent divergent selon les législations sanitaires. Si la disparité des législations sanitaires conduit à préconiser une harmonisation à l’échelle mondiale, il semble vain d’espérer une telle évolution.

Dès lors, il faut confronter le contexte juridique de la vente de médicaments avec les particularités de l’internet afin d’envisager quelle pourrait être la réception de la commercialisation de médicaments en ligne en droit français.

3- Force est de constater que la pratique est déjà courante et encadrée dans le commerce « B to B »2, car elle ne génère pas autant d’interrogations d’ordres déontologique et juridique.

Les laboratoires Roche Pharma et Direct Medica, sites professionnels de commande en ligne de produits pharmaceutiques, ont réalisé en janvier 2003 une enquête sur l’utilisation de l’internet dans les officines françaises.

Sur 4000 pharmaciens interrogés, 39% ont déclaré posséder un accès à l’internet, dont les neuf dixièmes depuis plus d’un an. Parmi les pharmaciens internautes, 360 ont été interrogés sur leurs pratiques en ligne.

Il en ressort que 51% d’entre eux utilisaient déjà la commande en ligne et 65% se disaient favorables à cet outil de commande.

Les trois quarts des pharmaciens connectés assuraient suivre régulièrement l’actualité pharmaceutique sur l’internet et 60% se montraient favorables à la formation interactive sur l’internet.

4- En revanche, la vente de médicaments à des particuliers suscite davantage d’interrogations.

Le patient n’est en effet pas un consommateur classique, le pharmacien est un commerçant soumis à un statut particulier et les médicaments sont des marchandises potentiellement dangereuses.

Si les pharmacies virtuelles peuvent être fort utiles et pratiques pour les personnes âgées, à mobilité réduite ou les travailleurs trop occupés, sans contrôle ni règlementation, elles peuvent entraîner de nombreux dangers. En effet, l’internet perturbe la méthode juridique par ses caractéristiques fondamentales.

Cependant, les relations entre les individus dans ce contexte doivent pouvoir s’inscrire dans un cadre juridique, afin que la protection des acteurs du cyber-espace soit assurée.

La Directive 97/ 7/ CE du 20 mai 1997 sur la vente à distance prévoit que les Etats membres puissent interdire sur leur sol la commercialisation par contrat à distance de médicaments pour des raisons d’intérêt général3.

Si la vente en ligne de médicaments a pris son essor dans de nombreux Etats, sa consécration par le droit français n’a pas été effectuée par le législateur.

Il n’a pas non plus souhaité interdire formellement la pratique, mais celle-ci se heurte à un encadrement législatif et règlementaire rigoureux qui empêche de considérer la santé comme un marché. En l’absence de procédé légal d’acquisition de médicaments, les consommateurs se tournent vers des sites localisés à l’étranger.

Or ces derniers, qu’ils soient agréés ou non dans leur pays d’établissement, ne répondent pas aux exigences sanitaires françaises.

Il est évident que l’internet permet avant tout l’accès à des médicaments que les consommateurs ne peuvent se procurer par des moyens légaux sur leur territoire. Cependant, deux remarques peuvent être avancées.

Il est des pays dans lesquels l’approvisionnement en médicaments est extrêmement lacunaire et les systèmes de remboursement sont souvent inadéquats.

En outre, la vente en ligne peut présenter de nombreux avantages : les personnes à mobilité réduite ou qui manquent de temps n’auraient plus besoin de se déplacer à l’officine ; les officines électroniques seraient en outre exonérées de nombreux frais tenant à l’exploitation d’une officine matérielle ; le panel de médicaments proposés à la vente pourrait être plus large, ainsi leur coûts seraient diminués, etc.

Quoiqu’il en soit, il n’est plus à évaluer le rapport entre les inconvénients et les avantages de la pratique, puisqu’elle existe déjà et peut être frauduleusement à la disposition des consommateurs.

Ainsi, le législateur devra prendre en considération ces évolutions car il semble que l’e-commerce des produits de santé soit un écueil inévitable.

Certaines dispositions ne présentent aucune difficulté lors de leur transposition sur l’internet mais nous verrons que d’autres s’avèrent d’application malaisée, voire impossible sur ce support de vente.

1 Article L. 5111- 1 du Code de la santé publique : « on entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que tout produit pouvant être administré à l’homme ou à l’animal, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques » voir infra.

2 L’expression « B to B » signifie “ Business to Business ”, par opposition au commerce “ B to C ”, commerce entre professionnels et consommateurs : “ Business to Consumer ”.

3 Directive 97/ 7/ CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 1997, JOCE L 144 du 4 juin 1997, page 19, considérant n°24.

5- L’immatérialité constitue la substance première de l’internet, tandis que la législation française en matière de santé se réfère souvent à des concepts physiques. Or, ces concepts sont érigés afin de protéger la santé publique.

Cette dernière notion n’est pourtant pas autonome, les impératifs de santé publique divergent d’un Etat à l’autre.

Ainsi, les législations nationales en matière de protection de santé publique ne sont pas similaires. Cette disparité induit des difficultés dans l’appréhension des transactions transfrontières. Or, l’internationalité constitue le second fondement de l’internet.

Le processus de vente en ligne de médicaments soulève des interrogations à la manière des poupées gigognes.

Force est de constater que la législation française appliquée à l’internet se heurte généralement aux deux caractéristiques fondamentales de ce support, l’immatérialité et la internationalité. Les lois françaises sont destinées à être appliquées sur un territoire physique et cloisonné.

Or, l’internet constitue un lieu de commercialisation immatériel et international.

Surgit d’emblée la difficulté qui émane de l’hypothèse d’une vente en ligne transfrontière de médicaments : comment mettre en harmonie différentes règles et exigences nationales lorsqu’elles s’enchevêtrent dans un unique rapport de droit immatériel ?

Cette problématique conduit de prime abord à confronter la législation française régissant la commercialisation de médicaments avec les caractéristiques fondamentales de l’internet, notamment avec sa spécificité première, l’immatérialité.

Cette analyse amène le second propos.

L’étude de la législation française régissant la distribution des produits pharmaceutiques met en exergue le fait qu’elle est par nature destinée à régir l’espace territorial français ; ainsi, chacune de ses dispositions se heurte au caractère international du réseau.

Le débat ne doit cependant pas se clore au constat de l’absence d’harmonisation des législations sanitaires à l’échelle mondiale.

Il convient dès lors d’envisager l’hypothèse de la vente de médicaments dans un contexte interétatique. Les difficultés qui en surgissent sont nombreuses mais les solutions pouvant être proposées afin de les appréhender le sont tout autant.

Ces réponses, alliées à celles envisagées en réponse à l’immatérialité de l’internet, permettront d’imaginer quelles pourraient être les perspectives de la consécration juridique du commerce électronique de médicaments.

Afin de simplifier le propos, il est donc possible d’adopter un raisonnement en deux temps.

La réflexion portera sur la vente de médicaments en ligne dans un contexte national (Partie I), afin de l’envisager dans un contexte interétatique (Partie II).

Partie 1- La vente de médicaments en ligne dans un contexte national

6- Il est manifeste que le support interactif rend la lecture et l’application de la loi française malaisées, mais ce constat ne date pas de la création de l’internet, puisqu’il est né de l’internationalisation des échanges.

Ainsi, il convient de mener la réflexion au-delà des difficultés engendrées par l’absence d’harmonisation en matière de santé publique, et d’analyser la législation française qui régit la commercialisation de médicaments.

Il est nécessaire de mettre en exergue les dispositions qui semblent de prime abord d’application délicate à l’internet, afin de déterminer quelle est la légalité de la vente en ligne de médicaments. Certaines dispositions législatives paraissent difficilement transposables, d’autres constituent de réels obstacles à l’acceptation de la pratique.

Pour autant, ces difficultés ne doivent pas mettre un terme au débat.

En effet, il ne faut pas non plus occulter les avantages que peut présenter l’internet, et s’interroger sur la mise en adéquation des exigences françaises avec ce lieu de vente immatériel, au sein duquel une relation virtuelle entre les parties est établie.

L’ambition du droit de la santé publique est grande, puisqu’il s’agit d’en assurer la protection ; la rigueur de la législation française régissant la vente de médicaments l’est tout autant.

La commercialisation de médicaments constitue un processus complexe qu’il est nécessaire de fractionner afin d’en envisager les potentialités sur l’internet.

Ainsi, avant de faire l’objet d’une vente, le médicament doit avoir fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché par les autorités sanitaires compétentes, il est aussi possible que les distributeurs souhaitent faire la promotion du produit.

Ensuite, il faut envisager les exigences qui relèvent du lieu commun de la commercialisation des médicaments, à savoir l’officine, administrée par un pharmacien.

Enfin, la délivrance du médicament par ce dernier finalise le déroulement de l’acte de commerce en garantissant, par la dispensation qui lui est associée, la sécurité et l’information nécessaires à un usage adéquat du produit.

La scission en étapes de la vente de médicaments permet de clarifier les difficultés qu’elle génère lorsqu’elle est envisagée sur l’internet.

L’applicabilité des règles à l’internet peut s’analyser en amont du processus, les actes préalables de l’industrie pharmaceutique (Titre I) permettent de poursuivre la réflexion sur les conditions relatives à l’exploitation d’une officine pharmaceutique (Titre II).

Enfin, l’hypothèse d’une officine électronique suppose la dispensation du médicament dans le respect de la relation entre le pharmacien et son client (Titre III).

Table des matières :

Partie 1- La vente de médicaments en ligne dans un contexte national

Titre I- Les actes préalables de l’industrie pharmaceutique

Chapitre 1- L’applicabilité des autorisations de mise sur le marché à l’internet

Section 1. La procédure nationale d’autorisation de mise sur le marché

Section 2. Les procédures communautaires d’autorisation de mise sur le marché

Chapitre 2- L’applicabilité des règles régissant la publicité de médicaments à l’internet

Section 1. Régime juridique de la publicité de médicaments

Section 2. La publicité de médicaments véhiculée via l’internet

Titre II- Les conditions relatives à l’exploitation d’une officine pharmaceutique

Chapitre 1- Les règles générales encadrant la profession de pharmacien

Section 1. Le monopole pharmaceutique

Section 2. Les conditions d’accès à la profession

Chapitre 2- Des règles strictes liées à la structure officinale

Section 1. L’octroi des licences d’exploitation

Section 2. Les conditions d’exercice au sein d’une officine pharmaceutique

Titre III- La délivrance du médicament dans le respect de la relation entre le pharmacien et son client

Chapitre 1- La dispensation du médicament à l’épreuve de la virtualité

Section 1. La méfiance des juridictions françaises à l’égard du respect du référentiel déontologique sur l’internet

Section 2. Allègement de l’obligation de conseil sur l’internet en parapharmacie

Chapitre 2- Le dépassement des obstacles grâce aux évolutions technologiques et juridiques

Section 1. La transmission sécurisée d’une ordonnance électronique

Section 2. Le respect du secret médical sur l’internet

Section 3. Le respect des obligations de résultat sur l’internet

Partie 2- La vente de médicaments en ligne dans un contexte interétatique

Titre I- Les réponses à l’internationalité

Chapitre 1- Les réponses du droit international privé

Section 1. La juridiction compétente sur l’internet

Section 2. La loi applicable à l’internet

Chapitre 2- Une solution pénale en renfort

Section 1- Les infractions que le cyber-consommateur de médicaments est susceptible de commettre

Section 2. Les infractions que le cyber-pharmacien est susceptible de commettre

Section 3. La contrefaçon de médicaments, une infraction partagée

Titre II- Aperçu des potentialités a la lumière des acquis étrangers

Chapitre 1- L’expérience américaine des pharmacies électroniques

Section 1. La solution américaine de la libéralisation des pharmacies online

Section 2. Les apports nés du commerce transfrontière entre les Etats-Unis et le Canada

Chapitre 2- L’expérience communautaire allemande à la lecture de l’arrêt « DocMorris »

Section 1. Une interdiction totale de la vente de médicaments par correspondance disproportionnée

Section 2. Une interdiction totale de la publicité pour la vente par correspondance de médicaments incompatible avec le droit communautaire

Titre III- Les solutions préconisées par les autorités sanitaires

Chapitre 1- La prévention des pratiques illicites par la communication au public

Section 1. La prévention par l’information du public

Section 2. La prévention par une promotion de qualité

Chapitre 2- Les autres solutions envisageables

Section 1. La répression de la contrefaçon de médicaments par la législation

Section 2. Le respect de la législation sanitaire française à l’épreuve de l’internationalité

Sommaire:

  1. L’autorisation de mise sur le marché des médicaments à l’internet
  2. Régime juridique de la publicité de médicaments sur l’internet
  3. La publicité de médicaments véhiculée via l’internet
  4. Les règles encadrant la profession de pharmacien en France
  5. Conditions d’exploitation d’une officine électronique française
  6. La loi française et la vente de médicaments via l’internet
  7. L’obligation de conseil pharmaceutique sur l’internet
  8. La transmission sécurisée d’une ordonnance médicale électronique
  9. Le respect du secret médical sur l’internet
  10. Le respect des obligations, la vente en ligne de médicaments
  11. La vente de médicaments en ligne dans un contexte interétatique
  12. La juridiction française compétente, l’e-commerce de médicaments
  13. La loi française applicable à l’internet, Le cyber-pharmacien
  14. Infractions commises par le cyber-pharmacien et le cyber-consommateur
  15. La contrefaçon de médicaments via l’internet, Infraction partagée
  16. La libéralisation des pharmacies électroniques aux Etats-Unis
  17. Commerce transfrontière de médicaments entre Etats-Unis et Canada
  18. L’expérience communautaire allemande à la lecture de l’arrêt DocMorris
  19. Interdiction de la publicité pour la vente par correspondance de médicaments
  20. Les autorités sanitaires et le commerce de médicaments en ligne
  21. Prévention des pratiques illicites de la vente en ligne de médicaments
  22. La répression de la contrefaçon de médicaments par la législation
  23. Respect de la législation sanitaire française à l’épreuve de l’internationalité

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