Interprétation culturelle des interfaces web chinoises et françaises

3. L’interprétation culturelle des interfaces web
3.1 Méthodologie employée
3.1.1 Les dimensions culturelles de Geert Hofstede
Geert Hofstede a appliqué un questionnaire similaire à plusieurs échantillons de différents pays. Ceux-ci étaient principalement constitués d’employés d’IBM. Deux périodes ont été nécessaires au bon déroulement de l’enquête. Une première entre 1967 et 1969 auprès de 60 000 personnes dans 53 pays et une seconde de 1971 à 1973 vers 60 000 personnes dans 71 pays43.
Plusieurs théories et dimensions culturelles sont mises en pratique. Cependant, le choix de Geert Hofstede comme orientation théorique pour la méthodologie du mémoire semble pertinent. En effet, malgré une étude relativement ancienne, les traits de différences culturelles par le biais de ces cinq dimensions restent fixes et ne changent pas au fur et à mesure du temps. De plus, le fait d’élaborer un système de scores permet de créer une véritable comparaison de fond entre la Chine et la France. La méthode employée par Geert Hofstede reste une référence en termes de management interculturel et de définition des grands axes culturels pour un public ciblé.
Comme toute étude, la vision de Geert Hofstede peut avoir quelques limites. Le choix d’employés d’IBM pour l’enquête nécessite la prise en compte de l’activité professionnelle des individus laissant penser qu’ils seraient plutôt aisés socialement et économiquement.
Quatre aspects sont mis en évidence dans ce questionnaire:
o Le degré de satisfaction au sein du travail: évaluer personnellement une situation professionnelle
o Un niveau de perception: décrire subjectivement un aspect ou un problème de travail
o Les buts personnels et les croyances: s’interroger sur les conditions idéales de travail et les questions générales
o Un degré de signalétique: ne pas ignorer les caractéristiques socio-démographiques des personnes interrogées
A l’issue de cette enquête, Geert Hofstede fit ressortir cinq dimensions majeures pour la définition d’une culture:
o La distance hiérarchique
o Le contrôle de l’incertitude
o Le degré d’individualisme/collectivisme
o L’orientation sur le long terme
o Le degré de masculinité/féminité
3.1.2 Le parallèle avec l’interface web par Aaron Macus
Aaron Marcus est un UI et IV designer44 américain, il est également fondateur et président de l’agence conseil en interface utilisateur AM+A depuis 1982. Lors de l’analyse et de la conception d’une interface, il prend en compte cinq critères45 :
o La métaphore : un aspect réunissant les concepts fondamentaux de communication autour d’images ou de mots.
o Le modèle mental : structure des rôles, de l’environnement, de la hiérarchie en fonction des organisations de travail.
o La navigation : la procédure de mouvement au travers d’un écran en fonction du modèle mental défini.
o L’interaction : l’efficacité des modes d’entrée et de sortie. Ce critère inclut également les procédures de feedback.
o L’apparence : la qualité de la perception de ce qui est visible et audible (visuels, typographie, sons).
Aujourd’hui encore, Aaron Marcus reste une référence mondiale en termes de conception d’interfaces à destinée internationale. Sa société compte parmi ses clients de grands comptes comme Adobe Systems, IBM, eBay ou Reuters46.
Lors de ses études, il utilise également les dimensions culturelles de Geert Hofstede pour établir un parallèle avec la conception d’interfaces orientées utilisateur47.
3.2 La distance hiérarchique
Cette dimension correspond au degré d’inégalité attendu et accepté par l’individu. Il est indispensable, au sein d’une entreprise, d’attribuer inégalement les pouvoirs pour un bon équilibre et l’établissement d’une hiérarchie. Selon les cultures, l’employé accepte plus ou moins cette distance hiérarchique. Certaines recherchent même cette autorité.
La distance hiérarchique est mesurée au niveau de la perception que l’employé a envers le pouvoir de son patron. Cette caractéristique va déterminer le comportement du subordonné. La Chine possède une distance hiérarchique un peu plus élevée (80) que la France (68).
Si l’on se réfère à Aaron Marcus, on peut considérer cette dimension comme un premier critère dans l’élaboration d’une interface web à envergure internationale.
Le score des deux pays est assez proche48. Il sera donc normal de trouver des similitudes au sein de la majorité des interfaces chinoises et françaises. C’est donc le cas pour l’élaboration d’une structure de l’information et à son accès parfois restrictif. De plus, des éléments rassurants permettant l’identification d’une certaine authenticité seront généralement mises en place au sein des deux cultures. Cette vérité peut se traduire par des logos reflétant l’autorité ou des éléments considérés comme reconnaissables et rassurants par l’utilisateur. Comme pour une hiérarchie qui cherche à protéger ses employés au travail, l’utilisateur devra se sentir en sécurité lors d’une navigation web par des éléments significatifs.
3.3 Le contrôle de l’incertitude
Cette dimension met en valeur la façon dont un individu d’une culture aborde le risque. Certaines sociétés favorisent la prise de risque, d’autres préfère l’éviter au maximum. Le contrôle de l’incertitude répond donc à la question du degré d’inquiétude face à des évènements futurs pour les membres d’un groupe. L’incertitude créé chez l’homme une certaine anxiété. Cette dimension permet de définir si cette forme de nervosité est forte ou faible.
D’après les conclusions d’Hofstede, lorsque le score du contrôle de l’incertitude est faible, cela signifie qu’il y a un certain sentiment de sécurité qui règne au sein des groupes49. En revanche, au sein des cultures à fort contrôle de l’incertitude, les groupes humains manifestent une plus grande nervosité, une émotivité et une agressivité plus fortes. Au sein des pays où l’incertitude est acceptée, la réalisation personnelle passe par la prise de risques et d’initiatives. Un effet rassurant comme une bonne définition de sécurité conduit plus facilement à la prise de risque.
La France possède un degré élevé de contrôle de l’incertitude (86) tandis que la Chine détient un faible score sur cette dimension (30). Il est établit par Geert Hofstede que cet élément culturel a peu de relations avec le développement économique.
Le contrôle de l’incertitude et surtout les différences au niveau du score entre les deux pays vont donc jouer sur une conception d’interface destinée à une population française et chinoise. Dans le cas de cette dimension, on peut se poser la question au niveau du guidage et des indices de localisation. L’attention sera portée sur le temps que tolère chaque culture à propos de son adaptation face à l’interface proposée. Dans la même perspective, l’importance d’un faible ou d’un fort choix d’entrées et de sorties en termes de navigation constitue un élément majeur au niveau de la dimension du contrôle de l’incertitude. Il sera également question de connaître les techniques des sites e-commerce permettant de réduire l’ambiguïté chez les utilisateurs privilégiant la sécurité plutôt que la prise de risques.
3.4 L’individualisme et le collectivisme
Cette dimension fait référence au degré de liberté et d’indépendance qu’un individu peut avoir au sein d’une société ou d’une culture. Il y a donc une différence entre les sociétés au niveau relationnel. Généralement, les cultures communautaires se distinguent par ses membres qui passent beaucoup de temps en groupe tandis que les sociétés individualistes sont composées majoritairement de personnes qui passent du temps pour leur vie personnelle.
Il existe une relation entre développement technique et culture individualiste. Les pays les plus riches ont développé une attitude individualiste tandis que les pays les plus pauvres mais aussi en développement ont conservé une vie plus communautaire.
L’esprit collectiviste se distingue par un besoin de formation, il y a donc une certaine indépendance à l’organisation. L’esprit individualiste se manifeste par l’envie et le besoin de prendre du temps pour son accomplissement personnel50.
La France se classe plutôt comme un pays individualiste (71) tandis que la Chine est un pays plutôt collectiviste (20).
Lors de la conception d’une interface web, cette dimension peut être utile pour plusieurs critères. Dans un premier temps, il sera question de vérifier sous quelles formes peuvent être traduits les scores des deux cultures au niveau de l’interface web d’un site e-commerce. Dans cette perspective, l’accent sera mis sur les méthodes de communication qui peuvent être mises en place autour d’une offre ou d’un produit.
3.5 L’orientation sur le long terme
Cette dimension fût ajoutée plus tardivement que les autres par Geert Hofstede. Une forte orientation sur le long terme indique pour la culture la mise en place d’un projet ou d’un progrès appliquée sur une période assez conséquente. Il s’agit donc de valeurs orientées vers le futur. Une orientation à court terme est au contraire une intention projetée sur le présent ou un futur très proche. La France n’est pas classée mais nous pouvons noter cependant que la Chine détient le score le plus élevé avec 118, suivent Hong Kong et Taiwan.
Selon Aaron Marcus, cette dimension s’attache au web51. Pour une culture orientée sur le long terme comme la Chine, cela signifie qu’une interface doit correspondre à l’utilisateur en termes de crédibilité. Plus un utilisateur prend le temps de vérifier que le site peut lui apporter une information ou un service efficace, plus on est dans une orientation à long terme. Il sera donc important de mettre en évidence la véracité des informations et les moyens de les vérifier.
3.6 La masculinité et la féminité
La dimension masculinité/féminité, certes un peu datée depuis que les Gender Studies ont modifié nos paradigmes et que l’on devra prendre en compte ici au sens strict que lui donne Hofstede, correspond aux valeurs suivantes: réussite et possession (M) face à l’environnement social ou entraide (F). La répartition des rôles et des tâches ne se font pas de la même manière selon les cultures. Dans la grille proposée, plus les rôles sont clairs et différenciés, plus on considèrera la culture comme masculine. Au contraire, plus les rôles sont interchangeables, plus la société montrera une certaine féminité. En résumé, on pourrait dire que les habitants des pays masculins « vivent pour travailler » et ceux des pays féminins « travaillent pour vivre ». La Chine comporte un score assez élevé de masculinité (66) tandis que la France tend plus vers la féminité (43).
Dans le cadre du web, Aaron Marcus liste plusieurs parallèles de la dimension avec la conception d’une interface. Ce qui peut être ressorti de cette dimension, c’est que l’effet masculin peut éventuellement se traduire par l’esprit de compétition mis en place mentalement par l’utilisateur. Chaque information, même graphique, se devrait d’être utile et n’aurait pas de fonction décorative. Une culture plutôt à tendance féminine tendrait à plutôt se démarquer par la recherche de coopération au travers d’un site.
Cependant, il est important de signaler que, selon une étude menée par Gabrielle Ford et Paula Kotzé52, cette dimension n’entre pas en corrélation avec la mise en place d’une interface web. Le degré de masculinité et de féminité d’un pays ne donne pas une bonne estimation d’une page internet destinée à un public de cultures différentes.
Lire le mémoire complet ==> (La génération 2.0 Chinoise m E-Commerce Et Tendances)
Mémoire – Master Web Editorial 2011 – UFR Sciences humaines et arts
Université de Poitiers
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43 HOFSTEDE, Geert. Cultures and organizations: Software of the mind. 2è éd. New York: McGraw-Hill, USA, 2005. p.20
44 UI designer : User interface designer – IV designer : Information Visualization designer
45 MARCUS, Aaron. Globalization of the User-Interface for the Web [en ligne]. AM+A, 2002. http://www.amanda.com/cms/uploads/media/AMA_GlobalizationUserInterfaceDesignWeb.pdf
46 Les références de AM+A sont disponibles sur le site officiel de l’agence http://amanda.com/portfolio/client-list/
47 MARCUS, Aaron. Cultural dimensions and global Web design : What? So what ? Now what ? [en ligne] AM+A, 2001. http://www.amanda.com/cms/uploads/media/AMA_CulturalDimensionsGlobalWebDesign.pdf
48 A l’échelle des pays participants : la Malaisie possède le score le plus élevé (104) et l’Autriche détient le plus bas (11).
49 HOFSTEDE, Geert. Cultures and organizations: Software of the mind. 2è éd. New York: McGraw-Hill, USA, 2005. p.163
50 HOFSTEDE, Geert. Cultures and organizations: Software of the mind. 2è éd. New York: McGraw-Hill, USA, 2005. p.75
51 Marcus, Aaron. Cultural dimensions and global Web design : What? So what ? Now what ? [en ligne] AM+A, 2001. http://www.amanda.com/cms/uploads/media/AMA_CulturalDimensionsGlobalWebDesign.pdf
52 FORD, G. & KOTZÉ, P (dir.).Researching the effects of culture on usability. Pretoria: 2005, University of South Africa.
 

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