La protection des droits du destinataire du message litigieux

Un cadre polémique devant s’accorder avec la protection des valeurs fondamentales – Chapitre II –
Le « spamming » est une matière polémique, dans la mesure où son encadrement juridique ne doit porter atteinte ni au bon ordre de la société ni aux droits fondamentaux des individus.
Il conviendra alors d’étudier successivement la conciliation du « spamming » avec la protection de la société et avec la protection des droits fondamentaux des acteurs du « spamming » en se plaçant d’une part au niveau du destinataire du message (Section I), d’autre part au niveau de l’émetteur du message (Section II).

Section I – La protection des droits du destinataire du message

La pornographie juvénile tout comme la pornographie n’impliquant pas des enfants est un problème préoccupant sur Internet. D’ailleurs, dans son rapport annuel sur le crime organisé de 2000, la Cour suprême canadienne a noté : « La distribution de la pornographie juvénile connaît une hausse proportionnelle à l’expansion continue de l’utilisation d’Internet. Les forums que tient la collectivité mondiale dans Internet facilitent la distribution et aggravent le problème. L’utilisation d’Internet aide les distributeurs de pornographie à présenter et à faire valoir leur point de vue. »317
Le Canada n’est pas le seul pays à se préoccuper de la pornographie sur Internet. Tous les pays sont concernés. Pour s’en convaincre, il suffit de penser aux mesures préventives prises contre la pornographie infantile en France318, ou encore en Italie319. D’ailleurs, une étude italienne révèle que plus de soixante pour cent des sites sont basés aux États-Unis, suivis par la Corée du Sud, la Russie, le Brésil, l’Italie et l’Espagne. De même, des actions policières de démantèlement ont déjà été menées avec succès notamment aux États-Unis320 ou en Allemagne321.

317 Nicolas VERMEYS, « La Cour suprême canadienne s’en prend à la pornographie juvénile », www.juriscom.net/int/dpt/dpt34.htm
318 Le 11 février 2004, le Gouvernement a annoncé la mise en place de filtres dans les établissements scolaires et la distribution de guides aux parents. Ces mesures sont surtout préventives. Le Monde le 11 février 2004, « Porno et violence sur Internet, des mesures pour protéger les enfants »
319 L’Italie par le biais de son association de défense des droits de l’enfant, Rainbow Phone, sensibilise l’opinion internationale au problème de la pédo-pornographie sur Internet en publiant notamment des études.
320 L’opération Predator lancé en 2003 par le Gouvernement américain a permis l’arrestation de 1600 personnes.
321 En septembre 2003, la police allemande a démantelé un réseau de pédophilie sur Internet impliquant 166 pays et 26 500 Internautes.

Si la pornographie sur Internet préoccupe tous les pays du monde, c’est qu’est en jeu une atteinte à une valeur sociale fondamentale, les bonnes mœurs. Cette valeur sociale va bien évidemment influer sur la mise en place d’un cadre juridique du « spamming », puisque le message envoyé peut contenir des liens vers des sites de pédo-pornographie, de la pornographie prohibée, ou encore de la vente de médicaments destinés à améliorer les performances sexuelles. Ce dernier point pose aussi problème eu égard une autre valeur sociale fondamentale, la santé publique. En effet, le « spam » de médicaments s’est développé et arrive aujourd’hui en tête des types de « spams »322. Il a ainsi détrôné le « spam » pornographique. Toutefois, s’il a été détrôné, il n’a pas pour autant disparu. Il représente ainsi vingt-deux pour cent des « spams » envoyés en janvier 2004.

322 La santé représentait 42,6% du « spam » en janvier 2004 selon Clearswift.

La protection des valeurs sociales que sont les bonnes mœurs et la santé publique joue plus particulièrement eu égard au destinataire du message. C’est la santé et les bonnes mœurs du destinataire qui sont les premières visées, même si toute la société est concernée par ces atteintes aux valeurs sociales. De même, le destinataire du message peut encore voir d’autres de ses droits mis en danger par un encadrement juridique mal adapté du « spamming ». Ce sont ses droits fondamentaux qui sont aussi en danger. Plus particulièrement, il s’agit de son droit au respect de la vie privée et de son droit à la propriété.
La mise en œuvre d’un cadre juridique du « spamming » est ainsi rendue mal aisée par la protection des droits du destinataire du message. En effet, ce cadre doit nécessairement s’accorder avec le respect d’une part des valeurs sociales (§1) d’autre part des droits fondamentaux (§2) du destinataire du message litigieux.

§1- Par les valeurs sociales

La protection des droits du destinataire du message passe notamment par le respect des valeurs sociales fondamentales que sont les bonnes mœurs et la santé publique. Ces dernières étant remises en cause par l’Internet et notamment par le « spamming », l’encadrement juridique de ce dernier doit tenir compte de ces impératifs de bonnes mœurs (A) et de santé publique (B).

A)- Les bonnes mœurs

L’encadrement juridique du « spamming » doit tenir compte des bonnes mœurs. C’est une manière de protéger les droits du destinataire du message. Ainsi, le destinataire ne doit pas recevoir un message non sollicité dont le contenu est choquant, par exemple à connotation pornographique.
La définition des bonnes mœurs est peu aisée en droit français. C’est au juge qu’il revient d’apprécier ce qui rentre dans ce cadre, dans la mesure où l’article 6 du Code civil n’en donne aucune définition. En pratique, ce sont principalement les mœurs sexuelles et les mœurs familiales qui sont visées, mais il peut encore s’agir d’autres mœurs comme les mœurs sociales et la prohibition des jeux d’argent ou de la violence gratuite. Si en droit français la définition des bonnes mœurs n’est pas fixée, il en va de même dans la plupart des pays du monde. D’ailleurs, les bonnes mœurs sont appréciées différemment selon les pays.
Cependant, il y a un type de « spam » qui est attentatoire aux bonnes mœurs dans tous les pays, c’est le « spam » pornographique. Il convient de distinguer la pornographie de l’érotisme. La jurisprudence française va nous y aider. Un arrêt du Tribunal correctionnel de Paris du 5 octobre 1972323 précise ainsi que « le propre de l’ouvrage érotique est de glorifier, tout en le décrivant complaisamment, l’instinct amoureux, la «geste» amoureuse, tandis que dans les oeuvres pornographiques, au contraire, privant les rites de l’amour de tout leur contexte sentimental, en décrivent seulement les mécanismes physiologiques et concourent à dépraver les mœurs si elles en recherchent les déviations avec une prédilection visible. » L’érotisme n’a alors pour but que de glorifier le sentiment amoureux sans vulgarité, au contraire de la pornographie qui est attentatoire aux bonnes mœurs de par son absence de prise en compte du sentiment amoureux.
Après avoir défini la pornographie et l’avoir distinguée de l’érotisme, il est possible de se demander si, tous les « spams » pornographiques sont attentatoires aux bonnes mœurs.
Il est tentant de répondre à une telle question par l’affirmative, car cette réponse a l’avantage de sa simplicité. Mais elle n’est pas correcte. Il faut d’abord distinguer selon le destinataire du message, un mineur ou un adulte, puis selon le caractère du message, commercial ou non commercial.
D’abord, un « spam » pornographique est attentatoire aux bonnes mœurs lorsqu’il est envoyé à des enfants, alors que ce n’est pas toujours le cas lorsqu’il est envoyé à des adultes.
Selon une étude de Symantec324, quatre-vingts pour cent des enfants disposant d’une adresse de courrier électronique reçoivent du « spam » tous les jours. Le plus grave est que ce « spam » se compose à quarante-sept pour cent de pornographie et que deux cents enfants entre sept et dix-huit ans sur mille ouvrent les messages non sollicités dont le contenu leur semble intéressant.
Les autorités de la plupart des pays ont bien pris conscience de l’importance du problème.
D’une part, elles cherchent avec l’aide des fournisseurs d’accès à informer et « éduquer les parents »325 en proposant des logiciels de filtrage spécifiques. Certaines autorités comme la Federal Trade Commission vont encore plus loin en proposant de labelliser les sites contenant de la pornographie326. Ainsi, en présence d’un renvoi par lien hypertexte à un tel site ou lors de l’ouverture de celui-ci notamment, l’indication « sexually-explicit » apparaîtra.

323 Tribunal correctionnel de Paris, le 5 octobre 1972, Gazette du Palais 1973, I. page 211
324 Telekom Presse, « Kids und Porno-Spam-Mails » , www.telekom-presse.at/channel_internet/news_8828.html
325 Yves GRANDMONTAGNE, « Les enfants victimes du spam… eux aussi ! », www.silicon.fr/click.asp?id=2898
326 John LEYDEN, « SEXUALLY-EXPLICIT: FTC labels porno spam », www.theregister.com/2004/04/14/porn_spam_label

D’autre part, les autorités ont souvent utilisé des législations préexistantes pour les appliquer aux enfants et à l’Internet ou ont créé des législations spécifiques à l’Internet et aux enfants pour condamner en justice l’envoi de messages pornographiques à des enfants.
Ainsi, au Royaume-Uni, l’Obscene Publications Act de 1959 327 punit la publication à des fins commerciales ou non de matériels susceptibles de « dépraver et corrompre » ceux par lesquels ils peuvent être perçus. De même, l’article 227-24 du Code pénal français prévoit que « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement et de soixante-quinze mille euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. » Ces dispositions peuvent être appliquées à l’Internet et plus précisément à l’envoi de messages pornographiques aux mineurs qui sont influençables. Au contraire, aux États-Unis, une loi spécifique a été adoptée : l’envoi d’un courrier à caractère pornographique à un enfant qu’il ait ou non un but commercial est prohibé par le Children’s On- line Privacy Protection Act de 1998 en son Titre XIII328.
L’envoi de messages pornographiques à des enfants est alors interdit quelque soit le type de message. Peu importe que le message soit en lui-même pornographique, vante le mérite d’un site ou produit à caractère pornographique ou renvoie à un tel site par un lien hypertexte. A contrario, l’envoi d’un tel message à un adulte n’est pas toujours interdit, dans la mesure où il ne contrevient pas systématiquement aux bonnes mœurs.
Ensuite, le caractère commercial ou non du message pornographique envoyé à un adulte détermine la conformité de ce dernier aux bonnes mœurs. Ainsi, un message pornographique non sollicité de nature commerciale est plus facilement jugé attentatoire aux bonnes mœurs qu’un tel message sans but commercial. Ce qui est le plus choquant, c’est de faire commerce de la pornographie.
Par exemple, aux États-Unis329, le Can Spam Act de 2003 a consacré l’« opt-in » pour les messages commerciaux à caractère pornographique, sauf dans le cas où le courrier présente un élément permettant de définir sa nature explicite, cet élément étant déterminé par la Federal Trade Commission. Au contraire, les messages non commerciaux ne sont pas soumis à ces dispositions spécifiques et le régime général de l’« opt-out » s ‘applique, à moins que le destinataire n’établisse un autre grief comme notamment l’intrusion dans la vie privée ou la violation de la propriété ou des biens mobiliers.

327 Obscene Publications Act du 29 juillet 1959, www.oup.co.uk/pdf/bt/hedleyaplin/part_a.pdf
328 Children’s On-line Privacy Protection Act de 1998, Titre XIII, Children’s online privacy protection, www.ftc.gov/ogc/coppa1.htm
329 Julien LE CLAINCHE, « Les Etats-Unis se dotent d’une législation fédérale relative aux pourriels et optent…out », www.droit-ntic.com/news/afficher.php?id=188

Le respect des bonnes mœurs, valeur sociale, doit alors être pris en compte dans l’encadrement juridique du « spamming » afin de protéger le destinataire du message. Il en va de même d’une autre valeur sociale qu’est la santé publique (B).

B)- La santé publique

L’encadrement juridique du « spamming » doit aussi tenir compte de la sauvegarde de la santé publique. Il s’agit par ce biais de protéger plus particulièrement la santé du destinataire du message. En effet, le message peut inciter à la consommation de certains médicaments ou drogues.
La santé publique est une des valeurs sociales fondamentales composant l’ordre public tel que conçu par les Français notamment. Elle consiste à protéger la population en assurant une veille sanitaire et en interdisant la propagation de médicaments ou substances dangereuses pour l’homme. La protection de la santé publique est devenue une priorité avec l’apparition d’Internet, dans la mesure où sur le Net il est possible de trouver des sites de ventes en ligne de médicaments ou de certaines drogues.
Le marché de la vente en ligne de médicaments aux États-Unis a en effet pris de l’ampleur depuis 2000 et cette croissance n’est pas terminée : une étude330 révèle d’ailleurs que l’achat en ligne devrait passer d’un chiffre d’affaire de trois mille deux cents millions de dollars à treize mille huit cents millions de dollars en 2007.
L’achat en ligne de médicaments fait donc les beaux jours des commerciaux et des publicitaires américains. Mais un tel achat respecte-t-il l’impératif de santé publique ? La réponse est simple, cet impératif sera respecté dans le cas d’une vente de médicaments sans ordonnance et ne le sera pas à défaut. De plus, il ne le respectera jamais dans le cas de la vente d’une substance interdite comme les drogues.
Si le problème de la vente de médicaments se résout relativement aisément, qu’en est-il de la publicité faite sur Internet pour ces derniers ? Plus précisément l’envoi d’un message non sollicité à caractère publicitaire pour vanter tel ou tel médicament est-il permis ? Tout dépend des pays.
Les États-Unis331 et la Nouvelle-Zélande332 s’opposent au reste du monde. En effet, ces derniers autorisent la publicité directe au public de tous les médicaments à visage humain.
A contrario, dans les autres pays, à l’instar de la France333, seules les publicités à des professionnels et la publicité au public de médicaments non soumis à prescription médicale sont autorisées. Attention, en France, l’autorisation de la publicité directe au public peut toujours être refusée en présence d’un risque possible pour la santé publique. De même, la publicité ne doit pas être trompeuse et ne doit pas faire du produit concerné un médicament miracle selon l’article 90 de la directive européenne 2001/83/CE du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain334, et remplaçant la directive du 31 mars 1992335.

330 « Une étude américaine fait le point sur l’achat de médicaments en ligne », www.atelier.fr/a.php?itm_id=74323&user=22272&pass=nonketib
331 Mathieu OZANAM, « Etats-Unis, le paradis de la publicité pour les médicaments », www.medcost.fr/html/pharmacies_ph/mag_2002/mag23_eua.htm
332 Journée de la femme, « Réflexion sur la publicité de médicaments », www.journeedelafemme.com/reflexionsurlemedicament.htm
333 Patricia SIWEK, « Publicité et médicaments », www.google.fr/search?q=cache:B2j1Fx1WBnEJ:hcsp.ensp.fr/hcspi/explore.cgi/ad272931.pdf+m%C3%A9dicament+publicit%C3%A9&hl=fr&ie=UTF-8
334 Directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain et plus particulièrement son Titre VIII, Publicité, Journal Officiel des Communautés Européennes L 311 du 28 novembre 2001 page 67, europa.eu.int/eur-lex/pri/fr/oj/dat/2001/l_311/l_31120011128fr00670128.pdf
335 Directive 92/28/CEE du Conseil du 31 mars 1992 concernant la publicité faite à l’égard des médicaments, publiée au Journal Officiel des Communautés Européennes L 113 le 30 avril1992, page 13.

Il n’est dès lors pas surprenant de noter l‘inquiétude de l’Organisation des Nations Unies quant à la prolifération des « spams » vantant le commerce de médicaments336.
L’encadrement juridique du « spamming » doit alors être adapté à la spécificité de la publicité concernant les médicaments, dans la mesure où la vente en ligne de médicaments n’est pas rejetée en bloc. En effet, pour le Tribunal de commerce de Pontoise337, l’Internet est un mode traditionnel de vente et de commerce. Il convient de plus en ce qui concerne la publicité de médicaments de se référer à la législation compétente afin d’en déterminer sa validité.

336 Jo BEST, « L’ONU s’inquiète des spams vantant le commerce en ligne de médicaments », www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39144106,00.htm
337 Tribunal de commerce de Pontoise, ordonnance de référé, le 15 avril 1999, www.legalis.net/cgi-iddn/french/affiche-jnet.cgi?droite=decisions/e-commerce/ord_tc-pontoise_150499.htm

Ces mesures ont pour but la protection du destinataire du message publicitaire vantant le mérite de tel ou tel médicament. La protection du destinataire du message non sollicité est encore assurée par ses droits fondamentaux (§2).
Lire le mémoire complet ==> (Publicité indésirable et nouvelles technologies : Étude du spamming en droit comparé)
Mémoire Pour l’Obtention du D.E.A. de Propriété Intellectuelle CEIPI
Université ROBERT SCHUMAN STRASBOURG III

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