Les réalisatrices de la Nouvelle Vague du cinéma français

2) Quelle reconnaissance pour les réalisatrices de la Nouvelle Vague ?
Les palmarès des femmes cinéastes récompensées dans les festivals
Les jeunes Turcs des Cahiers du Cinéma ont souvent été auréolés par la presse et récompensés dans les festivals. Ainsi, François Truffaut reçoit le prix de la mise en scène pour Les Quatre Cents Coups au Festival de Cannes 1959 et est récompensé à plusieurs reprises pour son film Jules et Jim, notamment par deux prix de la meilleure mise en scène au Festival International du Cinéma de Buenos-Ayres en 1962 et au Festival International du film de Mar Del Plata la même année. Claude Chabrol se voit quant à lui remettre un Voile d’argent pour le film Le Beau Serge au Festival de Locarno en 1958 et un Ours d’or pour Les Cousins à l’occasion du Festival de Berlin l’année suivante, tandis qu’Alain Resnais gagne le Lion de Saint-Marc Or pour L’année dernière à Marienbad à la Biennale de Venise de 1961. Jean-Luc Godard n’est pas en reste puisqu’il est récompensé plusieurs fois par le jury du Festival de Berlin, qui lui décerne un Ours d’argent pour A bout de souffle en 1960, un autre en 1961 pour Une femme est une femme et un Ours d’or pour Alphaville en 1965.
Après avoir fouillé dans les archives de différents festivals -précisément dans les archives de la Mostra de Venise, des Festivals Internationaux du Film de Berlin, de Saint-Sébastien ou de Karlovy Vary, du Festival de Moscou, de celui de Locarno, de Cannes ou encore de Buenos-Ayres- et en retrouvant les palmarès des prix Jean-Vigo, Louis Delluc et de l’Académie du Cinéma, je me suis rendu compte que les lauréates sont très rares, même pendant la période Nouvelle Vague. Elles ne sont que trois, présentées ci-dessous :
Tableau n°1 – Les cinéastes récompensées dans les festivals entre 1958 et 1965

RéalisatriceFilmPrix / FestivalAnnée
Sylvie Jallaud Maud Linder Agnès Varda
Agnès Varda
Le journal d’un certain David En compagnie de Max Linder Le Bonheur
Le Bonheur
Hommage au Festival de Cannes Prix de l’Académie du cinéma Prix Louis Delluc
Ours d’argent au Festival de Berlin
1960
1964
1964
1965

Comme on peut le voir sur le tableau n°1 ci-dessus, En compagnie de Max Linder de Maud Linder gagne le prix de l’académie du cinéma en 1964. Cette académie récompense chaque année, entre 1955 et 1975, les cinéastes français. Agnès Varda remporte quant à elle un Ours d’argent au Festival de Berlin en 1965. Le prix lui est décerné pour Le Bonheur, film pour lequel elle avait déjà reçu le prix Louis Delluc l’année précédente. De plus, entre 1958 et 1965, le Festival de Cannes n’a récompensé qu’une seule réalisatrice pour son travail. Il s’agit de Sylvie Jallaud, dont le court métrage Le journal d’un certain David a été salué par un « hommage » lors de la 13ème édition du festival, en 1960. Quelques films de cinéastes françaises ont par ailleurs été sélectionnés pour ce festival cannois, comme le court métrage Ô saison Ô châteaux d’Agnès Varda en 1958 ou son long-métrage Cléo de 5 à 7 en 1962. Cette même année, le court métrage Rodolphe Bresdin de Nelly Kaplan faisait partie des films courts en compétition tandis que trois ans plus, en 1965, le long métrage Le cinquième soleil de Jacqueline Grigaut-Lefèvre est présenté en hors-compétition. Aucun de ces films n’a gagné de prix.
Comme on peut le constater, très peu de réalisatrices ont été récompensées. Vitrines du cinéma mondial, les festivals et cérémonies ne font que refléter une certaine réalité déjà évoquée précédemment : l’industrie cinématographique est un domaine masculin. Et si l’on dénombre très peu de françaises parmi les lauréates de ces manifestations, il n’y a guère plus de femmes originaires d’autres pays. Le pourcentage de films réalisés par des femmes et faisant partie des sélections est extrêmement faible tout simplement car il y a peu de femmes qui passent derrière la caméra. Pour s’en convaincre il suffit de consulter les dictionnaires de cinéma, comme nous l’avons fait pour les cinéastes français, mais l’on peut également se tourner vers les questionnaires auxquels sont invités à répondre les cinéastes dans les magazines de cinéma pour constater qu’inévitablement le nombre d’interviewés masculin est plus élevé.
Femmes cinéastes interviewées dans les revues de cinéma
La revue les Cahiers du cinéma publie dans ses numéros 16175 et 16476 les réponses données par certains réalisateurs français de l’époque à un questionnaire titré « Qui ? Pourquoi ? Comment ? ». Ledit questionnaire pose sept questions à environ quatre-vingts « cinéastes français de quelque importance, et représentant les diverses orientations de leur art ». Ceux-ci sont interrogés sur leur actualité et leurs projets à venir mais également sur les points qui font débat au sein du milieu, sur l’avance sur recettes par exemple ou sur les décrets votés récemment. La dernière question demande ainsi : « Que pensez-vous de l’avenir immédiat, et moins immédiat, du cinéma français ? Etes-vous optimiste, pessimiste, ou attentiste ? ». Y répondent les réalisateurs Henri Colpi, Jacques Demy, Jacques Doniol- Valcroze, Georges Franju, Jean-Pierre Melville, Alain Resnais, Jean Rouch, Jacques Tati, Marcel Hanoun, Jean-Luc Godard, Pierre Kast, Jean Aurel, François Truffaut ou encore Alexandre Astruc. Deux femmes figurent parmi les dizaines de personnes interviewées : Agnès Varda77 et Paula Delsol78.
Ainsi, en 1965, date de publication de ces réponses, il est intéressant de noter que deux femmes à peine sont considérées comme cinéastes « de quelque importance ».
Un an plus tôt déjà dans Cinéma 64, les témoignages de seulement deux femmes étaient exposés aux côtés de ceux de vingt-huit hommes. Dans un numéro spécial Dix ans de cinéma français79, la revue se remémore les évènements cinématographiques français qui ont marqué la dernière décennie, c’est-à-dire la période allant de 1954 à 1964, et pour l’occasion une trentaine d’intervenants sont invités à participer. Divers articles évoquent par flash-back les films et les chiffres qui marquèrent chaque année ou évoquent encore les faits-divers et les nouveaux visages qui firent l’actualité ces années là. Plus loin sont publiés les témoignages des invités, trente personnes « faisant du cinéma, liées au cinéma, passionnées de cinéma ». Ils évoquent tour à tour les évènements ou films qui les ont marqués entre 1954 et 1964. On y retrouve les souvenirs des réalisateurs Jean-Pierre Melville, Abel Gance, Gilles Jacob ou Alain Resnais mais aussi ceux de producteurs comme Anatole Dauman, de critiques, écrivains ou sociologues tels Marcel Martin, Georges Sadoul et Edgar Morin ou encore d’acteurs comme Alain Delon et Guy Bedos. Les femmes Agnès Varda et Nina Companeez, la première réalisatrice et la seconde monteuse ou scénariste pour Michel Deville, côtoient ces 28 hommes adorateurs du septième art.
Nina Companeez avoue dans son témoignage avoir été marquée par la féminisation progressive des personnages principaux dans les œuvres filmiques françaises. Touchée par ces rôles féminins et certaines actrices elle déclare ainsi : « Il faut dire d’ailleurs que nous avons en France des comédiennes merveilleuses. Je ne vois pas dans quel pays il y a à l’heure actuelle des comédiennes qui peuvent se comparer aux nôtres80 ». Il est vrai qu’une des particularités de ce « mouvement » de la Nouvelle Vague est l’apologie de nouveaux visages féminins, de nouveaux corps et de fait de nouvelles actrices. Nina Companeez cite ainsi Brigitte Bardot, Anna Karina ou encore Jeanne Moreau, puis conclut son témoignage en appelant les cinéastes à revaloriser les protagonistes masculins devenus insignifiants faces au charisme de leurs collègues féminines. « Car, ne l’oublions pas, il n’y a pas que le cinéma qui prône la femme et détruise l’homme ! Il y a la littérature, le théâtre81 » dit-elle, ajoutant qu’il faut « sauver les hommes » car il faut « sauver la France ». Il faut dire en effet que les actrices sont souvent encensées par la critique. D’ailleurs, comme le raconte Antoine de Baecque dans La cinéphilie :
Nombre de jeunes gens sont entrés en cinéphilie par l’amour et le désir des femmes vues sur l’écran, passion prolongée par l’écriture : les revues des années 1950 sont ainsi peuplées de ces déclarations d’amour, de ces portraits d’actrices, de ces dictionnaires fétichistes, de ces collections érotomanes de corps féminins82.
Pour de nombreux hommes, la femme incarne ainsi le cinéma et est de ce fait souvent célébrée. Toutefois, l’élan et l’ardeur de Nina Companeez peuvent étonner dans la mesure où elle commence par saluer le travail des actrices françaises pour finalement voler au secours de leurs partenaires masculins.
A première vue, la Nouvelle Vague ne semble donc pas avoir suscité de vocation auprès de la gent féminine, si ce n’est celle de soutenir les comédiens français détrônés par les nouvelles héroïnes, muses des cinéastes, puisque comme nous l’avons vu la présence de femmes derrière les caméras est illusoire. Elles sont effectivement très peu nombreuses et de fait moins souvent récompensées ou exposées dans les journaux que leurs homologues masculins.
Finalement, on le remarque assez facilement, un seul nom apparaît de manière régulière et constante dans les différentes éditions des dictionnaires du cinéma français, dans les sélections des festivals et dans les questionnaires publiés par les revues : celui d’Agnès Varda.
Lire le mémoire complet ==> (Techniciennes et professionnelles du cinéma pendant la Nouvelle Vague :
Quels statuts et quelles fonctions pour ces femmes de l’ombre ?
)

Mémoire de Master 2 recherche – Esthétique, arts et sociologie de la culture
Université Paul Verlaine de Metz – UFR Sciences Humaines et Arts
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75 « Sept questions aux cinéastes », Cahiers du Cinéma N°161, janvier 1965, p.14-61
76 « Cinéma français (suite) », Cahiers du Cinéma N°164, mars 1965, p.45-51
77 « Cinéma français (suite) », Cahiers du Cinéma N°164, mars 1965, p.49, 50
78 « Sept questions aux cinéastes », Cahiers du Cinéma N°161, janvier 1965, p.28, 29
79 Spécial : dix ans du cinéma français, Cinéma 64 n°88, juillet-août 1964
80 Nina Companeez, « Témoignages », Cinéma 64 n°88, juillet-août 1964, p.106.
81 Nina Companeez, op.cit., p.108.
82 Antoine de Baecque, La Cinéphilie, p.263.
 

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