Les limites de l’optimisation et de la planification fiscales

Les limites de l’optimisation et de la planification fiscales

Section 3

Les limites de l’optimisation et de la planification fiscales

Dans la recherche d’optimisation fiscale, l’entreprise fait recours au conseil d’un spécialiste en fiscalité des affaires qui est souvent son expert-comptable.

Ce dernier a donc la lourde tâche de conseiller à gérer au mieux les intérêts fiscaux de son client.

Cependant la mission s’avère parfois difficile.

En effet, il doit faire en sorte que l’habilité fiscale dont il fait preuve et les montages juridiques et fiscaux qu’il propose ne soient interprétés par l’administration fiscale comme constituant un abus de droit (Sous-section 1) ou un acte anormal de gestion (Sous-section 2).

Au delà, l’expert- comptable doit, dans les conseils et solutions qu’il propose, prendre en considérations les limites économiques (Sous-section 3) et celles relatives à la sécurité juridique de l’entreprise (Sous-section 4).

Sous-section 1

L’abus de droit

En Tunisie, la notion d’abus de droit était, avant la promulgation du code des droits et procédures fiscaux, ignorée par la règlementation fiscale.

En effet, le législateur ne prévoyait pas des textes juridiques régissant clairement l’abus de droit.

La réglementation fiscale ne comportait que certaines dispositions sanctionnant certains cas particuliers de fraudes utilisant des montages juridiques simples67.

La notion d’abus de droit a été introduite en droit fiscal tunisien par la promulgation du code des droits et procédures fiscales.

C’est ainsi que le ministre des finances a confirmé au cours des débats à la chambre des députés portant sur le CDPF que le délit prévu par l’alinéa premier de l’article 10168 est une transposition de ce qu’on appelle en droit comparé, délit de l’abus de droit 69.

§1. Définition

En France la théorie de l’abus de droit est définie dans l’article L64 du livre des procédures fiscales.

Selon cet article, toute opération conclue sous la forme d’un contrat ou d’un acte juridique dissimulant une réalisation ou un transfert de bénéfice ou de revenus, effectuée directement ou par personne ou société interposée, constitue un abus de droit70.

L’abus de droit consiste à combiner les clauses d’un acte ou d’une convention que l’on oppose à l’administration fiscale dans le but de dissimuler la nature et l’objectif réel de l’opération. «

L’administration fiscale va se trouver en présence de deux situations : l’une apparente et juridiquement régulière et l’autre réelle mais dissimulée »71.

67 C’est le cas de l’article 30 du code de L’IRPPIS qui assimile, sauf preuve du contraire, les sommes mises à la disposition des associés, directement ou par personne interposée, à titre d’avances, de prêts ou d’acomptes ou d’acomptes à l’exception de celles servies entre la société mère et ses filiales, à des revenus distribués.

De même l’article 29 du code des droits d’enregistrement et de timbre assimile les cessions d’actions, de parts d’intérêts dans les sociétés dont le capital n’est pas divisé en actions à des cessions des biens représentés par ses titres et il est fait application, pour la perception du droit d’enregistrement sur les dites cessions, de toutes les règles relatives à la vente de ces biens

68 L’article 101 du code des droits et procédures fiscales stipule « est punie d’un emprisonnement de seize jours à trois ans et d’une amande de 1 000 dinars à 50 000 dinars toute personne qui a : simulé des situations juridiques, produit des documents falsifiés ou dissimilé la véritable nature juridique d’un acte ou d’une convention dans le but de bénéficier d’avantages fiscaux, de la minoration de l’impôt exigible ou de sa restitution ;accompli des opérations emportant transmission de biens à autrui dans le but de ne pas acquitter les dettes fiscales ;majoré un crédit de taxe sur la valeur ajoutée ou de droit de consommation ou minorer le chiffre d’affaires dans le but de se soustraire au paiement de la dite taxe ou du dit droit ou de bénéficier de la restitution de la taxe ou du droit. La sanction s’applique dans le cas ou la minoration ou la majoration excède 30% du chiffre d’affaires ou du crédit d’impôt déclaré. »

69 Délibération de la chambre des députés, séance du 26/7/2000 JORT 2000, n°39, P 1986.

70 On peut prendre à titre d’exemple la création d’une société agricole régie par les dispositions du C.I.I. pour bénéficier d’un dégrèvement financier suite à la participation dans son capital sans pour autant procéder à l’exécution réelle du projet.

71 S. KAMMOUN « L’abus de droit en matière fiscale », Mémoire pour l’obtention du diplôme d’expertise comptable, Sfax, Décembre 2006, P14.

§2. Optimisation fiscale et abus de droit

La théorie d’abus de droit n’a pas pour seul objectif la répression des contribuables frauduleux, mais elle permet aussi, de préciser les limites de l’optimisation fiscale et de la liberté du choix de la solution la moins imposée.

L’abus de droit se distingue de l’optimisation fiscale par l’existence d’un montage juridique correct mais dans le seul but d’éluder l’impôt.

En effet, il suffit que le contribuable apporte la justification économique de la construction juridique qu’il a implantée, pour que l’abus de droit ne soit pas établi.

Dans ce sens, V. BESANCON72 affirme que , « si l’administration ne prouve ni le caractère fictif de l’opération, ni le caractère exclusif des motivations fiscales, le montage ne pourra être sanctionné par la procédure de l’abus de droit, même s’il permet une évasion fiscale ».

Sous-section 2

La théorie de l’acte anormal de gestion

L’acte anormal de gestion est une construction de la jurisprudence française qui a été adoptée par la doctrine administrative et par la jurisprudence Tunisienne.

§1. Définition

Selon C. COLETTE73, l’acte anormal de gestion74 est un acte contraire aux intérêts de l’entreprise et qui ne comporte aucune contrepartie ou une contrepartie insuffisante pour elle. Cet acte n’est pas opposable à l’administration fiscale pour la liquidation de l’impôt75.

Selon R. YAICH76, « l’acte anormal de gestion est celui qui met une dépense77 ou une perte à la charge de l’entreprise ou qui prive cette dernière d’une recette78 sans que cela ne soit justifié par les intérêts de l’exploitation ».

72 V. BESANCON « Optimisation fiscale et abus de droit : l’exemple des entreprises dans la jurisprudence depuis 1994 », op.cit, P16.

73 C. COLETTE, Gestion fiscale des entreprises, Editions ELLIPSE, 1998, P 26.

74 Selon C. COLETTE, « l’acte anormal de gestion ne se confond pas avec un acte illicite. L’appréciation se fait sur le plan économique et non plus juridique puisque un acte peut revêtir une apparence juridique, irréprochable (dépense justifiée matériellement) et se trouver qualifié d’anormal en raison de son montant (rémunération excessives de dirigeants) ou de son utilité (cadeaux excédentaires)», Ibid, P26.

75 En vertu du principe de la non immixtion dans la gestion, l’administration fiscale n’a pas le droit de s’immiscer dans la gestion de l’entreprise qui relève de la seule responsabilité des dirigeants, elle n’a pas le droit de critiquer une gestion qu’elle considère trop prudente ou trop aventurée ou mauvaise (exemple : recours à un crédit bancaire alors que les fonds propres sont suffisants).

Cependant, l’administration fiscale n’autorise, pour la détermination du résultat fiscal, que la déduction des charges nécessaires à l’exploitation. Les charges supportées par l’entreprise à l’encontre de son intérêt et la renonciation non motivée à un profit sont des actes non opposables à l’administration fiscale. En effet, il s’agit d’actes anormaux de gestion.

76 R. YAICH, Théorie et principes fiscaux, op.cit, P 136.

§2. Le caractère subjectif de la notion de l’acte anormal de gestion

Le caractère subjectif79 de la notion de l’acte anormal de gestion est du à plusieurs raisons :

* D’une part, cette notion souffre de certaine ambiguïté. En effet, ni la réglementation fiscales en vigueur, ni la doctrine administrative ne définissent d’une manière claire la notion d’acte anormal de gestion.

* D’autre part, la qualification d’un acte comme étant « un acte anormal de gestion » est laissée à la simple initiative de l’agent de l’administration fiscale chargé de la vérification dans le cadre du pouvoir de contrôle de l’administration.

Ce dernier se base pour la réintégration des charges jugées anormales, sur les dispositions de l’article 12 du code de l’IRPP et de l’impôt sur les sociétés et plus précisément sur la notion de « lien avec l’exploitation » qu’il évoque.

Cette notion assez vague permet au vérificateur de réintégrer certaines charges qu’il juge anormales ou exagérées tels que les frais de voyages d’affaires, etc.

La seule sécurité du contribuable à ce niveau consiste dans la mise des actes soulevés par le vérificateur à la souveraine appréciation du juge fiscal.

L’acte anormal de gestion diffère de l’abus de droit. En effet, le premier est toujours non compatible avec l’intérêt de la société alors que l’acte d’abus de droit peut être conclu dans le but de faire bénéficier l’entreprise d’une solution plus favorable pour elle.

Sous-section 3

Les limites économiques et les limites relatives à la sécurité juridique

La recherche de l’optimisation et de la planification fiscales doit obligatoirement passer par une étude préalable des limites économiques de la nouvelle stratégie de minimisation fiscale proposée d’une part (§1), et des limites relatives à l’insécurité juridique d’autre part (§2).

§1. Les limites économiques

La décision du dirigeant de l’entreprise visant à minimiser la charge fiscale ne doit pas se baser uniquement sur l’étude de l’aspect fiscal et occulter les autres dimensions tels que le coût de transaction induit par la recherche de l’optimisation fiscale, le coût d’apprentissage, l’effet sur la situation financière globale de l’entreprise.

En effet, une stratégie de minimisation fiscale peut se révéler globalement sous optimale et non efficiente80.

77 L’octroi de rémunération excessive à l’un des associés directement ou par personne interposée constitue à ce titre un parfait exemple d’illustration.

78 L’exemple de l’abandon de créances au profit d’un client ou d’une filiale, l’octroi de crédit aux associés sans intérêts ou à un taux inférieur à 8% est édifiant à ce titre.

79 L’analyse des réponses au questionnaire fait ressortir que la majorité des répondants voient que le degré de subjectivité est très élevé.

80 On peut citer à titre d’exemple :

ƒ L’utilisation du crédit bail pour l’acquisition d’une voiture de tourisme dont la puissance fiscale n’excède pas 9 chevaux réduit la charge fiscale mais il rend le coût du crédit assez cher surtout que la TVA sur les redevances de leasing n’est pas déductible ;

ƒ Le recours aux fonds propres pour acquérir un matériel et bénéficier du dégrèvement physique sans étude préalable de la situation financière peut mettre en péril la vie de la société.

§2. Les limites relatives à l’insécurité juridique

Selon F. DOUET81 « la sécurité juridique consiste à garantir aux contribuables le montant des impositions mises à leurs charges de telle manière que chacun d’entre eux puisse prévoir et compter sur ce résultat ».

Il s’agit donc de garantir au contribuable une certaine protection juridique lui permettant d’être à l’abri des sanctions pécuniaires et pénales établies d’une façon arbitraire et qui rendent impossible toute prévision.

Ainsi, la démarche d’optimisation fiscale doit prendre en considération le contexte juridique de l’entreprise.

Les changements assez fréquents des lois fiscales et de la doctrine administrative et l’effet rétroactif des lois de finances donnent l’impression que les entreprises tunisiennes exercent dans un climat caractérisé par une certaine insécurité juridique82.

Selon R. YAICH83, « une bonne optimisation fiscale ne saurait se faire sans une bonne mise en perspective. Ainsi la recherche du maximum d’économie d’impôt dans un cadre légal ne peut voiler la nécessité d’anticiper, autant que faire se peut, les éventuelles situations pénalisantes subséquentes ».

81 F. DOUET, cité par M. DHUIB, in «La sécurité juridique du contribuable dans le droit fiscal tunisien », Mémoire de fin d’étude, Ecole supérieure de commerce de Sfax, P 5, www.memoireonline.com, visité en Janvier 2007.

82 L’exemple de l’hébergement et de la restauration des étudiants constitue à ce titre un parfait exemple d’illustration. En effet, parmi les avantages accordés aux investisseurs dans ce secteur, les textes fiscaux prévoient l’octroi d’une prime d’investissement qui peut atteindre 25% du coût du projet. Cette prime ne peut être réclamée qu’après l’achèvement des travaux qui peuvent s’étaler sur une période de 3 ans. Dans la période séparant la date de commencement et la date d’achèvement du projet, la zone dans laquelle le foyer est construit peut perdre son droit à la subvention parce que selon les organismes compétents, « la valeur maximale des subventions consacrée à cette zone est déjà atteinte et il y a d’autres zones qui sont prioritaires ».

83 R. YAICH, Théorie et principes fiscaux, op.cit, P 111.

A cet effet, l’entreprise qui recourt à l’expert-comptable dans le cadre du consulting fiscal s’attend à ce qu’il l’assiste à gérer au mieux sa situation fiscale et assurer une bonne veille fiscale.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Optimisation fiscale en matière d’IS (impôt sur les sociétés), rôle de l’expert-comptable
Université 🏫: Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de Sfax
Auteur·trice·s 🎓:
Hentati Adlène

Hentati Adlène
Année de soutenance 📅: 2008-2009
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