La réciprocité, l’attente et l’opportunisme – Stratégie des trolls

La réciprocité, l’attente et l’opportunisme – Stratégie des trolls

Section 2

Absence de réciprocité

Dans le cadre d’un litige ayant trait à un brevet et impliquant des parties qui sont toutes deux des entreprises productrices, il est fréquent que le défendeur introduise contre le demandeur une demande reconventionnelle63. Il s’agit d’un mécanisme de défense classique, particulièrement efficace lorsque les parties opèrent dans le même secteur d’activité, plus encore si ce secteur a habituellement recours au mécanisme du brevet pour protéger ses innovations.

Par ce biais, le défendeur introduit sa propre action en contrefaçon contre le demandeur. Bien souvent, cela amènera les parties à conclure des accords de licences dites croisées par lesquels les parties s’autorisent chacune à utiliser le brevet de l’autre64. Lorsque deux entreprises productrices détiennent des brevets complémentaires, elles ont donc chacune un intérêt à coopérer avec l’autre pour éviter une « destruction mutuelle assurée »65.

Par contre, le troll n’a pas d’incitant à obtenir une licence sur un brevet détenu par sa cible et préfèrera obtenir des royalties. En effet, quel intérêt aurait-il à se voir accorder une licence sur un brevet donné, s’il ne produit rien industriellement ? Il est donc moins vulnérable qu’une entreprise productrice, ce qui lui confère un avantage certain dans les négociations avec sa cible.

SECTION 3

L’ATTENTE

L’attente fait partie intégrante de la stratégie des trolls. Comme leur but premier est d’utiliser les brevets qu’ils détiennent afin de maximiser leur profit, dérivé quasi exclusivement de royalties et de dommages et intérêts, ils ont tout intérêt à surgir lorsque le contrefacteur a déjà réalisé des investissements conséquents, basés sur la technologie litigieuse. Plus le temps passe, plus le contrefacteur investit en recherche et développement et, partant, moins il lui sera facile d’abandonner l’invention litigieuse. RIM, par exemple, avait déjà investi tant de ressources dans le développement de son BlackBerry qu’il lui était impossible, sauf à se précipiter vers la faillite, de se passer de la technologie protégée par les brevets de NTP.

SECTION 4

L’OPPORTUNISME

Selon une pratique traditionnelle dans le milieu, le patent troll envoie des lettres que l’on pourrait qualifier, avec A. Chuang, de « cease and desist »66, aux entreprises qu’il juge être des contrefacteurs. Il en enverra le plus possible, même à des entreprises qui ne violent objectivement pas leur droit de propriété intellectuelle : cela ne lui coûte en effet qu’une lettre type, une enveloppe et un timbre mais cela peut lui rapporter gros.

62 D. C. STETTNER, « Meet the patent enforcers », Wisconsin Lawyer, 2004, vol. 77, n° 4.

63 Définie en l’article 14 du Code judiciaire belge, « la demande reconventionnelle est la demande incidente formée par le défendeur et qui tend à faire prononcer une condamnation à charge du demandeur. ». Il s’agit donc d’une « contre-attaque » du défendeur. On parle, en droit anglo-saxon, de counterclaim.

64 C. SHAPIRO, « Navigating the Patent Thicket: Cross Licenses, Patent Pools, and Standard Setting », in Innovation Policy and the Economy (sous la dir. de A. B. JAFFE, J. LERNER et S. STERN), Volume 1, Cambridge, MIT Press, 2001, p. 127.

65 S. K. SHRESTHA, « Trolls or Market-Makers? An Empirical Analysis of Nonpracticing Entities », Columbia Law Review, 2010, vol. 110, p. 125.

66 A. CHUANG, « Fixing the failures of software patent protection: deterring patent trolling by applying industry-specific patentability standards », Southern California Interdisciplinary Law Journal, 2006, vol. 16, p. 232.

67 L. LERER, « Meet the Original Patent Troll », IP Law & Business, 20 juillet 2006.

En 2001, D. Henderson acquit un brevet de Scheinder Automation, Inc. portant sur des programmes de tableurs informatiques utilisés dans des équipements de fabrication. Quelques mois plus tard, son avocat, Ray Niro, mentionné supra, envoya des centaines de ces lettres, presqu’identiques, à des soi-disant contrefacteurs les invitant à trouver « une solution à tous les problèmes, de manière prompte et amicale »67.

Les destinataires qui ne répondaient pas rapidement et/ou refusaient de payer les 600.000 à 1 million de dollars demandés, étaient poursuivis en justice sans délai par l’avocat. Plus de cinquante sociétés importantes, telles Boeing ou BMW, cédèrent aux menaces et trouvèrent un accord avec lui. Ray Niro a obtenu près de 30 millions de dollars en royalties pour son client, dont 30% lui revint, sur cette seule affaire.

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