Le rejet ferme de l’intervention de l’assureur

Le rejet ferme de l’intervention de l’assureur

3° Le rejet ferme de l’intervention de l’assureur par la Chambre criminelle de la Cour de cassation

66. Contexte de la politique restrictive de la Cour de cassation. Les décisions des juges du fond admettant l’intervention de l’assureur ne contrevenaient pas à la lettre de l’article 1er du Code d’instruction criminelle, ce dernier ouvrant « l’action en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention à tous ceux qui ont souffert du dommage », sans restriction.

En revanche, elles étaient contraires à la jurisprudence de la Cour de cassation qui, depuis la fin du XIXème siècle, avait décidé de réserver la faculté de se constituer partie civile aux victimes invoquant un préjudice à la fois direct et personnel.

La Chambre criminelle a estimé que l’assureur, même subrogé dans les droits de la victime, ne pouvait invoquer un préjudice personnel et direct, qui seul permet d’exercer l’action civile devant les juridictions répressives.

Selon les cas, elle de référait alternativement à l’absence de caractère direct125 ou personnel126 du préjudice allégué par l’assureur, ou cumulativement aux deux127.

67. C’est par un arrêt du 2 mai 1956 que la Cour de cassation ouvre une série de décisions affirmant avec force sa position. Au moyen prétendant que « l’action civile n’[était] recevable qu’autant que celui qui l’exerce a été personnellement lésé par l’infraction reprochée au prévenu », elle répond favorablement, au motif « qu’un préjudice direct peut, seul, donner naissance à l’action civile devant les tribunaux répressifs »128.

 

301 Il s’agit principalement des caisses de sécurité sociale. Cf. supra n° 91. Tel n’est pas le cas de l’assureur de la victime qui est subrogé dans ses droits après l’avoir indemnisée, mais qui est exclu du procès pénal et doit exercer son recours subrogatoire devant le juge civil.

302 Article 1351 du Code civil. Com. 22 juillet 1952, D 1952 p. 746; Civ. 2ème 17 mars 1977, Bull. n° 87, D 1977 IR 441 note Ch. Larroumet; Civ. 2ème 3 avril 1978, Bull. n° 103, D 1978 IR 403 note Ch. Larroumet; Civ. 2ème 73 avril 1979, Bull. n° 120.

303 Voir notamment Civ. 1ère 12 juin 1968, JCP 1968, II, 15584 concl. R. Lindon, D. 1969 p. 249 note A. Besson, RGAT 1969 p. 45 note A. Besson; Civ. 20 octobre 1970, RGAT 1971 p. 377; Civ. 1ère 26 avril 1972, RGAT 1973 p. 51 note A. Besson; Civ. 1ère 10 octobre 1972, Bull. I n° 198, RGAT 1973 p. 228, JCP 1973 II 17542 note Bellamy; Civ. 1ère 10 février 2004, n° 01-12863, RCA 2004 comm. 160 note H. Groutel; Civ. 2ème 13 juillet 2006, n° 05-19823, RCA 2006 comm. 354 note H. Groutel. Cf. infra n° 1287.

304 J.-Cl. Berr et H. Groutel, note sous TGI Paris 18 juin 1981 et Civ. 1ère 6 mai 1981, D 1983 IR 214.

305 Ph. Alessandra : op. cit., p. 68.

306 Civ. 1ère 26 avril 1972, RGAT 1973 p. 51 note A. Besson.

307 Toutefois, les juridictions répressives font également face à un engorgement de plus en plus prononcé. L’argument de l’encombrement judiciaire paraît d’une portée limitée car ce n’est pas en allégeant la charge de certaines juridictions au détriment d’autres que l’on y remédie. La solution réside plutôt dans une amélioration globale des moyens alloués à la justice, tant civile que répressive. Comp. M.-L. Rassat : Traité de procédure pénale, P.U.F. coll. Droit fondamental 1ère éd. 2001, n° 168 in fine.

Ainsi, elle ne répond pas encore à l’argument tiré de la subrogation en faveur de l’intervention de l’assureur.

68. Par un arrêt du 16 novembre 1956, la Cour de cassation déclare irrecevable l’intervention d’un assureur belge subrogé contractuellement dans les droits de la victime, confirmant la décision d’irrecevabilité de l’intervention rendue en l’espèce par la Cour d’appel de Montpellier.

La Cour de cassation, après avoir énoncé le principe que « suivant les articles 1er et 3 du Code d’instruction criminelle, un intérêt direct et personnel peut seul servir de base à l’action civile devant les juridictions répressives », en déduit que « l’action civile n’est donc recevable devant elle qu’autant que la partie qui l’intente a été personnellement lésée par le délit imputé au prévenu », paraissant éluder le caractère direct.

Cependant, elle rejette le pourvoi de la compagnie belge au motif qu’il « n’en résulte pas pour autant qu’elle ait subi un préjudice personnel prenant directement sa source dans le délit poursuivi »129. Une fois encore la Cour de cassation n’évoque pas la subrogation.

69. C’est par un arrêt du 10 octobre 1957 que la Cour de cassation répond expressément à la dissidence des juges du fond assise sur la subrogation.

Suite à un accident de la circulation, l’assureur de la victime a entendu se constituer partie civile contre la personne poursuivie pour blessures involontaires et contravention au Code de la route.

La cour d’appel a déclaré non recevable cette constitution, par le motif que la subrogation ne la permettait pas.

L’assureur s’est pourvu en cassation, faisant valoir que « la subrogation concerne tous les droits et actions de l’assuré et, dès lors, la poursuite de la réparation du dommage devant le juge pénal en cas de délit ».

Avec une clarté, une concision et un ton de réplique qui indiquent un arrêt de principe130, la Chambre criminelle assène que « l’article 36 de la loi du 13 juillet 1930, visé au moyen, ne fait pas échec aux dispositions des articles 1er et 3 du Code d’instruction criminelle, aux termes desquels l’action civile, devant les tribunaux répressifs, ne peut être exercée que par celui-là même qui a subi un préjudice actuel et personnel, prenant directement sa source dans l’infraction poursuivie »131.

70. Un arrêt du 8 juillet 1958 vient compléter l’arrêt de principe du 10 octobre 1957, et inscrit la série de décisions à laquelle ils appartiennent dans la doctrine exprimée par la Cour de cassation à la fin du XIXème siècle.

La Cour rappelle en effet que « l’exercice de l’action civile devant les tribunaux de répression est un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, doit être strictement renfermé dans les limites fixées par le Code d’instruction criminelle », avant d’estimer que la compagnie d’assurances n’a souffert aucun dommage résultant directement de l’infraction, un vol qualifié.

La Cour précise sa position en indiquant que « le dommage qu’elle invoque est la conséquence, non de ces crimes, mais du contrat d’assurance intervenu entre elle et la victime desdits crimes »132.

La Cour de cassation refuse ainsi d’admettre que l’assureur invoque le préjudice personnel et direct de la victime qui lui a été transmis en vertu de la subrogation.

Elle considère au contraire qu’il se prévaut d’un préjudice découlant du contrat d’assurance, et à ce titre distinct du préjudice de la victime directement issu de l’infraction.

71. Apport du Code de procédure pénale. Le Code de procédure pénale a partiellement confirmé la jurisprudence de la Cour de cassation en consacrant l’exigence d’un préjudice personnel et direct : son article 2 prévoit que « l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ».

Au regard de cette rédaction, il n’est pas surprenant que la Cour de cassation ait persisté à dénier à l’assureur le droit de se constituer partie civile, au motif qu’il n’invoquait pas un préjudice personnel et direct.

308 Pour une critique de cet argument, voir M.-L. Rassat : op. cit., n° 168 in fine et n° 169 p. 253.

309 Ph. Alessandra : op. cit., p. 70.

310 Ph. Alessandra : op. cit., p. 71.

311 Par ex. M. Patin : L’action civile devant les tribunaux répressifs, Rec. gén. lois et jurispr. 1958 p. 397. L’argument apparaît également en filigrane dans les débats parlementaires concernant la loi du 8 juillet 1983.

312 Etant rappelé que le droit de poursuivre de la victime ne peut être cédé à l’assureur ou à quiconque. Cf. supra n° 69 et s. et infra n° 461 et s. et n° 484 et s.

313 Cf. supra n° 151 et s.

314 A l’inverse et malheureusement pour l’assureur, l’absence de responsabilité pénale de son assuré ne signifie pas qu’il n’est pas responsable sur le plan civil. Cf. infra n° 1222 et s.

315 Par ex. Crim. 9 décembre 2008, n° 08-81016 : la responsabilité pénale du prévenu est retenue pour blessures involontaires sur le fondement des seules dispositions du Code pénal, sans visa spécifique d’une obligation particulière du Code du travail qui aurait été méconnue. Or, la police prévoyait une clause d’exclusion visant le non respect de certains textes spécifiques du Code du travail. Dans la mesure où un manquement précis à cette réglementation du Code du travail n’est pas retenu par le juge dans le cadre de l’action publique, l’assureur ne peut invoquer la clause d’exclusion au soutien d’une exception de garantie dans le cadre de l’action civile et son pourvoi est rejeté contre l’arrêt de la Cour d’appel qui le déclare tenu à garantie.

316 Cf. infra n° 1007.

317 Selon la définition jurisprudentielle de la faute intentionnelle de l’article L 113-1 du Code des assurances. Cf. infra n° 1008.

Ainsi s’est-elle tenue à cette position, aussi bien pour les infractions intentionnelles133 que pour les délits involontaires134. Cette jurisprudence hostile à l’assureur subrogé se maintient135.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’intervention de l’assureur au procès pénal
Université 🏫: Université Nancy 2 Faculté de Droit - Ecole Doctorale Sciences Juridiques
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur Romain SCHULZ

Monsieur Romain SCHULZ
Année de soutenance 📅: THESE en vue de l’obtention du Doctorat en Droit - le 18 novembre 2009
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