Le syndicalisme et la mutualité, mouvements sociaux français

Le syndicalisme et la mutualité, mouvements sociaux français

Université Lille 2-Droit et santé
Ecole doctorale n° 74

Faculté des sciences juridiques,
politiques et sociales

Mémoire de DEA de Droit Social

Syndicalisme  et Mutualité

Présenté et soutenu par
Alexia DELVIENNE

Directeur de mémoire :
Monsieur le Professeur VERKINDT

Année universitaire
2001/2002

Remerciements :
Je tenais à remercier toutes les personnes qui m’ont apporté leur aide et leur soutien tant au cours de la préparation de ce mémoire que pendant sa rédaction, et plus particulièrement Monsieur Marc DROLEZ, Directeur des URSSAF de l’Aisne, Monsieur Yves VATIN,
Secrétaire du Syndicat national Force ouvrière des cadres des organismes sociaux, et Monsieur Joël PAYEN, de la Confédération Force ouvrière Paris, pour l’aide précieuse qu’ils m’ont apportée au cours de mes recherches documentaires.
Introduction :
Depuis maintenant quelques années, le recul des acquis sociaux, le développement de la pauvreté et l’exclusion semblent être le quotidien de notre pays. Parallèlement, les lois du marché tendent à s’imposer dans les domaines les plus divers et notamment ceux touchant à la vie sociale. En cela, des similitudes apparaissent entre les conditions actuelles et celles contemporaines de la Révolution industrielle. C’est en effet à cette époque que l’on associe traditionnellement l’essor du social. Au centre de cette histoire sociale qui se précipite, la volonté de protéger et de préserver l’Homme a donné naissance à deux acteurs fondamentaux aux relations tumultueuses : le syndicalisme, association professionnelle regroupant des personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes et ayant pour objet « l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux tant collectifs qu’individuels, des personnes visées par leur statut1 », et la mutualité, « mouvement de solidarité et de prévoyance libre, responsable et démocratique2 ».
Mutualisme et syndicalisme présentent des racines communes dans la poursuite puis dans la transformation des associations philanthropiques et professionnelles du Moyen Age.
Dès l’Antiquité, de nombreuses associations ont des bases professionnelles et/ou religieuses. Dans la lignée de ces associations de l’Antiquité, se développent au Moyen Age les guildes, confréries, corporations et compagnonnages. Le XIIIe siècle marque le début d’un épanouissement des structures corporatives. C’est de ces associations à vocation professionnelle qu’émerge le compagnonnage comme institution ouvrière. On retrouve également dans ces associations une volonté de protection sociale qui se manifeste dans la prise en compte du corps humain, des incapacités de travail ou encore du décès puisque, dans cette hypothèse, les funérailles du compagnon sont assurées gratuitement ainsi qu’une assistance post mortem des siens3. Apparaît ici en germe une dualité de la solidarité ouvrière : défense des intérêts professionnels et formes simplifiées de protection sociale4. Ce sont les prémices du syndicalisme et du mutualisme5.
Le Décret D’Allarde6 et la Loi Le Chapelier7, interdisant respectivement les corporations et les coalitions permanentes ou temporaires, condamnent par là même les associations ouvrières. S’ouvre alors un contexte de législations répressives. Dans ce cadre, les associations ouvrières naissant à partir de la Monarchie de Juillet veulent à la fois être secourables et défendre les intérêts professionnels8. Il s’agit des sociétés de secours mutuels assurant la défense contre les risques et la défense professionnelle. Parallèlement, l’Etat encourage leur création dans un souci d’ordre et de philanthropie, pour mieux asseoir son contrôle sur le monde ouvrier. Dans un certain nombre de cas, les sociétés de secours mutuels, ne maintenant la façade mutualiste que comme prétexte, se transforment en sociétés de résistance, utilisant les fonds de prévoyance à la défense professionnelle et luttant contre la baisse des salaires et pour l’amélioration des conditions sociales des gens du métier. Le mouvement ouvrier est en gestation et la différenciation entre associations à vocation de protection sociale volontaire et associations à vocation de défense d’intérêts professionnels s’amorce9.
A la faveur des années 1830, se met en place un véritable élan associatif, élan vite rattrapé par le droit. En effet, 1848 marque un tournant. La multiplication des grèves entre février et juin 1848 et l’envergure du mouvement corporatif qui appuyait l’agitation ouvrière amènent les pouvoirs publics à surveiller les sources de contestation identifiées depuis longtemps dans les sociétés de secours mutuels. Le pouvoir prend le parti de favoriser l’essor d’une mutualité « rempart de l’ordre social10 » face aux associations professionnelles. Juin 1848 marque le triomphe d’une société individualiste et bourgeoise. Le droit du travail n’est pas inscrit dans la Constitution et lui est substitué un vague devoir d’assistance aux citoyens nécessiteux.
Le Second Empire est marqué par une réelle politique de promotion de la mutualité. Napoléon III se veut social. Il voit dans les sociétés de secours mutuels le salut de la classe ouvrière eu égard à leur fonction d’apaisement social et aux multiples avantages qu’elles offrent. Débute alors une période de véritable éclosion de sociétés de secours mutuels. La signature par l’Empereur d’un traité de libre échange avec l’Angleterre va modifier la donne. Les sociétés de secours mutuels envoient des délégués Outre-manche. Ceux-ci reviennent marqués par l’organisation du mouvement ouvrier anglais. Les « Trade unions » assument fonctions syndicales et fonctions de secours mutuels. A partir de ce moment les ouvriers français prennent leur distance avec la Mutualité impériale et se tournent vers les chambres syndicales. La canalisation du mouvement syndical s’impose une fois de plus au gouvernement. La loi du 25 mai 1864 autorise le droit de grève. Le droit d’association syndicale reste quant à lui illicite.
La chute de l’Empire, les politiques de la Commune et de la République vont amener divers bouleversements dans les relations entre le syndicalisme et la mutualité. Un fossé se creuse, le syndicalisme s’orientant dans une perspective révolutionnaire tandis que le mutualisme s’écarte des luttes sociales.
Le droit syndical est reconnu pour la première fois en France par la loi du 21 mars 188411 dite loi Waldeck-Rousseau. Si le droit syndical est admis, la loi oblige tout groupement privé à déposer ses statuts et les noms de ses administrateurs auprès des pouvoirs publics. Par cet aspect, le texte éveille la méfiance des militants ouvriers qui y voient une loi policière et répressive. La solidarité ouvrière apparue à la faveur de la Révolution industrielle s’accroît par la création de deux organisations syndicales : les syndicats et les bourses du travail. Ces dernières sont nées d’un besoin de solidarité locale. Une grande partie de leur activité relève de la mutualité. Elles se présentent comme une sorte d’office de placement local et national visant à soutenir les travailleurs dans la recherche d’un emploi ou dans leurs déplacements en quête d’emploi. Le syndicalisme apparaît donc comme partagé entre une tendance révolutionnaire incluant l’idée mutualiste et prônant une dominante politique et une tendance défendant l’indépendance vis à vis d’un quelconque parti.
L’unification du syndicalisme français se réalise lors du congrès qui se tient à Limoges au cours du mois de septembre 1895 et portant la création de la Confédération Générale du Travail regroupant sans distinction bourses du travail, fédérations et chambres syndicales. Le syndicalisme montre son autonomie par rapport aux autres tendances de l’action ouvrière et joue le rôle d’un levier de commande dans les luttes sociales apparaissant sous le gouvernement radical12.
Les syndicats se séparent formellement de la mutualité du fait même de leur consécration légale. A de rares exceptions près, les syndicats condamnent la mutualité. En effet, pour bon nombre de militants ouvriers, l’engagement révolutionnaire découlant de l’action syndicale est incompatible avec l’idée mutualiste.
Lorsque la République triomphe, un courant solidariste soutient la mise en place d’un système de lutte contre la misère afin de contrecarrer l’individualisme libéral. La mutualité procède partiellement à cette démarche. Débute une « ère de républicanisation de la mutualité13 ». Celle-ci est ainsi dotée, via la loi du 1e avril 189814, d’une véritable charte qui élargit son champ d’action à tous les domaines de la protection sociale. Apparaît parallèlement la volonté de rassembler la constellation mutualiste : le 28 septembre 1902, la Fédération Nationale de la Mutualité Française est créée sous l’impulsion d’une union de province. Cette toute nouvelle fédération représente la mutualité à l’échelon national et entretient des relations tant avec les pouvoirs publics qu’avec les groupements professionnels. Les lois de 1884 et 1898 marquent la dissociation du syndicalisme et du mutualisme.
Un climat de méfiance s’installe entre le syndicalisme et la mutualité. En effet, celle-ci s’est de plus en plus coupée du monde ouvrier. A la veille de la première guerre mondiale, la CGT se rallie à l’Union Sacrée et intègre des cadres syndicaux dans l’appareil d’Etat réalisant ainsi la préoccupation de Jean Jaurés d’intégrer les travailleurs dans la Nation.
Après la première guerre mondiale, le premier comité confédéral national de 1918 adopte un programme d’action syndicale alliant réformes économiques et objectifs d’ensemble. La CGT prend place dans la gestion de l’ensemble du pays. Parallèlement des minorités anarchistes et socialistes condamnent ce réformisme et la « collaboration de classe ». La Révolution russe de 1917 accentue les divisions, mais c’est l’année 1920 qui marque un virage dans l’histoire du syndicalisme. En effet, dans cette période de prospérité d’après- guerre, les richesses sont inégalement réparties entre les différents groupes sociaux. Les grèves se multiplient et engendrent la répression du gouvernement. Les luttes de tendance se poursuivent au sein de la CGT, en particulier au sujet de l’adhésion à la Troisième Internationale et aux conditions de Lénine impliquant la subordination des syndicats au Parti. Ces divergences de point de vue conduisent à la scission, les minoritaires s’organisant pour noyauter la CGT en multipliant les « comités syndicalistes révolutionnaires ». La division du syndicat est consommée en juin 1922 au Congrès de Saint Etienne. La majorité de Léon Jouhaux conserve l’appareil et le sigle confédéral tandis que les communistes et les anarchistes créent la Confédération Générale du Travail Unitaire. La scission syndicale de 1921 ne sera jamais surmontée malgré deux tentatives de réunification15, tentatives où la réunion des tendances est plus une coalition qu’une réelle fusion.
La Mutualité Française a, comme le syndicalisme révolutionnaire, adhéré à l’Union Sacrée. A l’épreuve du conflit mondial, la protection sociale devient essentielle. La législation de 1930 fait de la mutualité le pivot des assurances sociales. La gestion de ce système, très lourde et quasi bureaucratique, éloigne la mutualité de sa vocation première. C’est cette même bureaucratisation qui incitera les dirigeants de la Mutualité Française à adhérer à la Charte du travail élaborée par Vichy.
Dans un premier temps, le régime du Maréchal Pétain prend une série de mesures visant à supprimer le droit syndical16. Puis, la « loi sur l’organisation sociale des professions » des branches « industrielles et commerciales » dite Charte du travail paraît le 4 octobre 194117. La forme syndicale est conservée mais remodelée en « syndicat professionnel unique ». La CGT et la CFTC18 condamnent la Charte. Seule la FNMF lui réserve un accueil qui peut être qualifié de chaleureux. De 1941 à 1943, la direction de la FNMF met tout en œuvre pour contribuer à l’application de la Charte.
La phase pétainiste n’améliore pas les rapports déjà bien difficiles entre la mutualité et le syndicalisme d’inspiration révolutionnaire. La Libération, à laquelle ont contribué les syndicats, ainsi que les profonds changements qui s’amorcent dans la société française posent la question du devenir de la mutualité et de sa nécessaire collaboration avec le syndicalisme.
A la Libération, l’objectif affiché est de permettre une collaboration effective entre le syndicalisme et la mutualité. Cependant, la mutualité s’oppose vivement à la création de la Sécurité sociale, dont l’existence lui apparaît comme remettant en cause tant son existence que ses buts. L’ordonnance du 4 octobre 1945, complétée par une seconde ordonnance du 19
octobre 1945, crée les conditions du modèle français de la Sécurité sociale19. De l’expérience soviétique, c’est le principe d’une forte participation des syndicats à la gestion du système qui est retenu. Parallèlement, l’ordonnance du 19 octobre 1945 rénove le statut de la mutualité, étendant son champ d’action tout en l’évinçant du monopole de la gestion de la Sécurité sociale. En effet, dans le domaine de la maladie, la mutualité n’intervient plus que comme complément de la Sécurité sociale, tout en conservant cependant une réelle liberté d’intervention dans le champ social. De plus, le nouveau texte renoue avec le monde du travail en reprenant pied dans l’entreprise par l’intermédiaire des sociétés mutualistes d’entreprise20. Ce nouveau dispositif permet à la mutualité de sortir d’un système de recrutement fondé sur des bases exclusivement territoriales. La mutualité reste, cependant, méfiante et la question de son avenir reste posée. Il apparaît bien vite que la mutualité ne peut plus se poser que comme complément naturel de la Sécurité sociale, régime contre l’instauration duquel elle a farouchement lutté. La mutualité est dans une phase de repli sur elle-même.
La période des « Trente Glorieuses », qui s’est ouvert au lendemain de la seconde guerre mondiale, entraîna de profondes transformations des structures économiques et sociales, notamment une forte croissance du salariat. Cette évolution emportait des conséquences importantes pour la mutualité, celle-ci devant s’adapter aux diverses mutations et accentuer le recrutement professionnel sur le lieu de travail. Parallèlement, la CGT menait quant à elle, une véritable offensive dans ces mêmes entreprises, tout en s’ouvrant vers la mutualité puisque encourageant la création de sociétés mutualistes d’entreprise.
Ainsi débute une période de morcellement du mouvement mutualiste français, la CGT prenant une part importante dans la création de la Fédération Nationale des Mutuelles Ouvrières. Les premiers foyers de Mutuelles ouvrières d’origine syndicale se sont implantés avec le contexte favorable du Front populaire. Ceux-ci tirent leurs origines d’initiatives individuelles de syndicalistes, membres du Parti communiste et mal accueillis par leur organisation syndicale face à une initiative considérée par beaucoup comme réformiste21. La
CGT attendra 1960 pour proposer la création de la Fédération Nationale des Mutuelles ouvrières avec l’appui d’Henri Raynaud, secrétaire confédéral de la CGT.
Les années soixante marquent un tournant doctrinal au sein de la FNMF. La bipolarisation du mouvement mutualiste entre la FNMF et la FNMO ainsi que les mesures gouvernementales antimutualistes contribuent à la transformation de la mutualité « traditionnelle ». Le 8 novembre 1963, Pierre Granval, alors ministre du Travail, annonce son intention d’interdire aux sociétés mutualistes de faire l’avance du ticket modérateur22. Un autre texte vient entraver le fonctionnement des pharmacies mutualistes et des centres d’optique23. Un meeting de protestation est organisé, auquel participent toutes les organisations syndicales. Enfin, outre les mesures gouvernementales, une autre source d’inquiétude des mutuelles réside dans la concurrence grandissante des compagnies d’assurances.
Le tournant doctrinal de la mutualité s’affirme lors du congrès de Saint-Malo en mai 1967. Ce congrès entérine la fin de la période de repli sur soi de la Mutualité Française et marque la fin de la neutralité. En effet, le principe de l’indépendance est posé clairement. Ce début de l’indépendance va se traduire par une ouverture sur le monde syndical. Parallèlement, la mutualité cherche à se rapprocher de la Sécurité sociale, se posant comme sa « grande complémentaire indispensable24 ». Au début des années soixante-dix, la méfiance qui présidait aux relations entre syndicalisme et mutualité cède la place à une reprise du dialogue. Dans cette optique, la FNMF met en place une politique de contacts constants avec la totalité des organisations syndicales. Les raisons en sont simples : pallier le manque d’informations des organisations professionnelles quant aux structures mutualistes et déboucher sur des accords quant à la couverture des risques sociaux des salariés dans l’entreprise. La FNMF met donc en œuvre une politique de rapprochement et de consolidation des liens entre la mutualité et les organisations syndicales. Cette politique trouvera sa consécration avec les différentes déclarations communes signées entre la FNMF et les organisations syndicales25.
Ces alliances entre les deux plus importants mouvements sociaux français et concrétisant leur rapprochement, confirme la convergence d’intérêts entre la Mutualité Française et les organisations professionnelles. Cette convergence d’intérêts s’articule autour de deux axes : la question de la négociation de la prévoyance collective complémentaire et la défense de la Sécurité sociale. Les conventions collectives étant négociées paritairement entre les employeurs et les syndicats, la mutualité est de ce fait exclue de la négociation de la prévoyance collective complémentaire. La mutualité se trouve donc dans l’obligation de discuter avec les organisations professionnelles. La mobilisation contre le décret Granval en 1964 constituait la première action commune entre les organisations syndicales et la mutualité. Cette volonté d’action unitaire se confirme en 1967. Par quatre ordonnances du 21 août 1967, le gouvernement modifie substantiellement la Sécurité sociale. Parallèlement, il décide de responsabiliser davantage chacune des caisses. La gestion en est confiée à des conseils d’administration composés paritairement de représentants des organisations patronales et syndicales. La mutualité apporte son soutien à la mobilisation des organisations syndicales contre ces ordonnances. S’engage alors une véritable collaboration entre syndicalisme et mutualité. La première étape est franchie lors des journées d’études de la Mutualité dans l’entreprise en 1981 où, pour la première fois, des syndicalistes interviennent en tant que représentants de leur organisation26. A Bordeaux, en 1982, toutes les centrales syndicales sont présentes au Congrès national de la Mutualité. Enfin, en 1984 a lieu la Conférence nationale de la Mutualité en entreprise : les représentants de la CGT, de la CFTC et de la CGC y sont présents et interviennent pour souligner l’évolution vers une collaboration entre la Mutualité française et les divers partenaires sociaux. La CGT insiste sur le soutien qu’elle apporte à la FNMF.
Dans le même temps, la CGT mène une action parallèle au travers des mutuelles ouvrières, action qui va conduire à la rupture de l’unité de mouvement mutualiste français. En effet, au détour du XXXIIIe congrès de la CGT en juin 1963, la centrale enregistre la participation de la CGT dans la construction de la FNMO. Le développement de cette dernière atteste de la contribution de la mutualité ouvrière à l’expansion syndicale. Les partisans d’une seconde fédération mutualiste appellent à la constitution d’une Fédération nationale des mutuelles ouvrières : ses statuts sont officiellement enregistrés le 4 juillet 196027. La FNMO progresse face à la FNMF. En 1965, la CGT reconnaît la nouvelle fédération et insiste dans le sens d’un développement de celle-ci en tant qu’activité de la centrale syndicale. En 1969 la FNMO devient la Fédération Nationale des Mutuelles des Travailleurs et prend ses distances vis à vis de la CGT. La centrale cégétiste se déclare officiellement hostile à l’autonomie grandissante de la FNMT.
Dès le début des années soixante-dix, des négociations voient le jour entre la FNMF et la FNMT et ce, dans le but d’avancer vers une unité mutualiste tout en ménageant l’indépendance et ce qui fait l’identité de chaque groupement. La FNMT exhorte son groupement à adhérer aux unions départementales de la FNMF. Des mutuelles de travailleurs se sont insérées dans les rangs de la Mutualité Française en arguant du principe de « double appartenance ». Le 25 avril 1975, les deux fédérations publient une déclaration commune posant les bases d’un accord. Le 8 octobre 1976, la FNMF et la FNMT signent un protocole d’accord stipulant que la FNMF assume la fonction de représentation politique de l’ensemble du mouvement mutualiste. La FNMT en est dépendante tout en conservant ses statuts et ses œuvres28. Ce protocole d’accord sera ratifié par l’Assemblée générale de la FNMT et par le Conseil d’administration de la FNMF. Malgré cela la réunification du mouvement mutualiste échoue. La FNMT décide alors d’acquérir son autonomie.
En 1982, la mutualité est reconnue par les pouvoirs publics. Elle se sent enfin consacrée. Divers actes symboliques comme l’octroi d’une liberté de créer des œuvres sociales sont les témoins de cette toute nouvelle reconnaissance. De nouveaux rapports s’établissent entre la Sécurité sociale et la Mutualité Française, celle-ce disposant d’administrateurs dans les conseils d’administration des caisses primaires de Sécurité sociale. De tels rapports ne sont pas au goût de la FNMT. La réponse de la FNMF ne se fera pas attendre puisque, par un vote de son conseil d’administration en date du 23 juin 1983, est décidée la fin de la double appartenance. Les groupements se trouvant dans une telle situation sont sommés de faire un choix entre l’une ou l’autre des deux fédérations29. Cet épisode marque la division du mouvement mutualiste français et par là même sa banalisation. La responsabilité de la CGT dans cette séparation est lourde puisque, par son soutien à la FNMO puis à la FNMT, devenue en 1983 la Fédération des mutuelles de France, elle a pris position contre la FNMF.
La fin de la double appartenance marque également la fin d’une certaine confusion. Cet état de fait a été accueilli avec satisfaction tant par le mouvement mutualiste que par les organisations syndicales exception faite de la CGT. Cependant, certains militants de la centrale cégétiste ont manifesté leur attachement à la Mutualité Française et se sont révélés partisans du maintien de leurs mutuelles au sein de la FNMF. Pour ce qui est des autres organisations syndicales, celles-ci encouragent leurs militants à prendre en charge les questions liées à la mutualité. Ce soutien à la Mutualité Française et l’intérêt que lui portent les centrales syndicales attestent d’une adhésion aux concepts défendus par le mouvement mutualiste, et de la prise en compte du rôle de la mutualité pour gérer la protection sociale complémentaire30. S’ouvre alors une période marquée par un contexte économique difficile, des salaires bloqués, un chômage non jugulé. C’est également à ce moment que les pouvoirs publics décident d’intervenir dans le champ de l’organisation et de l’avenir de la protection sociale. Parallèlement, les organisations syndicales recherchent de nouvelles stratégies pour doper la syndicalisation tandis que la FNMF doit procéder aux mutations nécessaires pour s’adapter aux nouveaux besoins de l’époque.
En 1985, la Sécurité sociale fête ses quarante ans. C’est l’occasion pour la Mutualité Française de rappeler son attachement à cette institution. Les organisations syndicales y feront écho. Une collaboration entre le syndicalisme et la Mutualité voit le jour dans le domaine de la protection sociale complémentaire. Les organisations syndicales, par la voie de la négociation collective, recherchent la mise en place de régimes de prévoyance collective complémentaire31. Cet objectif a suscité une lente réflexion du coté de la Mutualité de par son attachement profond à une adhésion individuelle et volontaire. Cette collaboration qui voit le jour a permis à la Mutualité Française de se faire admettre tant comme partenaire sur le plan de la protection sociale complémentaire que comme mouvement social intervenant dans le domaine de la santé. Les rapports de la Mutualité Française avec les organisations professionnelles se sont approfondis par la création, en 1987, de la Commission « prévoyance collective complémentaire », commission a laquelle toutes les organisations syndicales ont été invitées à se joindre. Son but est simple : créer un espace permanent d’échange entre les syndicats et la FNMF. L’un des grands chantiers réalisé a été celui de la prévoyance collective.
Depuis maintenant une dizaine d’années, les relations entre syndicalisme et mutualité se sont stabilisées, allant de l’entente cordiale à un réel partenariat lorsque les circonstances l’exigent. Du point de vue de la seule mutualité, l’heure semble être à une volonté affichée d’unifier le mouvement.
Pour ce qui est des relations passées entre ces deux grands acteurs sociaux que sont le syndicalisme et la mutualité, les choses semblent être claires : si, au cours de l’histoire les relations n’ont pas toujours été faciles, l’idée d’une collaboration n’a jamais été complètement écartée. La question qui peut maintenant être formulée est celle de l’avenir. Dans une perspective future, quels sont les liens pouvant présider aux relations entre le syndicalisme et la mutualité ? Faut-il encore croire à une possible collaboration voire à une véritable fusion entre ces deux acteurs ? Déjà en 1901 lors du congrès national de la mutualité, Jean Barberet formulait une telle idée : « Je voyais déjà à ce moment lors de l’élaboration de la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats la possibilité de faire de ces deux institutions : le syndicat professionnel d’une part, la société de secours mutuels de l’autre, deux actions parallèles qui pouvaient être fusionnées32. » Ainsi ne peut-on pas envisager que la mutualité soit l’avenir d’un syndicalisme en perte de vitesse ?
Partant de cette hypothèse selon laquelle l’avenir du syndicalisme résidait dans une perspective mutualiste, on pouvait légitimement penser trouver des écrits sur l’avenir de ces deux mouvements. Or, il est vite apparu que les écrits de ce type étaient extrêmement rares. Pourquoi un tel silence sur une question aussi importante que l’avenir des deux plus importants mouvements sociaux de notre pays ? Est-ce que cela n’intéresse personne ? Est-ce que l’on n’en parle pas parce qu’il n’y a rien à en dire ou est-ce parce que l’on ne sait pas quoi en dire ?
Il convenait de faire parler ce silence, de l’expliciter. Pour cela, il fallait de la matière. Où chercher des clefs de lecture sinon dans l’histoire croisée du syndicalisme et de la mutualité mais aussi dans les écrits actuels sur chacun de ces mouvements ?
De ces lectures se dégagent un sentiment de crise et plus précisément de crise d’identité. Il apparaît, en effet que tant le syndicalisme que la mutualité souffrent de conflits de logique. Ces conflits sont décelables tant à l’intérieur de chacun des mouvements qu’entre eux.
Le premier conflit de logique est véritablement un conflit interne à chaque mouvement. En effet, si le syndicalisme et la mutualité sont avant tout deux mouvements sociaux, la tendance actuelle tend plutôt vers un règne de l’économique. Il semblerait que, dans chacun des deux mouvements nous intéressant ici, se confrontent une essence sociale et une tendance économique, bouleversant ainsi un ordre depuis longtemps établi. C’est à cette confrontation du social et de l’économique que nous nous attacherons dans un premier temps.
Dans le second temps de notre réflexion, nous nous attacherons au second conflit de logique bouleversant les relations entre le syndicalisme et la mutualité. Il apparaît, en effet, que de par leur nature et leur fonctionnement, chacun des deux mouvements s’apparente pour le syndicalisme à une tendance institutionnelle et pour la mutualité à une tendance contractuelle. Il conviendra donc de s’intéresser dans ce second temps à la confrontation de l’institutionnel et du contractuel.
Table des matières:
Introduction
Titre 1-La confrontation du social et de l’économique
Chapitre 1-L’homme au cœur du mouvement
Section 1-La protection de l’homme
§1-Une valeur fondatrice, la solidarité
§2-Une utilité sociale indiscutable
Section 2-La participation de l’homme
Chapitre 2-L’émergence de l’économique
Section 1- Les dérives économiques des mouvements sociaux
§1-Du social à l’économique
§2-Les dérives assurantielles du mutualisme
Section 2-Risques et conséquences Des dérives économiques
§1-La conciliation du social et de l’économique
§2-La place du social
Titre 2-La confrontation de l’institutionnel et du contractuel
Chapitre 1-Le caractère institutionnel du syndicalisme, source de paradoxe
Section 1-Le syndicat en tant qu’institution
§1-Le syndicat-institution
§2-Le processus d’institutionnalisation
Section 2-Le paradoxe du syndicat-institution
§1-Les atouts du syndicat-institution
§2-Les effets pervers du syndicat-institution
Chapitre 2-Le caractère hybride du mutualisme, source d’ambiguïté
Section 1-La nature hybride de la mutualité
§1-Le contrat mutualiste
§2-Les tendances institutionnelles de la mutualité
Section 2-La relation complexe du syndicalisme et de la mutualité
§1-Le choix de la gestion ou du partenariat
§2-Syndicalisme de service et mutualité
Conclusion

  1. Protection de l’homme : solidarité, mutualisme et syndicalisme
  2. L’utilité sociale indiscutable de Syndicalisme et Mutualité
  3. La démocratie dans la mutualité et les syndicats
  4. Crises de l’engagement mutualiste et de l’adhésion syndicale
  5. Syndicalisme, mutualisme et solidarité du social à l’économique
  6. Dérives assurantielles du mutualisme
  7. Secteur mutualiste : Conciliation du social et de l’économique
  8. Place du social au sein du syndicalisme et de la mutualité
  9. Syndicat-institution, organisation et constitution du syndicat
  10. Processus d’institutionnalisation du syndicat
  11. Les atouts du syndicat-institution
  12. Les effets pervers du syndicat – institution
  13. Contrat mutualiste et nature hybride de la mutualité
  14. Les tendances institutionnelles de la mutualité
  15. La relation complexe du syndicalisme et de la mutualité
  16. Syndicalisme de service et mutualité

_____________________
1 Art L 411-1 C.trav.
2 TEULADE (R.), La mutualité française, un idéal pour 25 millions d’hommes et de femmes, p.59.
3 RADELET (M.), Mutualisme et syndicalisme, Ruptures et convergences de l’Ancien Régime à nos jours, p.27.
4RADELET ( M.), op.cit., p.28.
5 Ibid.
6 Loi des 2 et 17 mars 1791.
7 Loi du 14 juin 1791.
8 HATZFELD (H.), Du paupérisme à la Sécurité Sociale, 1850-1940, p.192.
9 RADELET (M.), op.cit., p.39.
10 Id., p.61.
11 Loi du 21 mars 1884 relative à la création des syndicats professionnels, JO n°81 du 22 mars 1884, p.1577.
12 janvier1905- juillet 1909
13 REBERIOUX (M.), La République radicale 1898-1914, Paris : Seuil, 1975, 253 p., citée par RADELET (M.), op.cit., p.77.
14 Loi du 1e avril 1898 relative aux sociétés de secours mutuels, JO n°94 du 5 avril 1898, p.2089.
15 La première tentative de réunification interviendra entre 1936 et 1939, la seconde entre 1943 et 1947.
16 Loi du16 août 1940 et Décret du 9 novembre 1940 ; Décret du 9 février 1941 et Loi du 14 septembre 1941 pour la fonction publique.
17 RADELET (M.), op.cit., p.104.
18 La Confédération française des Travailleurs Chrétiens est née le 1e novembre 1919 et entend s’inspirer de la doctrine du catholicisme social définie en 1891 par le Pape Léon XIII dans l’Encyclique Rerum Novarum.
19RADELET (M.), op.cit., p.122.
20Id., p.128.
22RADELET (M.), op.cit., p.152.
23 Décret du 23 juillet 1964.
24 Id.,p.155.
25 Le 19 janvier 1971 est signée la déclaration commune FNMF-CGT ; le 7 février 1972, la déclaration commune FNMF-CGT-FO ; le 27 mars 1973, la déclaration commune FNMF-CFDT.
28RADELET (M.), op.cit., p.177.
29Id., p.183.
32 BARBERET ( J.), VIIe Congrès national de la mutualité, Limoges, 1901, p.100, cité par DREYFUS (M.), Liberté, égalité, mutualité, Mutualisme et syndicalisme 1852-1967, p.11.

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