Communication ethnique qui gagne tous les secteurs en France

Communication ethnique qui gagne tous les secteurs en France

B- Une communication ethnique qui gagne tous les secteurs

Les fabricants de produits Halal ne sont pas les seuls à cibler les ethnies en France. Dans les secteurs de l’agroalimentaire, on trouve par exemple la boisson Mecca Cola, créée en 2002 par Taoufik Mathlouthi, le directeur de Radio méditerranée.

La boisson, qui a pour slogan « Ne buvez plus idiot, buvez engagé ! », cible en priorité les minorités maghrébines en France. 10% des ventes de Mecca Cola sont redistribuées pour les enfants palestiniens et 10% aux oeuvres humanitaires.

En 2003, 20 millions de litres de Mecca Cola ont été vendus en France pour un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros. 5

Dans la même lignée, la marque de boissons “Arab Cola”, créée également en 2002 pour les musulmans de France et d’Europe, résulte selon ses fondateurs de “la motivation d’une communauté qui a envie de se différencier par sa consommation d’un produit de qualité et identitaire ”.

Pub pour Mecca Cola

Pub pour Mecca Cola

Les enseignes de la grande distribution se mettent aussi peu à peu à créer des rayons « ethniques », dédiés aux produits asiatiques ou aux produits orientaux et halal.

Monoprix, Carrefour, Leclerc, Auchan… tous offrent désormais des produits alimentaires ciblant les minorités ethniques. Le marché des produits alimentaires ethniques est en effet en pleine croissance en France et progresse de près de

20% par an. En 2002, 20% des français avaient consommé au moins une fois un produit alimentaire ethnique.1 L’offre alimentaire se diversifie et les plats ethniques sont destinés aussi bien à des groupes directement ciblés qu’à l’ensemble des consommateurs français.

En 2002, pour la première fois, un gros annonceur de l’alimentaire, le leader du camembert Coeur de Lion, réalisait une campagne publicitaires avec des minorités ethniques et sexuelles.

Certaines marques de l’industrie alimentaire font du marketing ethnique depuis longtemps, sans pour autant le crier sur tous les toits. C’est le cas par exemple des laiteries Bridel qui vendent depuis 1998 leur lait Laban (qui signifie « lait » en arabe), un lait fermenté qui se boit en accompagnement de couscous ou de tajines, afin de répondre aux besoins des populations maghrébines de France.

Sans aucune campagne publicitaire, le lait Laban, disponible dans la plupart des supermarchés de France, se vend à plus de deux millions de litres par an, contre 1,5 millions pour le lait demi-écrémé grand public.5

Il en va de même pour Yoplait qui vend son lait fermenté Yorik en offrant cette année à ses clients musulmans un calendrier des horaires du Ramadan.

L’entreprise Yoplait avait préalablement fait appel aux services de l’agence ethnique Sopi.

Dans le secteur de la grande consommation, la marque de lessives Skip réalisait en 2000, pour la première fois en France, une campagne dans laquelle des Noirs étaient prescripteurs et consommateurs du produit « et non pas des stars (Ray Charles pour Peugeot, Marie-Jo Perec pour Reebook ou Yannick Noah pour M&M’s) ou de vulgaires instruments du produit comme les Blacks qui secouent le shaker pour Nescafé. »

Le secteur de l’habillement comporte aussi ses marques ethniques, car il ne faut pas oublier que les minorités sont, en France comme aux Etats-Unis, des prescripteurs de tendances.

Les français, deuxièmes consommateurs de rap au monde, se sont ainsi lancés dans le marketing « urbain » (street marketing) et le marketing tribal, où la tribu est définie comme un groupe partageant des liens identitaires.

C’est le cas de Mohamed Dia qui, s’inspirant de la communauté afro-américaine qui développait ses propres marques, créait la ligne de streetwear M. Dia, « une marque créée par un Noir mais qui s’adresse à tout le monde » selon son fondateur, contrairement à la marque FUBU, For Us by Us, créée par des Noirs pour des Noirs.5

Dans la même lignée, Malamine Koné, d’origine malienne, crée la marque Airness en 1999 et la popularise de manière très rapide en distribuant ses vêtements à ses amis footballeurs.

La marque devient peu à peu le sponsor officiel de plusieurs équipes sportives et connaît un véritable succès. Quant au rappeur Joey Starr, il lança aussi sa propre marque, Com 8, « créée par la rue pour la rue ».

Ces marques s’adressent à tous les jeunes adeptes de la culture urbaine, et pas seulement aux minorités. En effet, on ne voit pas encore émerger en France des marques “purement ethniques”, destinées uniquement aux Noirs, aux Arabes ou aux Asiatiques.

On assiste vantage à un marketing tribal en matière vestimentaire, c’est-à-dire que les marques représentent surtout une culture et des valeurs, et c’est souvent la culture urbaine qui est à l’honneur.

Certaines de ces marques sont même porteuses de revendications sociales, comme c’est le cas de Produit de Banlieue, créée par un collectif de jeunes de l’Essonne, en région parisienne. Les publicitaires commencent peu à peu à comprendre que les jeunes de banlieue sont à la fois consommateurs et prescripteurs.

Le marketing profite de l’aliénation qui se trouve au coeur des relations sociales de la société française, en vendant à la jeunesse blanche son admiration pour le style des minorités, et en vendant aux minorités ethniques leur admiration de la richesse blanche.

Mais si les américains admettent sans hésitation que le meilleur moyen de faire adopter un produit à un jeune Blanc est de le faire acheter par un Noir, les français invoquent les principes républicains lorsqu’il s’agit de convertir les minorités à la culture dominante.

Par ailleurs, beaucoup de marques destinées au grand public s’imprègnent de plus en plus d’influences ethniques. On assiste ainsi à une tendance vestimentaire moins ciblée et davantage multiculturelle.

En effet, de plus en plus de jeunes, toutes origines ethniques confondues, se reconnaissent dans la culture hip-hop urbaine et multiethnique.

Dans le secteur des cosmétiques, c’est encore L’Oréal qui est le précurseur. En 2001, l’entreprise a installé une division européenne de Softsheen-Carson basée à Paris afin de conquérir les marchés ethniques.

La marque offre ainsi des nuances de maquillage qui conviennent aux tons de peau plus foncés et des produits capillaires qui adaptés aux femmes noires. L’Oréal vend depuis plusieurs années des produits adaptés aux noires aux Etats-Unis et en Afrique.

Mais l’exercice s’est révélé plus difficile en France, car les distributeurs réservent encore un espace très restreint aux produits ethniques dans leurs rayons.

De plus, les grands distributeurs, adeptes de la consommation de masse, ont une organisation très centralisée permettant rarement d’intégrer un paramètre démographique spécifique (par exemple mettre davantage de produits Softsheen-Carson dans un magasin situé dans un quartier avec une forte population noire).

L’Oréal n’a pas à s’inquiéter d’être accusé de communautariste en pratiquant le marketing ethnique, puisque le secteur des cosmétiques s’y prête naturellement. Il est évident qu’une caucasienne et une africaine n’ont pas le même type de peau et de cheveux.

e plus, les femmes d’origine africaines dépenseraient en France 983 euros par an en cosmétiques, contre 255 en moyenne nationale.76 C’est dire si le marché de l’ethnocosmétique est prometteur.

Mais L’Oréal n’est pas seul à se lancer dans ce marché en France. En 1992, la franco-antillaise Sandrine Jeanne-Rose crée Kanellia, une marque de soins cosmétiques et capillaires pour les peaux noires et métissées, et les cheveux crépus ou frisés.

En 1999, un maquilleur professionnel d’origine ivoirienne lance Black Up, une ligne de maquillage conçue pour les peaux noires et métisses.

La marque française est aujourd’hui commercialisée dans de nombreux pays d’Europe, et est notamment disponible chez le géant Séphora.

Les grandes enseignes de cosmétiques s’intéressent en effet progressivement aux marchés ethniques. En janvier 2004, l’enseigne de produits de parfumerie et de cosmétique Marrionnaud a par exemple créé un “coin ethnique” dans deux de ses points de vente à Paris.

En 2007, la marque Colorii est lancée par deux jeunes femmes trentenaires, Cécile Abric et Dieynaba Bakiri, dans le but de créer une marque et des espaces beauté élégants pour les femmes françaises de couleur.

Avec pour slogan “Bien dans ma peau”, Be Colored propose aussi toute une gamme de cosmétiques destinée aux “peaux noires et métissées”.

La marque Free Nation of Beauty s’inscrit également dans l’ethnomarketing en proposant des produits adaptés aux “peaux noires, mâtes et brunes”.

La marque française d'ethnocosmétique Colorii

Les marques françaises d'ethnocosmétique Be Colored

Les marques françaises d’ethnocosmétique Colorii et Be Colored

En outre, de plus en plus de marques de cosmétiques destinées au grand public créent des produits “ethniques”, et pas seulement le géant L’Oréal.

Ainsi, Mixa a créé un lait hydratant spécifique pour les peaux noires, engageant le mannequin et ex-miss France Sonia Rolland pour en faire sa promotion.

Publicité Mixa

Publicité Mixa

Les institutions financières sont les premières à avoir ciblé les minorités ethniques installées en France.

Depuis plusieurs années, la firme américaine Western Union fait ainsi du marketing ethnique auprès de la population française, que ce soit par le biais de campagnes d’affichage dans le métro ou bien de campagnes dans la presse panafricaine ou ethnique.

Campagne de pub Western Union

Campagne de pub Western Union

Le secteur de la téléphonie se met aussi à séduire les minorités, comme c’est le cas de Mobisud, filiale de Maroc Télécom (elle-même filiale à 51% de Vivendi).

En pratiquant des tarifs 30% à 50% moins chers que les autres opérateurs, la société cible les “ 4 à 6 millions de personnes vivant en France qui ont un lien affectif, familial, économique ou culturel avec le Maroc, l’Algérie et la Tunisie”, selon Cyrille Ferrachat, directeur général de Mobisud.77

Mobisud, l'opérateur qui relie la France et le Maghreb

Mobisud, l’opérateur qui relie la France et le Maghreb

Mais en France, certaines marques sont encore effrayées par l’ethnomarketing et se tournent davantage vers un marketing multiculturel.

En effet, si 60% des personnes intérrogées trouvent légitime qu’une campagne publicitaire s’adresse ouvertement à une minorité ethnique, 35% considèrent que ce type de communication doit se limiter à certains produits, comme l’alimentaire ou les cosmétiques. 64

Les parfumeries Marionnaud avaient par exemple choisi pour leur campagne de communication de Noël le mannequin d’origine indienne Satya Oblet.

Le but n’était pas de viser une ethnie en particulier, mais plutôt de conférer à la marque une image ouverte et citoyenne. Même stratégie pour Lancôme, qui en 2002 choisissait un mannequin noir pour représenter sa collection de maquillage Purple Rain.

La même année, Tati lançait une campagne affichant les couleurs « black blanc beur » de la France sur le thème « Tati est à nous », et Virgin Megastore avait pour slogan pour son nouveau site du boulevard Barbès à Paris « le magasin de toutes les cultures ».

Dans le même style, Orange, dans une de ses campagnes publicitaires, avait mis en scène deux personnes d’ethnies différentes qui se livraient à un jeu de rue.

En faisant de la rue un terrain de rencontre, la marque voulait mettre en avant la connexion entre toutes les générations et toutes les ethnies.1

L’Oréal a également choisi des ambassadrices de toutes les ethnies pour ses produits destinés au grand public. L’approche multiculturelle permet donc aux marques de cibler le plus grand nombre à moindre risque, dans un pays qui veut du multiculturalisme mais reste politiquement correct.

La marque Benetton est un exemple significatif de cette tendance multiculturelle.

Publicité Benetton

Publicité Benetton

Beaucoup de grandes marques jouent aussi la carte de la prudence en recrutant des minorités certes, mais des stars qui font l’unanimité auprès du grand public français.

Selon le magazine Stratégies, les annonceurs doivent aujourd’hui débourser plus d’un million d’euros pour s’offrir les services de Zinédine Zidane, un des héros de la publicité française que les marques s’arrachent dans l’espoir de doper leurs ventes.

Les grandes marques comme Volvic, Ford ou Orange savent que via Zidane, ou d’autres sportifs célèbres issus des minorités, elles ciblent la France entière.

On peut ainsi parler d’un « effet coupe du monde », car cet évènement sportif a changé les moeurs en 1998 en France, où on célébrait la victoire de l’équipe la plus « ethnique » de toute l’histoire de la Coupe du monde.

L’effet psychologique sur la société française fut impressionnant, et l’on était désormais fiers de cette France multiethnique.

Désormais, la France multiculturelle fait vendre. Et d’un point de vue purement mercantile, il est bien plus intéressant d’associer les minorités dans un discours publicitaire que de les exclure.

On préfère donc une pub métissée plutôt que ciblée sur un groupe ethnique en particulier.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le marketing ethnique made in USA est-il transposable au modèle républicain français ?
Université 🏫: Institut d’études politiques IEP de Toulouse
Auteur·trice·s 🎓:
Mlle Soraya Thonier

Mlle Soraya Thonier
Année de soutenance 📅: Mémoire de recherche - 2027
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