Régime précédent de la Convention Bruxelles 10 oct 1957

Régime précédent de la Convention Bruxelles 10 oct 1957

Chapitre 2 – La faute inexcusable, fondement actuel de la déchéance de la limitation de responsabilité de l’armateur

Après avoir présenté les applications de la faute inexcusable dans les autres domaines de droit où le législateur français ou international a jugé son établissement opportun, nous allons maintenant analyser le rôle et la valeur de la faute inexcusable en matière de limitation de responsabilité de l’armateur.

En effet, la portée de la faute inexcusable ne se borne pas seulement au droit commun de responsabilité de l’armateur (Section 1), mais elle recouvre également les régimes spéciaux de responsabilité de celui-ci, sans néanmoins que l’effet de la faute inexcusable soit toujours le même (Section 2).

En outre, la Communauté Européenne, particulièrement sensibilisée de la sécurité maritime et de l’impératif majeur de préserver le milieu marin des conséquences néfastes des naufrages des navires, comme celui de l’Érika ou du Prestige, ne demeure pas désintéressée de l’institution de la limitation de responsabilité de l’armateur.

C’est ainsi qu’à travers le troisième paquet Erika se dirige, entre autres, vers une restriction du champ d’application de l’institution traditionnelle du droit maritime et à un amoindrissement de la gravité de la faute débouchant sur la privatisation de l’armateur du bénéfice de limitation, engendrant de ce fait les réactions vives des États membres et de la doctrine (Section 3).

Il suit de là que la faute inexcusable est étroitement liée non seulement à l’histoire de l’institution de la limitation de responsabilité de l’armateur mais aussi à son avenir.

Section 1

En droit commun de responsabilité de l’armateur

La faute inexcusable de l’armateur a, dans le régime de la limitation de sa responsabilité, tel qu’il est organisé de la Convention de Londres modifiée par le protocole de 1996, le même rôle qu’elle a dans le régime de responsabilité du transporteur, sans toutefois avoir le même contenu ni comporter les mêmes éléments.

Dès lors, la faute inexcusable de l’armateur entraîne-t-elle la déchéance de son droit de limiter sa responsabilité.

La limitation de responsabilité de l’armateur, même si elle se justifie tant par les risques que par le caractère d’intérêt général de cette navigation ne peut être conçue comme constituant pour les armateurs un droit incontrôlé. Pour autant, la faute inexcusable ne faisait pas depuis toujours partie du mécanisme de la limitation de responsabilité de l’armateur (§ 1).

Ce n’est qu’à partir de l’entrée en vigueur de la Convention de Londres que la privatisation du droit à limitation est subordonnée à l’établissement d’une faute inexcusable,dans l’intention de mettre en place un droit de limitation incontournable, intangible (§ 2)176.

§ 1) Le régime précédent de la Convention Bruxelles du 10 octobre 1957 (177)

La Convention sur la limitation des propriétaires de navires de mer, signée à Bruxelles le 10 octobre 1957 (International Convention Relating to the Limitation of the Liability of Owners of Sea-Going Ships), ratifiée par la France le 7 juillet 1959 et entrée en vigueur le 31 mai 1968 est venue remplacer la Convention de Bruxelles de 1924, peu satisfaite178, d’où le nombre restreint des ratifications.

L’article 1§1 alin.1 de la Convention de Bruxelles prévoyait « que le propriétaire d’un navire de mer peu limiter sa responsabilité au montant déterminé par l’article 3 de la présente Convention pour les créances qui résultent de l’une des cause suivantes, à moins que l’événement donnant naissance à la créance ait été causée par la faute personnelle du propriétaire»179.

Cette disposition a soulevé plusieurs questions. La première controverse portait dès lors sur la notion de la faute personnelle et son équivalent dans le texte anglais « actual fault et privity». En effet, être privy de, c’est connaître, savoir. Et il semble bien qu’en anglais il y a privity lorsqu’il y a connaissance du fait générateur de responsabilité.

Mais il paraît aussi raisonnable d’admettre que la seule connaissance du fait soit insuffisante pour priver le propriétaire du bénéfice de la limitation, à moins qu’il n’ait été en son pouvoir d’empêcher la réalisation du fait dont il a connaissance180.

La deuxième difficulté avait trait à la gravité de la faute susceptible d’induire la déchéance de l’armateur de son droit de limitation, question épineuse eu égard au droit anglais qui ne connaissait pas la classification de divers degrés de faute, à la quelle les droits continentaux sont familiarisés. En effet, le texte de la Convention ne précise pas davantage la notion de la faute personnelle. Ceci a amené la doctrine à considérer qu’à défaut de précisions, toute espèce de faute personnelle mettra en échec la limitation.

Cette conception reste en accord avec la jurisprudence ancienne qui acceptait la faute personnelle sans la qualifier de lourde ou d’intentionnelle181 de même qu’avec la Convention de Bruxelles de 1924 (182).

Par ailleurs, un problème particulier au droit français a surgi. La jurisprudence Lamoriciere183 et Champollion184 ont introduit dans le droit français la règle selon laquelle le propriétaire est présumé être en faute sans qu’aucune preuve de ce faute ne soit revendiquée. Il est présumé responsable personnellement et donc personnellement en faute lorsqu’un dommage a été causé par le navire.

Par voie de conséquence, on débouchait sur une responsabilité illimitée. C’est ainsi que la Convention de 1957 a prévu que la responsabilité de l’armateur est limitée quelque soit la cause du dommage, faute du capitaine ou de l’équipage ou fait du navire lui même, pour peu qu’il n’existe pas de faute personnelle du propriétaire (art. 1.3).

La modification avec l’État antérieur du droit est donc fondamentale : l’article 216 du Code de commerce instituait l’abandon en nature dans le cas où le propriétaire était tenu du chef de son capitaine ou de l’équipage.

En conséquence, quand l’article 1384.1 du Code civil était la source de la responsabilité du propriétaire en tant que gardien, il ne pouvait pas invoquer la faculté d’abandon et pourtant aucune faute personnelle n’était alors prouvée contre lui185. Dorénavant, le demandeur avait intérêt d’invoquer l’article 1382 du Code civil puisque l’exclusion du bénéfice de limitation demande une faute personnellement imputable au propriétaire.

Invoquer l’article 1384 du Code civil ne servirait à rien puisque ce texte opère lorsqu’aucune faute n’est établie, le débiteur étant tenu d’une responsabilité de plein droit.

Finalement, il convient de mettre en avant que la Convention de 1957 a opté pour laisser au soin des législations nationales la question du fardeau de la preuve de la faute exclusive du bénéfice de limitation. En effet la Convention n’exigeait pas que la faute de l’armateur soit une faute prouvée. En abandonnant aux droits nationaux la réglementation de cette question fondamentale affectant l’issue du litige, elle permettait le maintien de la jurisprudence qui existe dans certains droits (droit anglais, droit américain), et selon la quelle dans certains cas pour le moins, c’est à l’armateur de prouver qu’il n’a commis aucune faute personnelle s’il prétend bénéficier de la limitation.

Par contre, le droit français de même que la plupart des droits continentaux (dont le grec) mettent la preuve de la faute à la charge du demandeur186.

Les dispositions de la Convention de 1957, après la ratification de celle-ci par la France ont été transposées dans le droit en français et la loi du 3 janvier 1967. L’article 58 aligne en effet le droit français interne sur le droit international, tel qu’était dégagé de la Convention de 1957.

S’agissant de l’appréciation de l’article 1 de la Convention de 1957, sur le fondement de ce texte une jurisprudence très rigoureuse à l’égard de l’armateur s’était évoluée, affirmant les craintes des armateurs pour une interprétation large que les tribunaux pourraient donner de la notion de faute personnelle prouvée187.

En effet les juridictions, pour assurer une meilleure indemnisation des victimes, ont refusé aux propriétaires de navire le droit d’invoquer la limitation et elles ont, pour obtenir ce résultat, apprécié avec une sévérité particulière le comportement de l’armateur. Cette tendance se retrouve en outre non seulement dans les décisions des tribunaux français, qui sont par ailleurs rares, mais aussi dans les décisions des juridictions étrangères, telles les américaines ou les britanniques ou les belges où la jurisprudence est beaucoup plus abondante188.

Cette sévérité des tribunaux à l’égard des armateurs s’est manifestée d’une part dans l’appréciation de la notion de faute, d’autre part dans l’appréciation du caractère personnel de la faute.

Pour ce qui est de l’appréciation de la faute de l’armateur, l’arrêt le plus notable est l’arrêt Navipesa Dos189. Dans cet arrêt qui est dans le droit fil d’une jurisprudence et d’une doctrine traditionnelles qui n’ont jamais cessé de proclamer que le défaut de navigabilité constitue une faute personnelle de l’armateur190, la Cour de cassation se prononce que, lorsque le navire se trouve, du fait d’un défaut d’étanchéité – vice propre du navire -, hors d’état d’entreprendre en toute sécurité la navigation à laquelle il était destiné, son propriétaire a commis la faute l’empêchant d’obtenir la limitation de responsabilité.

Cependant le professeur René Rodière, critiquant cet arrêt, opine que « autant il est conforme à l’esprit de la règle que le propriétaire soit tenu de façon illimitée quand il est établi que le dommage est consécutif à un défaut d’entretien du navire auquel de meilleurs soins ou une plus grande attention aurait pu remédier, autant il paraît contestable de dire que tout vice du navire, découvert après coup, révèle la faute personnelle du propriétaire et le doute devient plus pressant encore quand il est possible que le défaut prétendu du navire n’ait développé sous effet que par la suite d’une mauvaise utilisation de la pièce dite affectueuse (en l’espèce la porte arriéré de ce navire roulier n’étant pas parfaitement étanche), car cette utilisation relevait du capitaine et de l’équipage»191.

176 Y. Tassel, « Responsabilité du propriétaire de navire», préc., no 45 et s.

177 A. Vialard, La responsabilité des propriétaires de navires de mer, Thèse, Bordeaux, 1969; R. Herber, « Quelques problèmes concernant l’unification du droit surgis à l’égard de la Convention internationale sur la limitation de la responsabilité des propriétaires de navires de mer, signée à Bruxelles le 10 octobre 1957», DMF 1970, p. 267 et s.; I. Corbier , « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l’armateur» préc.; P. Griggs and Williams, Limitation of Liability, LLP, 3ème éd., 1998, p. 5.

178 Notamment en raison du choix qu’elle laissait à l’armateur entre l’abandon du navire et la limitation en valeur. V. A. Boyer, Le droit maritime, PUF, 1967, p. 95; P. Chauveau, Traite de Droit Maritime, Librairies Techniques, 1958, no 462 et s., p. 307 et s.

179 Solution qui ne présente guère de différences avec l’article 2 de la Convention de 1924 : « La limitation de responsabilité édictée par l’article précédent ne s’applique pas : 1) aux obligations résultant de faits ou fautes du propriétaire de navire»; V. R. Rodière et E. Du Pontavice, Droit maritime, 6ème éd., Dalloz, 1974.

180 A. Vialard, op. cit.

181 Solution que l’on trouve également dans le droit maritime français classique, celui de l’Ordonnance de la Marine d’août 1681 ou du Code de commerce de 1807, le propriétaire du navire étant déchu de son droit d’abandonner son navire pour échapper à toute responsabilité, dès lors que la simple faute -la culpa levissima du droit romain- avait contribué à la réalisation du dommage. Solution qui se place tout de même aux antipodes de l’esprit de la Convention de Bruxelles du 25 aout 1924 pour l’unification de certaines règles en matière de connaissements qui ignorait la possibilité de la déchéance du transporteur de son droit de limitation.

182 P. Bonassies, « La faute inexcusable de l’armateur en droit français», préc.

183 Cass. Com. 19 juin 1951, D. 1951, 717, obs. Doyen Ripert.

184 Cass. Civ. 23 janv. 1959, DMF 1959.277, obs. R. Rodière.

185 R. Rodière., Traité Général du Droit Maritime, Introduction, L’armement, Dalloz, 1976, no 475, p. 611.

186 P. Bonassies, « Les nouveaux textes sur la limitation de responsabilité de l’armateur. Évolution ou mutation ?», préc.

187 Corbier (I.), La notion juridique d’armateur, préc., p. 68.

188 R. Rodière et E. Du Pontavice, Droit maritime, Dalloz, 7ème éd. no 476, p.612; P. Bonassies, « Vingt ans de conventions internationales maritimes», préc.

189 CA Rouen, 15 octobre 1973, navire »Navipesa Dos», DMF 1974, p. 29 obs. G. Chereau et J. Warrot et Cass. Com., 3 déc. 1974, DMF 1975, p. 211, obs. P. Laureau et P. Bouloy.

190 V. les observations de P. Boulov à propos de l’arrêt de la Cour de cassation.

191 R. Rodière et E. Du Pontavice, op.cit., no 476, p. 612.

Aussi bien, comme nous l’avons déjà souligné, l’interprétation large de la faute exclusive de l’armateur de la limitation ne se rencontre pas seulement à la jurisprudence française mais elle se retrouve aussi à la jurisprudence d’autres juridictions nationales, parmi lesquelles les américaines192 et les britanniques193. Du reste, la chose a été affirmée à plusieurs reprises194.

C’est ainsi que dans l’arrêt Stulphur Queen du 25 avril 1972, la cour d’appel fédérale de New York a accepté la faute personnelle de l’armateur en constatant que ce dernier s’était engagé dans une opération de construction dangereuse, la transformation d’un pétrolier âgé en transporteur de souffre tout en confiant son navire à un chantier de haute réputation.

Dans le même esprit, le professeur Pierre Bonassies met, en préconisant ses conclusions, en exergue l’arrêt Amoco Cadiz où les tribunaux américains (et plus précisément le juge fédéral Frank McGarr) font grief à l’armateur de ne pas avoir veillé au bon état d’un appareil à gouverner d’un modèle nouveau, méconnaissant les instructions du conducteur et ils voient une faute dans le fait pour l’armateur de ne pas avoir suffisamment formé l’équipage à l’entretien, mais aussi à la réparation de l’appareil à gouverner195. Il en va de même pour la jurisprudence britannique.

En droit anglais, les juridictions ont, dans l’affaire du Lady Gwendolen, reproché à l’armateur de ne pas avoir institué un système permettant de contrôler le comportement de ses capitaines et de ne pas avoir attiré l’attention de ceux-ci sur la nécessité d’utiliser le radar avec une extrême prudence en cas de brume196.

Dans une affaire plus récente et beaucoup plus remarquable (Marion), la Chambre de Lords a condamné l’armateur qui, tout en mettant à la disposition de son capitaine des cartes parfaitement à jour, n’a pas mis sur le pied le système idoine à contrôler le comportement de ses commandants197. Outre l’appréciation de la faute de l’armateur, les juges faisaient aussi preuve de rigueur dans l’appréciation du caractère personnel de la faute de l’armateur198.

Il est ainsi à noter que les tribunaux ont largement négligé cette exigence imposée par le texte de la convention199. Ne limitant pas la notion de la faute personnelle à la seule faute du président ou du directeur général de la compagnie maritime, ils ont opté pour une interprétation large du terme personnel, soit par un déploiement de la notion d’organe représentant la société d’armement (un organe suffisamment élevé dans la hiérarchie de celle-ci)200 mais principalement par le recours à la notion de devoir de contrôle201, dont l’armateur est chargé dans l’organisation de l’exploitation financière d’un navire.

Il en résulte que sous le régime de la Convention de 1957, le droit à limitation de l’armateur n’était reconnu que dans la situation où le dommage en cause était à l’évidence la conséquence d’une faute exclusive du capitaine202.

192 C. Kende, « Le concept de limitation de responsabilité en droit maritime américain», DMF 1989, p. 727 et s.

193 P. Bonassies, « Les nouveaux textes sur la limitation de responsabilité de l’armateur. Évolution ou mutation ?», préc., « Vingt ans de conventions internationales maritimes», préc., p. 51; « La faute inexcusable de l’armateur en droit français», préc., p.75 et s. et P. Bonassies et Ch. Scapel, op.cit., p. 281, no 428.

194 Corbier (I.), La notion juridique d’armateur, PUF, «Les grandes thèses du droit français», 1999, p. 69.

195 P. Bonassies, « États-Unis d’Amérique, la décision »Amoco-Cadiz »», DMF 1985, p. 688.

196 Court of appeal, 2 avril 1965, Lloyd’s List Law Reports, 1965.1 p. 335; R. Grime, « The loss of the right to limit», Institute of Maritime Law, The University of Saouthampton, Limitation of Shipowners Liability, The new law, , éd. Sweet & Maxwell, p 106.

197 Chambre des Lords, 16 juin 1984, Lloyd’s Law Reports, 1984.2.1 : »Since the appelants had delegated the management and operation of Marion to an english company …. (F.M.S.L), the person whose fault would constitue, as a matter of law, the actual fault of the appelants is the managing director of F.M.S.L and the fault pf the managing director constituted in law actual fault or privity of the appelant shipowners ».

198 I. Corbier, La notion juridique d’armateur, PUF, «Les grandes thèses du droit français», 1999, p. 68; G. Mark Gauci, « Limitation of Liability, some reflection on and out-of-date privilege», ADMO, 2005, p. 47 et s.; R. Grime, « The loss of the right to limit», Institute of Maritime Law, The University of Saouthampton, Limitation of Shipowners Liability, The new law, , éd. Sweet & Maxwell, p. 102 et s.

199 C. Kende, op. cit., p. 727 et s. : « il est clair que la faute du responsable des activités maritimes d’une société (marine manager) est l’équivalent de la faute de celle-ci. De façon générale, la faute de toute personne ayant une responsabilité plénière de gestion ou d’opération d’une partie des activités de la société elle même. Notre jurisprudence reconnaît qu’en déléguant une responsabilité entière à un prépose, le manager ne peut pas échapper à sa responsabilité et que les faute du préposé sont imputables au gestionnaire, donc à la société. Mais en général la faute des marins n’engage pas la responsabilité de la société».

200 Cour d’appel fédérale de San Fransisco, DMF 1979, p. 432.

201 V. notamment CA Rouen, 15 octobre 1973, navire»Navipesa Dos», DMF 1974, p. 29 obs. G. Chereau et J. Warrot et Cass. Com., 3 déc. 1974, DMF 1975, p. 211, obs. P. Laureau et P. Bouloy et Chambre des Lords, 16 juin 1984, Lloyd’s Law Reports, 1984, p.2.1.

202 V. en guise d’exemple, CA Rouen, 1er août 1979, navire »Ifni», DMF 1980, p. 200; CA Aix en Provence, 18 mars 1977, navire »Beni Saf», DMF 1979, p. 72 où a été jugé que la faute personnelle de l’armateur doit être appréciée selon les exigences normales de l’activité considérée et que le droit à limitation ne peut disparaître du fait d’accident fortuit alors que le navire était régulièrement visité et surveillé par une société de classification compétente. Décision extrêmement importante en ce sens qu’elle adopte une interprétation raisonnable de la notion de la faute personnelle du propriétaire de navire; On citera également CA Rouen, 30 mars 1988, navire »Kirsten – Skou», (DMF 1989, p. 25, obs. Rémond Gouilloud et D. Lefort; DMF 1990, Hors série, p. 25 n0 21, obs. P. Bonassies) où la Cour d’appel de Rouen a comblé la lacune et a donné une définition de la faute personnelle qui est conçue comme la faute commise par les dirigeants sociaux ou par toutes personnes qui leur sont assimilées, à l’exception de celles qui ne disposent que d’une délégation limitée de pouvoirs, et notamment du capitaine, alors même que celui-ci représente l’armateur dans la gestion commerciale du navire (ici dans les soins à apporter aux marchandises). dès lors, le droit maritime apporte une solution mitigée au débat qui se développe autour de l’existence d’une responsabilité contractuelle pour fait d’autrui : l’armateur est responsable du fait de ses préposées mais il est pleinement responsable lorsque le dommage résulte exclusivement de son propre fait. Il reste que la faute commise par le capitaine démontre son inaptitude et par là l’éventuel manquement personnel de l’armateur à accomplir son obligation fondamentale, celle d’assurer le bon état de navigabilité du navire, obligation qui ne peut nullement être déléguée ( V. P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 282, no 429 ). On retrouve ce même point de vue dans les observations de R. Rodière qui opinait que la notion de responsabilité pour fait d’autrui n’existait pas, car le débiteur est responsable de sa propre faute qui consiste à avoir fait exécuter sa prestation contractuelle par un tiers alors qu’il devait y satisfaire personnellement, soit a voir commis une faute de choix, de surveillance ou d’instructions (V. obs. D. Lefort préc.).

203 I. Corbier, « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité», DMF 2002, p. 403; R. Rodière, « La limitation de responsabilité du propriétaire de navire, passé, présent et avenir»: DMF 1973, p. 259.

La volonté de la jurisprudence de refuser systématiquement à l’armateur le droit de limiter sa responsabilité est dès lors ostensible. Face à cette situation où le principe de la limitation de responsabilité apparaît de plus en plus comme l’exception, le législateur a décidé de modifier la définition de la faute de nature à faire sauter le plafond de limitation et à la notion de la faute simple a substitué la notion de la faute inexcusable203.

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