La période restrictive de la publicité professionnelle

2.3 Historique de la période restrictive
2.3.1 Préjugés et traditions
Jusqu’à tout récemment les professions libérales ont bénéficié de dérogations par rapport aux règles normales de la concurrence et au regard des législations sur les pratiques commerciales restrictives.
On concevait mal que la concurrence puisse servir l’intérêt général et estimait que les professionnels étaient les plus habilités à élaborer leur propre réglementation et à structurer leur propre marché.
Les professions jouissaient donc d’une grande liberté pour contrôler l’accès à la profession, fixer les tarifs et, en ce qui nous concerne plus spécifiquement, pour limiter ou interdire la publicité faite par les membres.
Les principaux arguments qui étaient apportés pour justifier cette restriction sur la publicité prônaient la nécessité de garantir la compétence personnelle et de préserver la dignité de la profession.
En supprimant l’interdiction de faire de la publicité on accroissait la concurrence, et par le biais de la concurrence on concluait que la qualité s’en ressentirait.
Il fallait aussi éviter que ces prestations soient rendues dans un esprit mercantile.
En effet, de fortes restrictions sur la publicité étaient imposées. Cette philosophie traditionnelle, qui prônait une nette distinction sous le rapport de la concurrence entre les activités professionnelles et commerciales, en arrivait à la conclusion que la concurrence irait à l’encontre de l’intérêt public puisqu’elle serait objet de dégradation de la qualité des services.
Cette politique s’appuyait d’ailleurs spécifiquement en médecine dentaire sur un passée encore mémorable qui avait fait preuve d’un véritable fléau quant à une publicité éhontée telle que soulignée précédemment.83
Dans un tel contexte il ne faut pas se surprendre que les règles déontologiques établissaient clairement que toute publicité était prohibée, sauf celle permise et bien identifiée.
C’est ainsi que l’article 92 du Code des professions, lequel n’a été abrogé qu’en 1990, énonçait :
« […] toute publicité est interdite, sauf celle qui est permise spécifiquement par un règlement adopté par l’Ordre »
Déjà en 1985 un groupe de travail de l’OCDE84 examinait le statut des professions libérales dans l’économie moderne en relation avec la politique de la concurrence.
Dans une étude réalisée au Canada85 en rapport avec les tarifs d’honoraires et l’interdiction de faire de la publicité chez certaines professions en comparaison avec des professions non assujetties à ces restrictions on constatait des revenus professionnels moyens supérieurs de 17% chez les premiers.
Les restrictions sur la publicité étaient en cause dans une forte proportion.
Ces restrictions qui dans bien des cas étaient plutôt des interdictions, touchant la publicité et l’information au public ont été longtemps le propre des professions libérales.
Enfin les professionnels soulevaient que les prestations qu’ils offrent ne sont pas comparables et de ce fait la publicité serait susceptible d’être trompeuse.
Ces points de vue traditionnels sont de plus en plus contestés et ont conduit à l’assouplissement des interdictions sur la publicité professionnelle.
2.3.2 BATES SONNE LE GLAS DE LA RESTRICTION
Les études en cours et l’arrêt retentissant du juge Blackmun86 aux États-Unis en 1976 dans l’affaire Bates ont eu des répercussions mondiales.
L’ampleur de ce jugement a été un véritable électrochoc dans tous les états de droit d’influence anglo-saxonne, dont le Canada et le Québec comme nous le verrons plus tard. Plusieurs professionnels avançaient l’argument strictement philosophique reflétant cette mentalité de la division de la société en classe sociale.
Brièvement le juge Blackmun s’attaquait à la classe professionnelle résistante et n’hésitait pas à promouvoir l’aspect professionnel de la publicité dans l’intérêt public.
« […] habit and tradition are not in themselves an adequate answer to a constitutional challenge. In this day, we do not belittle the person who earns his living by the strength of his arm or force of his mind. Since the belief that lawyer are somehow “above” trade has become an anachronism, the historical foundation for the advertising restraint has crumbled»87
Comme le disait Hunter dans son exposé devant l’Office des professions en 1982, ce jugement est très clair. Il touche l’aspect professionnalisme de la publicité et, dénigre le dol inné de la publicité en regard de l’intérêt public et de la disponibilité des services légaux.
Poursuivant toujours ces commentaires sur le jugement du juge Blackmun, Hunter souligne que cette conception de supériorité des professionnels ne devrait plus exister.
Cette mentalité issue de la division de la société en classes sociales semble avoir été présente dans la majorité des pays dotés d’une économie de marché. Cette aura entourant le professionnel, issue de la mentalité archaïque provient du fait qu’il fut une période où l’accès à l’éducation était limité à la classe sociale dominante. Ses vestiges subsistent aujourd’hui grâce au niveau de scolarité nécessaire et aux qualités intellectuelles requise s pour pratiquer certaines professions. On semble oublier qu’une partie importante des coûts de cette éducation est défrayée par le biais d’impôts et de taxes spécifiques. Ceux qui les payent sont également les requérants potentiels de ces services professionnels.88
2.3.3 ÉTAT MONOPOLISTIQUE DE LA PROFESSION LIBÉRALE
Les constatations de l’OCDE89 sont assez évidentes d’une situation qui perdurait :
« Il est bien reconnu que les professions libérales jouissaient d’un traitement différent de celui qui prévalait dans les autres secteurs du marché du travail.
Depuis qu’elles existent, les professions libérales ont été libres de réglementer les moyens par lesquels leurs membres se concurrencent; elles ont ainsi bénéficié de dérogation par rapport aux règles normales de la concurrence et à la législation sur les pratiques commerciales restrictives»
Il est remarquable de noter que dans les pays régis par des lois sur la libre concurrence les professions libérales en étaient exemptées.
On plaidait l’évidence que la concurrence à l’intérieur de la profession ne servait pas l’intérêt général. On avançait la préférence à l’autoréglementation leur laissant plein pouvoir sur la déontologie, ce qui leur conférait l’autorité de structurer leur propre marché faisant fi en quelque sorte des règles reconnues de l’économie de marché
Ces professions, qui se concentrent pour la plupart dans le domaine de la santé, de la sécurité et du bien-être, jouissaient de limitations à la concurrence dans le but présumé de maintenir la qualité des services.
Il faut visualiser un aspect important qui prend naissance dès l’origine de ces professions.
La plupart faisaient appel à beaucoup de bénévolat, de don de soi-même et d’héroïsme.
Comment dans une telle situation imaginer la concurrence puisqu’elle était somme toute inexistante dans les quelques professions reconnues de la santé.
Le problème s’est surtout manifesté avec la venue des nouvelles professions, le chevauchement inter professionnel, la surpopulation des professionnels et la demande accrue de la part du public, ce qui est un phénomène plus récent.
Ces professions, au Québec, sont régies par le Code des professions.
Il devenait inévitable que l’état monopolistique des professions libérales posait problème vis à vis l’économie de marché.
Dans le courant des réformes provenant des pays anglo-saxons, Royaume-Uni, Australie, les États-Unis et le Canada il fallait prévoir que le Québec enclencherait lui aussi ces mêmes réformes.
C’est ce que nous verrons plus en détails dans le texte qui suit.
Lire le mémoire complet ==> (La publicité professionnelle
Problématique soulevée dans le cadre de la déontologie du médecin-dentiste
)

Essai en vue de l’obtention du grade de « Maître en droit»
Faculté de droit – Université de Sherbrooke
____________________________
86 Arrêt Bates, Supreme Court of the United States, 433 U.S. 350 [1977] J. R. Bates v State Bar of Arizona [1976] Argued January 18th 1977, decided June 27th 1977 ( No 76-316) Bates v State Bar of Arizona [1976], source WestLaw
87 Ibid, page 12, (WestLaw)
88 Précité, note 28
89 Précité, note 84, page 7
83 Précité, note 19, page 120
84 OCDE «Politique de la concurrence et professions libérales», 1985, page 6
85 T. R Muzondo et B. Pazderka, «Réglementation professionnelle et politique de concurrence : effets de la réglementation sur les disparités de revenue et de rendement » 1979, Ministère de la consommation et des corporations- Canada
 

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