La soft law ou les usages applicables sur l’Internet

Le complément éducatif à la responsabilisation : l’autorégulation – Section II :
Si la réglementation est relativement efficace dans le cadre national de chaque pays, elle n’en demeure pas moins insuffisante au niveau international.
Le premier problème qui se pose est la détermination de la loi applicable.
D’abord, le « spamming » est un concept changeant. Un fait répréhensible dans un État au titre du « spamming » ne le sera pas forcément dans tous les États. D’ailleurs, tous les États n’ont pas pris de réglementation spécifique pour le « spamming ». Parfois le « spamming » est réglementé au titre d’un autre droit, le plus souvent le droit au respect de la vie privée, parfois il n’est pas réglementé du tout. Ensuite, il faut appliquer les règles de conflit de lois du droit international privé, sachant que celles-ci peuvent diverger271 d’un pays à l’autre, dans la mesure où le droit international privé est l’application d’un droit national à une situation internationale.
Enfin, afin de déterminer la règle de conflit bilatérale applicable, il faut s’intéresser à l’élément de rattachement. Il s’agit de faire entrer le concept dans une catégorie juridique reconnue dans l’État en question. Par exemple, en France, dans quelle catégorie devons-nous faire entrer le « spamming » ? A priori, la qualification la plus adaptée est celle de la responsabilité extracontractuelle. La loi applicable est alors celle du lieu du dommage. Mais où s’est-il réalisé ? Au lieu d’hébergement du serveur, au domicile du « spammeur » ou au domicile du « spammé » ? De plus, il faut réserver l’intervention de l’ordre public international qui est un mécanisme d’éviction de la loi étrangère normalement applicable et de substitution de la loi française.
La détermination de la loi applicable n’est alors pas aisée. Pour s’en convaincre, il suffit de s’intéresser à la loi suisse applicable au « spamming », à savoir la loi de protection des données personnelles de 1992272. Cette dernière ne s’applique qu’aux personnes qui traitent des données en Suisse. Selon le Préposé fédéral à la protection des données273, « si l’usage abusif de votre adresse électronique est commis en dehors de Suisse, le recours aux voies de droit devient extrêmement difficile. Dans de tels cas, la législation en vigueur dans le pays où est traitée l’adresse électronique, est applicable. »
Le second problème concerne l’exequatur d’une décision rendue à l’étranger, c’est-à-dire la reconnaissance de cette décision dans l’ordre juridique interne du pays où est demandé l’exequatur. Cette dernière pourra ainsi être refusée lorsque par exemple les conceptions de l’ordre juridique où elle est demandée ne s’opposent pas au « spamming ».
La réglementation étatique pose ainsi problème dans un contexte international. Si elle est nécessaire, elle n’en demeure pas moins insuffisante.
Elle doit en conséquence être combinée avec l’autorégulation, les utilisateurs privés régulant de leur propre initiative l’envoi de « spams ». L’autorégulation est donc un complément éducatif nécessaire à la mise en place d’une réglementation. En effet, elle permet à chaque utilisateur privé de prendre conscience du problème du « spamming » et de participer à son encadrement.
C’est l’utilisation des usages ou des chartes ou codes de conduite. Il s’agit de règles issues d’un usage général et prolongé274 et de la croyance en l’existence d’une sanction à l’inobservation de cet usage275. Le professeur REIDENBERG276 parle d’ailleurs de la « lex informatica », par référence à la « lex mercatoria » en droit commercial. La « lex informatica » se définit alors selon Éric LABBE277 « comme un corps de règles rigides reposant sur la programmation effectuée par des informaticiens, une construction technique imposant des choix quant à l’accès au réseau et à son utilisation. »
L’éducation des acteurs privés d’Internet est ainsi une condition nécessaire de l’efficacité d’une réglementation de lutte contre le « spamming ». Elle passe par l’instauration d’une part d’une « soft law » c’est-à-dire l’instauration d’usages (§1), d’autre part de sanctions dissuasives en cas de violation de ces codes ou chartes (§2).
§1- La « soft law » ou les usages
Les usages applicables sur le Net sont de divers types : certains concernent tous les utilisateurs d’Internet, c’est le cas de la Netiquette278 (A), d’autres sont spécifiques aux utilisateurs d’un site ou service Web ou aux professionnels (B).
A)- Les usages généraux : la Netiquette
Il existe des usages généraux qui s’appliquent à tous les acteurs de l’Internet. C’est la Netiquette, qui est la charte de conduite de tous les utilisateurs d’Internet qu’ils soient des particuliers ou des professionnels. Cette charte vise à éviter les abus sur Internet en application du principe de bonne foi279. C’est l’utilisation efficace de la technologie pour communiquer avec d’autres personnes dans un cadre professionnel ou particulier avec courtoisie, connaissance et compréhension280.
Elle est d’ailleurs reconnue par le droit comme un usage. En effet, certaines décisions se réfèrent implicitement à la Netiquette. Par exemple, en France, sur le fondement de l’article 1135 du Code civil qui prévoit que « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature »281, le Tribunal de Grande Instance de Rochefort sur mer, dans son ordonnance du 28 février 2001282, fait référence à l’« usage proscrivant le recours au «spamming» dans les groupes de discussion ». Une telle référence pourrait encore283 découler au Québec de l’article 1434 du Code civil : « Le contrat valablement formé oblige ceux qui l’ont conclu non seulement pour ce qu’ils y ont exprimé, mais aussi pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi ».
De plus, d’autres décisions se réfèrent directement à la Netiquette. Ainsi, au Canada, la Cour suprême d’Ontario le 14 juin 1999284 a fait directement référence « aux règles de bonne conduite établies dans les principes de Netiquette ».
En l’espèce285, un prestataire de services Internet Nexx Online décide de fermer le compte d’hébergement d’un de ses clients, la société 1267632 Ontario Inc., gestionnaire du site Beaverhome.com. La fermeture a été prononcée au motif que, depuis le 31 mars 1999, Beaverhome.com avait procédé à l’envoi journalier de plus de deux cent mille messages non sollicités via les services d’un tiers prestataire. Or, cette pratique est réputée contraire aux règles de la fameuse Netiquette auxquelles le contrat d’hébergement renvoie expressément. La société cliente estime néanmoins que la Nexx Online n’était pas fondée à déconnecter son site et décide de la poursuivre pour non-respect de ses obligations contractuelles.
Ne disposant d’aucune législation spécifique au « spamming » ni d’aucun précédent jurisprudentiel, la Cour s’est en conséquence référée à la jurisprudence américaine286 et à un article américain287 pour déterminer le contenu de la Netiquette. De son étude, elle conclut que l’envoi de courriers publicitaires non sollicités contrevient aux principes émergents de la Netiquette, à moins que le fournisseur de service ne l’ait expressément permis.
De plus, la société cliente était tenue de respecter les règles de la Netiquette, dans la mesure où son contrat y renvoyait. En conséquence, la déconnexion du site ne violait pas les obligations contractuelles. La Cour suprême d’Ontario a par cette décision conféré force juridique aux règles de la Netiquett
e, lorsque ces règles sont insérées dans un ensemble contractuel.
La Netiquette est alors un ensemble de règles applicables à tous les Internautes sans distinction. C’est un usage général du Net. Mais ce n’est pas le seul usage. En effet, il existe d’autres usages spécifiques à certains Internautes, ce sont les codes ou chartes de conduite (B).
B)- Les usages spécifiques : les codes et chartes de conduite
D’autres usages sont spécifiques à certains Internautes. Sont concernés les utilisateurs de certains sites ou services Web et les professionnels.
D’une part, certains codes et chartes de conduite sont spécifiques aux utilisateurs de certains sites ou services Web. Il s’agit notamment des conditions générales d’utilisation du dit site ou service, et du recours aux labels.
D’abord, certains sites ou services prévoient des conditions générales d’utilisation. En ce cas, l’utilisateur passe un contrat avec l’hébergeur ou le fournisseur d’accès Internet ou avec le moteur de recherche. C’est une pratique très répandue. Presque tous les sites Internet prévoient des conditions générales288, dans lesquelles ils prohibent l’usage du « spamming ».
La jurisprudence fait d’ailleurs application de ces conditions générales.
Ainsi, le Tribunal de Grande Instance de Paris, dans son ordonnance du 15 janvier 2002289, affirma que « la pratique du SPAMMING considérée dans le milieu de l’Internet comme une pratique déloyale et gravement perturbatrice, est contraire aux dispositions de la charte de bonne conduite. » Cette charte de bonne conduite est celle de Liberty Surf et de Free, spécifiée dans le contrat d’abonnement aux services.
Il peut encore s’agir de l’insertion290 de clauses contractuelles dans les conventions de fournisseurs d’accès Internet. Ce sont des « Principes d’Utilisation Acceptable »291 qui se réfèrent ou s’inspirent de la Netiquette. L’envoi d’e-mails non sollicités provoquant des plaintes des destinataires est alors interdit, tout comme la falsification d’un en-tête d’un message ou l’utilisation d’un compte de fournisseur d’accès Internet pour adresse de réponse.292
Ensuite, la loi encourage parfois les utilisateurs d’un service à se regrouper sous un label garantissant le non-recours à certaines pratiques interdites ou déloyales comme le « spamming ».
Ainsi, aux États-Unis, le projet de loi du Data Privacy Act en 1997 prévoyait la rédaction d’un code de conduite volontaire par un groupe de travail. Une fois adopté, ce code devait s’appliquer aux fournisseurs d’accès Internet et aux personnes l’ayant accepté. En conséquence, les adhérents bénéficiaient d’un logo signalant leur appartenance à ce code293.
D’autre part, d’autres codes de conduite ne concernent que les professionnels. Il s’agit notamment dans le domaine de la publicité du Code international de pratiques loyales de la Chambre de Commerce Internationale294. Ce code prévoit ainsi que la publicité doit être loyale295 et clairement identifiable comme telle, quel que soit le support utilisé296. Ce code est complété par le Code international de marketing direct297 qui affirme avec encore plus de force l’obligation de loyauté298 du publicitaire. De plus, sont garantis à l’article 24 les droits du consommateur de « demander à être rayé de la liste de marketing ; exiger que les données les concernant ne soient pas communiquées à des tiers; rectifier les données inexactes conservées à leur sujet. » Enfin, le publicitaire doit respecter les souhaits du consommateur ne désirant plus recevoir de publicité299.
Des codes ou chartes de conduite ont donc été instaurés pour permettre une meilleure régulation d’Internet et une lutte contre le « spamming ». Toutefois, il ne suffisait pas d’instaurer de tels codes pour qu’ils soient respectés, encore fallait-il prendre des sanctions dissuasives en cas de violation de ces codes ou chartes (§2).
Lire le mémoire complet ==> (Publicité indésirable et nouvelles technologies : Étude du spamming en droit comparé)
Mémoire Pour l’Obtention du D.E.A. de Propriété Intellectuelle CEIPI
Université ROBERT SCHUMAN STRASBOURG III
___________________________________
271 Il faut noter cependant que les règles de droit international privé sont relativement convergentes entre pays à économie développée.
272 Loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (LPD), http://www.admin.ch/ch/f/rs/c235_1.html
273 http://www.edsb.ch/f/aktuell/index.htm

274 C’est l’élément matériel, la repetitio.
275 C’est l’élément psychologique, l’opinio necessitatis.
276 Joel REIDENBERG, « Lex Informatica : The Formulation of Information Policy Rules Throught Technology », (1998) 76 Tex. L. Rev.. 553, 554 : « […] the set of rules for information flows imposed by technology and communication networks form a «Lex Informatica» that policymakers must understand, consciously recognize, and encourage. »
277 Voir l’analyse critique d’Eric LABBE de la « lex informatica », « La technique dans la sphère de la normativité : aperçu d’un mode de régulation autonome », spécialement « i. La normalisation des comportements », http://www.juriscom.net/uni/doc/20001108.htm
278 Network Etiquette.
279 Sophie LOUVEAUX, « Le « Spamming » : Etat de la question », http://www.droit.fundp.ac.be/textes/louveaux9.pdf
280 « Using technology effectively to communicate with others both personally and professionally with knowledge, understanding and courtesy », http://www.onlinenetiquette.com
281 Id.
282 Tribunal de Grande Instance de Rochefort, ordonnance de référé, le 28 février 2001, sur http://www.foruminternet.org/documents/jurisprudence/lire.phtml?id=269
283 Lionel THOUMYRE, « Résumé de la jurisprudence canadienne relative aux courriers non sollicités », http://www.juriscom.net/txt/jurisca/cns/resum.htm
284 Cour suprême d’Ontario, le 14 juin 1999, décision 1267632 Ontario Inv. v. Nexx Online Inc. http://www.legi-internet.ro/ontariov.htm
285 Pour un résumé en français de l ‘affaire par Lionel THOUMYRE : http://www.juriscom.net/txt/jurisca/cns/resum.htm
286 LA Cour se réfère à quatre décisions : Cour de district de Pennsylvanie, Memorandum Opinion du 4 novembre 1996, Cyber Promotion Inc. v. American Online Inc. sur http://legal.web.aol.com/decisions/dljunk/cyber.html ; Cour de district d’Ohio, le 3 février 1997, CompuServe Inc. v. Cyber Promotions Inc. sur http://www.spamlaws.com/cases/compuserve.html ; Cour de district de Pennsylvanie, le 30 septembre 1997,Cyber Promotions, Inc. v. Apex Global Information Services Inc. sur http://www.parrhesia.com/cyberpromo.html ; Cour de district de Travis au Texas, le 10 novembre 1997, Parker v. C.N. Enterprises sur http://www.cyberlaw.at/faelle/parker_v_nowak.html
287 John LEVINE, « Why is spam bad? » , http://spam.abuse.net/spambad.html
288 Pour quelques exemples : « AUCUN «SPAMMING»: L’utilisateur n’emploiera pas le présent site Internet pour envoyer des courriers électronique de type publicitaire, ou «Spamming» ou tout autre mail à vocation commerciale (sauf autorisation expresse de Stéphane Solvyns). L’utilisateur est tenu de ne pas envoyer de messages à toute personne n’ayant pas sollicité celui-ci. » sur http://www.aoi.be/production/divers/conditions.php ; « 5-» Spamming «, » junk mail » et chaînes de lettres : L’utilisation par l’internaute du service K-ouah à des fins frauduleuses ou nuisibles, telles que, notamment, l’envoi en nombre de messages non sollicités et autres faits du type » spamming » sont f
ormellement interdits » sur http://www.k-ouah.com/k-ouah/charte.php.
289 Tribunal de Grande Instance de Paris, ordonnance de référé, le 28 février 2002, http://www.foruminternet.org/documents/jurisprudence/lire.phtml?id=260
290 Une telle insertion est répandue de par le monde. On peut citer notamment l’exemple de la Russie. Victor NAUMOV, « Legal aspects of spam in Russia », http://www.russianlaw.net/english/ae06.htm
291 Acceptable Use Policy
292 « Communications commerciales, Questions particulières », Les Cahiers du CRID numéro 19, page 131s, spécialement page 143, numéro 266
293 Sophie LOUVEAUX, « Le « Spamming » : Etat de la question », http://www.droit.fundp.ac.be/textes/louveaux9.pdf
294 Code international ICC de pratiques loyales en matière de publicité de 1997, http://www.iccwbo.org/home/statements_rules/rules/1997/translations/pratiques_en_matiere_de_publicite.asp
295 Article 1 : « Toute publicité doit se conformer aux lois, être décente, loyale et véridique. Toute publicité doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale et doit être conforme aux principes de la concurrence loyale tels qu’ils sont généralement admis dans les relations commerciales. Aucun message publicitaire ne doit être de nature à dégrader la confiance que le public doit pouvoir porter à la publicité. »
296 Article 12 : « La publicité doit pouvoir être nettement distinguée comme telle, quels que soient la forme et le support utilisés; lorsque le message publicitaire est diffusé dans des médias qui comportent également des informations ou des articles rédactionnels, il doit être présenté de façon que son caractère publicitaire apparaisse instantanément. »
297 Code international ICC de marketing direct de 2001, http://www.iccwbo.org/home/statements_rules/rules/2001/translations/Code%20international%20de%20marketing%20direct.asp
298 Article 2 : « Toutes les activités de marketing direct doivent être loyales à l’égard du consommateur. Elles doivent être conçues et exécutées de manière à ne donner lieu à aucun motif raisonnable de plainte. »
299 Article 28 : « Quand il existe un système permettant aux consommateurs d’indiquer qu’ils ne souhaitent pas recevoir de courrier non adressé, ce souhait doit être respecté. »
300 Eric LABBE, « Le spamming et son contrôle », spécialement « Le mouvement anti-spam et la dénonciation », http://www2.droit.umontreal.ca/~labbee/SPAM.HTM#nature

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top