Les stratégies de camouflage : corriger plutôt que changer

Les stratégies de camouflage : corriger plutôt que changer

2.2. Les stratégies de camouflage : corriger plutôt que changer

2.2.1. Un style vestimentaire plus effacé : un style intemporel et non générationnel

Pendant la période de jeunesse et d’adolescence, les vêtements sont un marqueur identitaire. En effet lors du passage de l’enfance à l’adolescence et de l’adolescence à l’âge adulte, l’enfant se détache des normes parentales dans une démarche d’autonomisation. Se détachement s’opère dans le cadre d’une volonté de renforcement de l’intégration sociale, notamment parmi les groupes de pairs.

La tenue vestimentaire et le choix de suivre la mode constituent des facteurs prépondérants dans cette démarche d’autonomisation et dans la construction identitaire de l’individu. Ainsi la jeunesse des individus est marquée par un style vestimentaire socialement marqué. Cependant l’avancée en âge s’accompagne pour certains d’un style vestimentaire plus effacé, le passage d’un style « à la mode » à un style plus classique :

« Je m’habille classique, c’est ce qu’on me dit. Quand j’étais jeune adolescent, j’étais ce qu’on appelle un minet, à l’époque on disait class. A l’époque c’était le Rythm’n blues, Otis Redding, James Brown, les noirs s’habillaient très très bien, costard tout ça. Et moi j’étais dans cette mouvance là, sauf que je n’avais pas de sous donc je n’avais pas de Weston. Donc j’étais dans le type minet class. J’étais pas loubard, j’étais pas punk, j’étais pas avec des grosses fleurs. Maintenant on ne dit pas que je suis class, mais je suis classique. » (Rémi, H, 54 ans, psychiatre)

Ce passage à un style qualifié de classique est lié d’une part à une intégration sociale établie. Par ailleurs, les normes vestimentaires du monde du travail encouragent les individus à adopter un style classique :

« Je dirais classique. Mais j’ai pas vraiment de style. J’évite les déguisement, les trucs trop à la mode. Mon âge fait que je ne peux pas me permettre de m’habiller n’importe comment. Je m’habille classique, le costume pas souvent, et chez moi je m’habille plutôt sportif. » (Damien, H, 47 ans, fonctionnaire de La Poste)

Ce style vestimentaire plus effacé est également lié à un effet d’âge. Les enquêtés considèrent en effet qu’ils ne sont plus à un âge où ils peuvent oser. Les effets du vieillissement et l’altération de l’apparence physique impactent sur cette sobriété. Par les vêtements, l’individu camoufle alors les imperfections liées à l’âge plutôt qu’il ne dévoile son corps.

L’avancée en âge s’accompagne ainsi d’une moindre exaltation du corps :

« Je pense que mon style est classique. Je le sais et je l’assume. Je n’ose pas, j’ai jamais osé donc c’est pas maintenant que je vais oser. La minijupe, les décolletés, j’ai toujours été surprise de toutes ces femmes en minijupe. J’ai jamais osé donc c’est pas maintenant que mon corps me lâche que je vais oser. Maintenant il faut cacher ! C’est à 20, 30 ans qu’il aurait fallu faire le pas de plus d’audace. » (Claudine, F, 60 ans, médiatrice familiale)

Selon certains enquêtés ils ne sont plus un âge où il faut oser au niveau vestimentaire, il ne s’agit pas non plus d’adopter un style vestimentaire catégorisé de « vieux ». Certes un style qualifié de « jeune » est considéré comme ridicule en raison du décalage qui s’opère avec l’âge biologique de l’individu. Mais il ne s’agit pas non plus de se vieillir à travers le vêtement.

Ainsi dans son parcours d’achat, l’individu acquiert ses vêtements dans des lieux d’achats connotés plutôt « jeunes » que « vieux », à l’image des mères de familles qui achètent leurs vêtements avec leurs enfants dans les mêmes lieux d’achat. Néanmoins la crainte d’être ridicule en adoptant un style connoté « jeune » et excentrique les amène à adopter un style vestimentaire plus effacé.

Il s’agit donc de trouver le juste milieu, caractérisé par un style intemporel et non générationnel. Si certains enquêtés adoptent des pratiques de camouflage des signes de vieillissement à travers le style vestimentaire, ils sont néanmoins soucieux d’un paraître correspondant à une image juste d’eux-mêmes en adoptant un style vestimentaire neutre, ne caractérisant ni un look de « jeunes » ni un look de « vieux » :

« Je ne veux pas aller m’habiller chez les vieux, c’est clair. J’essaye de ne pas non plus m’habiller trop jeune. Donc c’est un peu plus compliqué. Je me vois mal m’habiller comme une jeune à mon âge, mais je ne me vois pas non plus m’habiller comme une mémé. Donc il faut savoir trouver le juste milieu. Moi je trouve qu’il faut quand-même que mes vêtements suivent avec mon caractère. Je ne suis pas mémère, je ne sais pas me plaindre. Il y a une différence entre moi et ma voisine par exemple. » (Suzanne, F, 59 ans, assistante maternelle)

2.2.2. Corriger les effets du temps mais rester naturel

Comme pour les pratiques vestimentaires, certains enquêtés ont vu leurs pratiques de maquillage évoluer. Pendant la période de jeunesse le maquillage a une fonction d’embellissement mais aussi d’affirmation de soi. Il est mis pour être vu.

Avec l’avancée en âge, le maquillage se fait pour certains plus discret. Il s’agit de rester naturel avant tout. Le maquillage n’est donc pas utilisé avant tout comme pratique de camouflage des signes de vieillissement. Il permet à la femme de partiellement camoufler ces signes du temps, mais il s’agit avant tout de rester naturel.

« Je me maquille moins voyant. C’est pareil pour les vêtements, on se maquille moins fort que quand on a 20 ans ou 16 ans. A 16 ans on en met une grosse couche pour que ça soit vu. Et après on le fait pour que ça fasse plus naturel. » (Suzanne, F, 59 ans, assistante maternelle)

Si les enquêtées adoptent des pratiques de camouflage des cheveux blancs, la teinture n’est pas choisie de manière anodine. Il ne s’agit pas de cacher les cheveux blancs pour changer d’apparence.

Au contraire, les stratégies de camouflage s’accordent avec les caractéristiques physiques originelles des individus. Ainsi, le choix de la teinte couvrant les cheveux blancs est porté sur une couleur proche de la couleur capillaire naturelle de l’individu. Les stratégies de camouflage ne visent donc pas le changement, mais la correction des effets indésirables du vieillissement.

Il s’agit de rester avant tout soi-même :

« J’essaye de faire des teintures naturelles. D’abord j’ai horreur des trucs très rouge, je trouve ça artificiel. Donc j’essaye de faire une teinte qui soit proche de ma couleur naturelle, pour rester dans quelque chose de naturel. Donc moi je me teints pour cacher mes cheveux blancs et essayer de sauver ce qui peut encore être sauvé, mais sans vouloir être une autre. » (Claudine, F, 60 ans, médiatrice familiale)

Les pratiques de chirurgie esthétique visant à cacher les signes de vieillissement sont des pratiques dont les enquêtés se sont s’exemptés. Elles sont en effet considérées comme une stratégie qui dénature l’image et l’identité de l’individu. La peau est l’enveloppe corporelle qui contribue à construire l’image de soi et fait que chacun se retrouve dans le regard de l’autre.

C’est pourquoi la chirurgie esthétique n’est pas une pratique adoptée par les enquêtés. Plutôt garder les rides que de changer d’expression de visage. La volonté de rester naturel domine donc sur les quelques difficultés à accepter les signes du temps. Cela rend l’acceptation des signes de vieillissement plus aisée :

« Les rides elles sont là, c’est tout. Il y a 15 jours je me regardais, je me disais je ferais bien un petit lifting, et puis finalement je me suis regardée dans la glace en tirant, et puis je me suis dit non, c’est plus moi. J’ai l’impression d’avoir un visage froid, sans expression. Donc je préfère garder mes rides. » (Suzanne, F, 59 ans, assistante maternelle)

Certains enquêtés mettent donc en place des stratégies de camouflage des signes de vieillissement comme par le maquillage ou la teinture des cheveux. Cependant, l’individu s’attache à maintenir une continuité de son image.

Pour le regard d’autrui et pour soi, l’identité de l’individu est en partie cristallisée à travers son apparence physique. Les stratégies de camouflage des signes de vieillissement ne doivent donc pas amorcer une rupture et un changement identitaire. C’est pourquoi l’individu s’attache à rester naturel :

« J’essaie de toujours avoir la même image pour les autres. Je suis quand-même derrière un comptoir, donc il faut être soigné. Je ne me néglige pas, mais je ne fais pas en sorte d’être trop sophistiquée ou trop maquillée. J’essaie de rester naturelle. » (Marie, F, 49 ans, pharmacienne)

2.2.3. Trouver le juste milieu ou le ridicule du rajeunir

Si les individus adoptent des pratiques de camouflage des signes de vieillissement, ces pratiques sont intégrées dans des limites à ne pas dépasser. Il ne s’agit pas de changer d’apparence, mais de rester soi-même.

Il s’agit également de ne pas tomber dans le ridicule par le fait de se rajeunir trop. Les individus s’attachent donc à trouver le juste milieu d’une part pour soi, mais aussi pour le regard des autres :

« Il faut cacher les signes de vieillissement dans une certaine limite. Il ne faut pas non plus caricaturer, il faut trouver le juste milieu. Sinon t’as l’air ridicule. Si t’as une moumoute, un blond peroxydé, que tu es refait de partout, je pense que ça ne passe pas. Je pense que on peut s’améliorer physiquement, mais en restant dans un juste milieu.» (Jacques, H, 51 ans, anesthésiste)

Ainsi certains enquêtés se posent des limites comme ne pas mettre de maquillage trop voyant ni de vêtement trop excentriques. Ces limites amènent alors à penser que l’avancée en âge s’accompagne de contraintes établies par l’individu même. Avec le vieillissement il semble donc que la liberté de paraître comme l’individu le désire s’atténue. La jeunesse est présentée comme une période de vie où l’individu est libre.

Il se donne des libertés qui accompagnent le processus d’autonomisation. Mais la période adulte ainsi que celle suivant la période de vieillesse laisse place à un individu qui prend en compte les normes, le regard d’autrui et s’impose alors lui-même des règles :

« Moi j’ai des frontières du ridicule qui font partie de l’habillement, du physique. Du rouge à ongle jamais je ne me mettrais du rouge à mon âge, ça ne se fait pas. Il ne faut pas mettre des choses qui se remarquent, il faut se fondre.

Donc moi c’est très basic, toujours des cheveux courts méchés. Maintenant il y a des mémés qui sont ce que j’appelle des arbres de noël avec du rouge, des grosses boucles d’oreille. En vieillissant, plus tu te maquilles fort plus tes traits ressortent. Donc j’ai que des choses simples, pas de talon, que des baskets sympas. » (Sophie, F, 60 ans, nurse)

Finalement si l’individu approchant de l’âge de la vieillesse ne désire pas être cloîtré dans une classe générationnelle, il ne cherche pas non plus à s’extirper totalement de sa génération, tant dans l’apparence qu’il donne que dans les relations sociales qu’il entretient. Ainsi par exemple, une enquêtée n’envisage pas de se mettre en couple avec un homme plus jeune qu’elle.

Le juste milieu est donc de ne pas s’isoler dans des pratiques propres aux générations plus jeunes et plus âgées :

« Je ne veux pas non plus tomber dans le ridicule, la bonne femme qui se fait des jeunes. » (Sophie, F, 60 ans, nurse)

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Les 45-60 ans : âges de transition
Université 🏫: Université Paris Descartes - Faculté des Sciences Humaines et Sociales Sorbonne
Auteur·trice·s 🎓:
Charlotte Feuillafée

Charlotte Feuillafée
Année de soutenance 📅: Master 2, Magistère de sciences sociales appliquées à l’interculturel - Juin 2008
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