Insuffisance de l’approche pragmatique adoptée, loi du 8 juillet 1983

Insuffisance de l’approche pragmatique adoptée, loi du 8 juillet 1983

b) L’insuffisance de l’approche pragmatique adoptée

673. Le but affiché du projet de loi « renforçant la protection des victimes d’infractions » était d’« insérer dans le Code pénal et dans le Code de procédure pénale des dispositions garantissant de manière effective le droit pour les victimes d’obtenir réparation de leur préjudice »943 ou d’« assurer aux victimes d’infractions une réparation plus sûre et plus rapide »944.

L’objectif de la loi de 1983 était donc d’adopter des solutions d’ordre pratique dans le but de favoriser l’action en indemnisation de la victime. Toutefois, cette approche pragmatique ne dispensait pas de maîtriser les mécanismes juridiques impliqués et de faire preuve d’un minimum de bon sens.

Les travaux parlementaires révèlent à cet égard de gênantes méconnaissances et confusions, mais qui n’expliquent pas à elles seules qu’il n’ait pas été remédié aux insuffisances du projet de loi.

Au vu des éléments dont ils disposaient, les parlementaires auraient pu détecter les lacunes du texte et y remédier, ce qu’ils n’ont pas fait.

674. Clause de direction de procès et intervention de l’assureur. Le débat sur la nécessité d’autoriser l’intervention de l’assureur devant le juge répressif avait été relancé en 1964 par une décision concernant le jeu de la clause de direction de procès devant ce juge, car il était devenu flagrant que la clause de direction de procès était un palliatif insuffisant à l’exclusion de l’assureur945.

Il était donc nécessaire, pour comprendre l’enjeu de l’intervention de l’assureur, de connaître le mécanisme de la clause de direction de procès et surtout la spécificité de son application devant le juge répressif946. Or, il apparaît que les parlementaires ont été quelque peu approximatifs à ce sujet.

Ainsi, nous trouvons dans le rapport de Madame Cacheux l’affirmation exagérée selon laquelle la clause de direction de procès « ne s’applique pas aux juridictions pénales »947, ce qui est erroné car la clause de direction de procès est applicable devant le juge répressif dans le cadre de l’action civile.

La direction du procès par l’assureur doit seulement ne pas gêner la défense pénale de l’assuré dans le cadre de l’action publique948.

675. De plus, les parlementaires ont même eu tendance à confondre le mécanisme de l’intervention de l’assureur avec celui de la clause de direction de procès ou avec celui de la défense recours ou de la protection juridique.

Leurs interventions révèlent une conception de l’intervention de l’assureur héritée de la clause de direction de procès, pour ne pas dire qu’une confusion a souvent été commise entre l’intervention de l’assureur et l’exercice de la direction du procès.

Ceci est d’autant plus malheureux que l’intervention de l’assureur a précisément pour but de remédier aux inconvénients de l’exercice de la direction du procès.

Ainsi le rapporteur du Sénat a commenté en ces termes les dispositions instituant l’intervention de l’assureur, qu’il présentait à la Haute Assemblée : « Dira-t-on, comme certains le pensent, que cette disposition va permettre aux assureurs de diriger désormais le procès pénal ? C’est possible, mais ce ne sera pas une novation »949.

Un peu plus tard le même a avancé à propos des exceptions de garantie : « il va de soi que, si l’exonération n’est que partielle, il [l’assureur] doit demeurer au débat et s’associer à la défense de son client ».

Il exprimait là une conception héritée de la direction de procès, reposant sur la communauté d’intérêts entre l’assuré et l’assureur qui doit le garantir950.

Le Sénateur Lederman a dit redouter que « l’intervention volontaire ou forcée des compagnies d’assurances, celle de la partie civile et celle de l’assuré, ne confère finalement dans la plupart des procédures, sinon dans la totalité de celles-ci, la direction du procès à ces compagnies »951.

Toutefois, le Sénateur Dreyfus- Schmidt a précisé que grâce à l’intervention de l’assureur, ce dernier pourra faire appel en son nom et non faire interjeter un appel par l’assuré en application de la clause de direction de procès. Ainsi « il n’y aura pas de confusion des genres » et « on saura, par conséquent, à qui l’on parle et qui parle »952.

676. La confusion entre l’intervention de l’assureur et le jeu de la clause de direction de procès se traduit encore par la crainte de voir l’assuré privé du libre choix de son défenseur, l’assureur pouvant imposer son avocat pour défendre ses intérêts d’abord et accessoirement ceux de l’assuré953.

673 Articles L 132-1 et L 142-2 du Code de l’environnement.

674 Article L 421-1, L 422-2 et L 422-3 du Code de la consommation.

675 Cf. supra n° 338 et s.

676 R. Merle : La distinction entre le droit de se constituer partie civile et le droit d’obtenir réparation du dommage causé par l’infraction, in Mélanges Vitu, Cujas 1989, p. 397 à 404.

Les interventions du Député Garcin et du Sénateur Lederman exprimant leur crainte de voir les assurés privés du libre choix de leur conseil révèlent également une confusion entre l’intervention de l’assureur d’une part, et le jeu de la garantie défense-recours ou de la garantie protection juridique d’autre part954. Pourtant, l’intervention de l’assureur est au contraire de nature à garantir la liberté de l’assuré.

Lorsque l’assureur intervient au procès, il devient une partie et apparaît comme tel aux yeux de tous. Or, le principe est que chaque partie est libre de sa défense vis-à-vis des autres parties, et en particulier du choix de son avocat.

L’intervention de l’assureur met donc l’assuré en position de choisir son propre avocat alors que c’est la direction de procès qui pousse l’assureur à imposer son avocat à l’assuré, puisque dans ce cas seul l’assuré apparaît comme partie à l’instance.

En tant que parties distinctes, l’assureur et l’assuré ne peuvent avoir un avocat commun que dans l’hypothèse où ils n’ont aucun conflit d’intérêts. Et dans ce cas, l’assuré ne subit alors aucun préjudice à être défendu par l’avocat « imposé » par son assureur.

677. Responsabilité de l’assuré et garantie de l’assureur. La relation entre la garantie de l’assureur et la responsabilité de l’assuré paraît également avoir posé problème aux parlementaires. Ils ont même parfois donné l’impression de faire une confusion à ce sujet.

En témoignent la référence au cas où « l’assureur se reconnaît partiellement responsable » à propos des exceptions de garantie955, ainsi que la référence à la « responsabilité » de l’assureur du prévenu ou du civilement responsable956, alors que cet assureur n’est pas un civilement responsable mais un garant957.

Toutefois, il apparaît que la garantie de l’assureur est bien différenciée de la dette de responsabilité de l’assuré dans l’esprit des parlementaires, malgré l’emploi malencontreux du terme « responsabilité » à propos de la garantie d’assurance958.

678. Il est dans ces conditions surprenant que les parlementaires n’aient admis que de manière aussi restrictive la compétence du juge répressif pour connaître des questions concernant la garantie d’assurance.

En effet, ils avaient admis l’intervention de l’assureur au motif que les questions d’assurance intéressent bien l’action civile de la victime. Et ils n’ignoraient pas que « les problèmes de responsabilité civile et ceux concernant l’assurance de cette responsabilité sont étroitement liés »959.

Toutefois, une fois le principe de l’intervention admis, les parlementaires sont revenus à une conception de l’action civile réduite au problème de la dette de responsabilité du prévenu ou du civilement responsable envers la victime. Ils se sont focalisés sur cette dette de responsabilité et ont occulté le problème de la garantie de l’assureur.

Les débats laissent clairement voir que dans leur esprit, l’intérêt de l’intervention de l’assureur était de lui rendre opposable la décision prise par le juge répressif sur la dette de responsabilité du prévenu ou du civilement responsable envers la victime.

La question de la garantie de l’assureur était censée être évacuée par le mécanisme des exceptions de garantie. Les parlementaires ont entendu placer l’assureur intervenant au procès pénal devant l’alternative suivante : soit opposer une exception de garantie de nature à le mettre hors de cause, soit discuter le principe et l’étendue de la responsabilité civile de l’assuré et se voir rendre la décision opposable sur ce point960.

Nous retrouvons une conception héritée de la clause de direction de procès, imprégnée de l’idée de communauté d’intérêts entre l’assureur et l’assuré qui caractérise le fonctionnement de cette clause.

679. Or, c’était oublier que l’assureur peut être en mesure d’invoquer des exceptions de garantie qui, sans justifier une mise hors de cause, lui permettent d’invoquer une obligation à garantie moins étendue que la dette de responsabilité de l’assuré.

Ces exceptions n’étant pas tranchées par le juge répressif, toute contestation persistant sur ce point doit être portée par la victime devant le juge civil, par un second procès que la réforme de 1983 avait précisément pour objet d’éviter.

Ceci nous amène à une autre confusion commise tant par les auteurs du projet de loi que par les parlementaires concernant l’objet et l’effet de l’intervention de l’assureur : l’intérêt pour la victime de l’intervention de l’assureur n’était pas de rendre la décision sur la responsabilité civile de l’assuré opposable à l’assureur, mais d’obtenir la condamnation de l’assureur à régler l’indemnité au en exécution de la garantie.

C’était une profonde méprise de croire qu’il suffisait, pour améliorer le sort des victimes, de rendre la décision sur les intérêts civils opposable à l’assureur en admettant son intervention devant le juge répressif.

680. La première erreur des parlementaires a été d’estimer à tort que l’admission de l’assureur devant le juge répressif constituait un progrès en lui rendant opposable la décision sur la responsabilité de l’assuré.

Certes, la décision sur les intérêts civils est indiscutablement opposable à l’assureur intervenu aux débats, en application de l’autorité de la chose jugée au civil attachée à cette décision du juge répressif961.

Cependant, une jurisprudence constante et établie depuis 1968 prévoit qu’en matière d’assurance de responsabilité, la décision de justice sur la responsabilité de l’assuré constitue la preuve du sinistre à l’égard de l’assureur qui n’a pas participé aux débats, ce qui revient à lui rendre cette décision opposable malgré le caractère relatif de l’autorité de la chose jugée au civil962.

C’est donc à tort que les députés comme les sénateurs ont, ignorant cette jurisprudence, estimé que la décision sur les intérêts civils n’était pas opposable à l’assureur qui n’est pas intervenu963 et que l’admission de l’intervention constituait en conséquence un progrès en rendant la décision opposable à l’assureur964.

681. Toutefois, en dépit de cette erreur, les parlementaires auraient dû se rendre compte que l’opposabilité de la décision à l’assureur n’était pas totalement de nature à éviter un second procès et que la réforme discutée ne pouvait en conséquence atteindre l’objectif d’offrir à la victime une indemnisation plus sure et plus rapide.

L’intervention de l’assureur au procès pénal était en effet censée améliorer le sort des victimes en leur évitant d’intenter devant le juge civil un second procès contre l’assureur.

677 J. Vidal : Observations sur la nature juridique de l’action civile, RSC 1963 p. 481, n° 22 et s.; M. Delmas- Marty : Droit pénal des affaires, P.U.F. 1973 (1ère éd.) p. 543 et 555; Droit pénal des affaires, 3ème éd. P.U.F.

Thémis p. 234; J. de Poulpiquet : Le droit de mettre en mouvement l’action publique : conséquence de l’action civile ou droit autonome ? , RSC 1975 p. 37. Dans le même sens, Madame le Professeur Rassat indique que si la victime peut utiliser son droit de déclencher et d’exercer l’action civile à titre purement vindicatif, il n’en demeure pas moins que l’action civile elle-même n’est qu’une action en indemnisation : M.-L. Rassat : Traité de procédure pénale, P.U.F. coll. Droit fondamental 1ère éd. 2001, n° 312.

678 Distinction qu’il présente comme allant plus loin que la distinction entre l’action civile d’une part et la constitution de partie civile ou le droit de poursuite d’autre part : Ph. Bonfils : th. préc., n° 229 et s., spéc. n° 245 et 253, ainsi que La participation de la victime au procès pénal, une action innomée, in Le droit pénal à l’aube du 3ème millénaire, mélanges offerts à Jean Pradel, Cujas 2006, p 179.

679 Ph. Bonfils : art. préc.

680 En ce sens Ph. Bonfils, pour qui « la participation de la victime au procès pénal est une action en justice, au sens de l’article 30 du Code de procédure civile », th. préc., n° 245 p. 296 et art. préc., p 181.

681 Ph. Bonfils : th. préc., n° 246 et art. préc., spéc. p 184 et s.

Les auteurs du projet de loi et les parlementaires étaient partis du constat que souvent la victime pouvait seulement faire reconnaître la responsabilité civile par le juge répressif, et qu’il lui était nécessaire d’aller devant le juge civil pour obtenir un titre exécutoire contre l’assureur du responsable.

Or, il ne pouvait échapper à personne que rendre la décision sur la responsabilité opposable n’équivalait pas à permettre au juge répressif de prononcer une condamnation de l’assureur, et que seul ce titre exécutoire délivré par le juge pénal rendait totalement inutile un second procès devant le juge civil.

682. Certes, le second procès est évité lorsque d’une part la décision constatant la responsabilité de l’assuré est opposable à l’assureur, et d’autre part celui-ci ne peut opposer d’exception de garantie.

Et encore, ainsi que nous venons de l’évoquer, la décision sur la responsabilité peut être opposable à l’assureur sans même qu’il soit intervenu.

682 Cf. infra sur la place de l’action civile dans le procès pénal, n° 508 et s.

Mais surtout, l’intervention de l’assureur ne constitue pas un progrès pour la victime si le juge répressif n’est pas en mesure de trancher le problème de la garantie, car il ne peut alors prononcer une condamnation de l’assureur.

Il est à cet égard curieux que les députés aient refusé d’étendre la compétence du juge répressif aux exceptions partielles de garantie présentées par l’assureur, alors qu’ils étaient conscients de la nécessité de le faire.

La raison avancée était que l’amendement aurait pour effet de multiplier les exceptions soulevées par les assureurs et de retarder d’autant l’issue des procès965.

Cependant, en empêchant le juge répressif de vider le débat de la garantie d’assurance, les députés ont paradoxalement rendu nécessaire le second débat devant le juge civil qu’ils voulaient éviter à la victime.

Ainsi les parlementaires connaissaient la distinction entre la responsabilité de l’assuré et la garantie de l’assureur, ainsi que la nécessité de faire juger les deux par le juge répressif pour faciliter l’action de la victime.

Pourtant, de manière très surprenante ils ont préféré mettre en place un système contraignant la victime à saisir le juge civil pour faire trancher le problème de la garantie après que le juge pénal a reconnu la responsabilité de l’assuré.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’intervention de l’assureur au procès pénal
Université 🏫: Université Nancy 2 Faculté de Droit - Ecole Doctorale Sciences Juridiques
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur Romain SCHULZ

Monsieur Romain SCHULZ
Année de soutenance 📅: THESE en vue de l’obtention du Doctorat en Droit - le 18 novembre 2009
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