Syndicalisme de service et mutualité

§2-Syndicalisme de service et mutualité
Le syndicalisme de service trouve son fondement dans l’hypothèse selon laquelle les adhérents potentiels ne recherchent plus dans le syndicalisme qu’une action militante. Ceux-ci adoptant un comportement de plus en plus consumériste, le syndicat doit apporter autre chose. Les adhérents se livreraient désormais à un calcul « coût/avantage » avant d’adhérer128. Historiquement, des tentatives de syndicalisme de service ont vu le jour à la fin du XIXe siècle. Toutefois ces tentatives n’ont été que parcellaires et se sont vite essoufflées. Certains auteurs parlent ici de rendez-vous manqué entre le syndicalisme et la mutualité129. Avec, l’érosion des adhésions, la question du syndicalisme de service a ressurgi, certains y voyant une solution potentielle à la désaffection syndicale. Si, historiquement, le syndicalisme de service n’a pas été couronné de succès, qu’en est-il dans le contexte actuel ? Est-ce vers le syndicalisme de service que les syndicats doivent à l’avenir s’orienter ?
A- L’échec passé du syndicalisme de service
A la fin du XIXe siècle, les syndicats ont développé toute une gamme de service au bénéfice de leurs adhérents. On peut citer, à titre d’illustration, les caisses de secours mutuels, les caisses de chômage, les bureaux de placement ou encore les bibliothèques. Les bourses du travail étaient elles aussi des prestataires de services, notamment en matière d’emploi. Toutefois, ces tentatives d’organisation d’un syndicalisme de service sont restées embryonnaires et ne se sont pas développées plus avant. Quelle explication peut être donnée à cet « échec » ?
On peut avancer, en premier lieu, une explication d’ordre idéologique. En effet, au moment où la loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1884 est adoptée, le souvenir des affrontements de juin 1848 est encore très présent dans les mémoires. Ce contexte de violence oriente le choix d’une majorité du mouvement ouvrier en construction vers le syndicalisme révolutionnaire. Le syndicalisme français n’est alors que peu intéressé par les questions de santé et par la perspective d’un syndicalisme de service. Certes, tout le syndicalisme français n’est pas révolutionnaire, les tentatives d’organisation d’un syndicalisme de service en sont les témoins. Néanmoins, c’est essentiellement dans une culture révolutionnaire et contestataire que le syndicalisme s’est forgé en France. Sans doute est-ce là une des raisons pouvant expliquer l’échec du syndicalisme de service.
Une autre raison peut être avancer pour comprendre cet échec. Il s’agit de la séparation des mouvements syndicaliste et mutualiste. Dans un premier temps, le syndicalisme s’était organisé à partir des structures mutualistes existantes, celles-ci n’étant parfois qu’un écran masquant la vraie nature du groupement. Très vite, la rupture intervient. A l’époque, le syndicalisme est considéré comme une forme d’organisation professionnelle supérieure en ce sens qu’elle a une visée universaliste130. Il est, en effet, reproché aux groupements mutualistes de ne rechercher que le bien de ses adhérents, sans s’étendre à la population tout entière. Or, là est tout le fondement du syndicalisme de service : réserver d’éventuels avantages à ses seuls adhérents. Ainsi, en 1886, c’est la séparation du syndicalisme et de la mutualité, en application de la loi du 21 mars 1884. Pour Pierre Rosanvallon, « ce rendez-vous manqué […] a pesé lourd dans l’histoire du syndicalisme français »131. Il rajoute qu’en délaissant le champ social, il a permis au patronat de s’y installé « en mettant en place ses propres institutions de prévoyance »132.
A titre d’explication de l’échec du syndicalisme de service, il convient également de mentionné l’hostilité des adhérents à un éventuel contrôle de leurs comportements, un tel contrôle étant le corollaire indispensable pour un syndicalisme de service efficace. « Toute une conception libertaire de l’individu s’opposait ainsi à l’organisation par le syndicat de services aux adhérents133 ».
Diverses raisons peuvent être avancées pour expliquer l’échec du syndicalisme de service en France, les deux principales étant un fort attachement à la tradition révolutionnaire et la séparation du syndicalisme et de la mutualité. Si un certain nombre d’hommes politiques et de réformateurs sociaux prônaient une collaboration efficace entre syndicalisme et mutualité pour favoriser le syndicalisme de masse, le syndicalisme français est resté majoritairement hermétique à ces suppliques. Progressivement, tous les services qui auraient pu être gérés par les syndicats sont devenus des services publics ou des institutions paritaires. Toutefois, la question se pose aujourd’hui de savoir si le syndicalisme ne pourrait pas développer d’autres types de services et ce pour relancer un processus d’adhésion depuis longtemps en perte de vitesse.
B- Présent et avenir du syndicalisme de service
La question du syndicalisme de service se pose à l’heure actuelle avec beaucoup d’acuité. Ce type de syndicalisme s’est beaucoup développé dans les pays étrangers, même les plus proches. En Allemagne, par exemple, certaines organisations syndicales offrent une assurance juridique familiale ou une assurance loisirs à leurs adhérents134. En Belgique, la Confédération des syndicats chrétiens et la Fédération générale du travail de Belgique gèrent les dossiers de leurs adhérents sans emploi. En Italie, la Confédération italienne des syndicats de travailleurs intervient dans tous les conflits possibles et notamment au niveau de l’assistance sociale. En Angleterre et aux Etats-Unis, enfin, le « closed shop », réservant l’embauche aux porteurs d’une carte syndicale, est une pratique très répandue.
Force est de constater que ce sont ces pays qui ont les plus forts taux de syndicalisation. Si c’est une coïncidence, il faut bien admettre qu’elle est troublante. Un économiste américain, Mancur OLSON, en a fait une véritable théorie. Selon lui, « seule l’organisation à même d’offrir des produits privés, non collectifs, ou des bénéfices de type social ou récréatif à l’usage de ses membres, disposera d’une source d’incitation positive »135.Pourquoi ne pas en France mettre en place un syndicalisme de ce type ?
Certaines centrales syndicales françaises ont tenté de mettre en place des services qui sont resté, il faut l’avouer, embryonnaires. A titre d’illustration, la CFDT a expérimenté une « carte Cézam » permettant aux adhérents de bénéficier, dans certaines régions, de réductions sur les loisirs. FO avait elle aussi mis en place une carte « FO plus », octroyant des réductions sur les achats automobiles. La CGC a instauré un fonds commun de placement, tandis que la CGT et FO ont développé des services contentieux. Ces diverses expériences ne rencontrent pas, pour l’instant, l’unanimité. Aucune des centrales syndicales ne s’est orientée vers des services à une plus grande échelle. Pourquoi une telle réticence ?
Les organisations syndicales refusent de verser dans un syndicalisme « boutique ». Si le syndicalisme de service vient à être développé, ce sera en activité annexe, mais en aucun cas cela ne doit devenir l’activité principale des syndicats. Ce type de syndicalisme demande d’ailleurs des efforts de gestion très importants : il faut développer des produits performants et ce, surtout dans un contexte de concurrence syndicale qui ne manquerait pas de s’accentuer. De plus, un tel syndicalisme nécessite de nombreux permanents et une discipline certaine, notamment en ce qui concerne l’octroi des différents services. Il s’agit d’une infrastructure très lourde, infrastructure qui fait aujourd’hui défaut au syndicalisme français.
Selon Pierre Rosanvallon, le syndicalisme de service appartient au passé. S’il est un bon moyen pour limiter l’érosion syndicale, il ne peut s’agir d’un vecteur du renouveau syndical136.
Est-il réellement de la compétence du syndicalisme d’offrir des services ? N’est-ce pas dénaturer la nature profonde du syndicalisme ? En effet, dans le cadre du syndicalisme de service, l’adhésion se veut plus contractuelle : l’adhérent s’inscrit non pour réaliser l’objet du syndicat mais pour les avantages particuliers que celui-ci peut lui apporter. Dans une telle hypothèse la nature institutionnelle du syndicat serait remise en cause, mettant ainsi en danger sa pérennité. Si le syndicat doit changer de visage et si certains services pourraient être les bienvenus, le syndicalisme de service en lui-même ne semble pas être la meilleure solution. Mais y en a t-il d’autres ? La question reste entière.
Conclusion:
« Syndicalisme et mutualité ». Devant un tel sujet, la perplexité est dans l’esprit du plus grand nombre de mise. Quel lien peut-il bien y avoir entre deux organisations oeuvrant sur des terrains si différents? Certes, syndicalisme et mutualité présentent des origines communes et une histoire qui ne les a jamais vraiment séparés. Mais, aujourd’hui, plus rien ne les rassemble, il s’agit de deux mouvements bien différenciés.
Il est vrai que la question du syndicalisme et de la mutualité peut laisser à première vue perplexe. Toutefois, comment après une histoire aussi longtemps enchevêtrée ne peut-on plus avoir aucun lien? Sur ce point, la doctrine et les observateurs sociaux ont leur part de responsabilité : lorsque des écrits paraissent, ils ne font que très rarement le lien entre ces deux mouvements. Pourquoi en est-il ainsi ? Peut être n’y a-t-il véritablement plus rien à en dire.
Un tel silence ne peut être satisfaisant. Il convenait de l’expliciter et c’est à cette tâche que nos développements ont tenté de répondre.
Syndicalisme et mutualité se révèlent aujourd’hui en prise avec de véritables crises d’identité. La confrontation du social et de l’économique, d’une part, et du contractuel et de l’institutionnel, d’autre part, ne sont que les traductions des difficultés que rencontrent syndicalisme et mutualité pour se situer dans notre société. Ainsi, l’avenir de ces deux mouvements semble être placé sous le signe du changement et de l’adaptation à une société qui évolue de plus en pus rapidement.
Ces conflits d’identité nous offrent une clef de lecture essentielle pour comprendre le pourquoi du silence des auteurs. Ce qui gène, c’est le manque de sécurité, de certitudes. Il est à l’heure actuelle impossible de cloisonner le syndicalisme et la mutualité, de dire clairement s’il s’agit de mouvements sociaux ou économiques, une nature contractuelle ou institutionnelle. On ne peut pas leur donner d’étiquette, les ranger dans une catégorie précise. De nombreuses interactions se sont révélées et peut-être est-ce là l’avenir. Si la mutualité n’est pas en tant que telle l’avenir du syndicalisme, elle y participe nécessairement. L’avenir semble être plus que jamais inscrit sous le signe d’une collaboration du syndicalisme et de la mutualité. Le temps est peut être enfin venu de réparer les conséquences de ce rendez-vous manqué entre le syndicalisme et la mutualité.
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Mémoire de DEA de Droit Social – Université Lille 2-Droit et santé
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
Table des abréviations
I/ Abréviations du texte principal
ASSEDIC : Association pour l’emploi dans l’industrie et le commerce
CFDT : Confédération française démocratique du travail
CFTC : Confédération française des travailleurs chrétiens
CGC : Confédération générale des cadres
CGPME : Confédération générale des petites et moyennes entreprises
CGT : Confédération Générale du travail
CGTU : Confédération générale du travail unitaire
FEN : Fédération de l’Education nationale
FMF : Fédération des mutuelles de France
FNMF : Fédération nationale des mutuelles de France
FNMO : Fédération nationale des mutuelles ouvrières
FNMT : Fédération nationale des mutuelles des travailleurs
FO : Force ouvrière
MEDEF : Mouvement des entreprises de France
SNIP : Syndicat national de l’industrie pharmaceutique
UPA : Union professionnelle artisanale
II/ Abréviations des indications bibliographiques
Art. : Article
Cass.ch.mixte : Cour de cassation, chambre mixte
Cass. soc. : Cour de cassation, chambre sociale
Cf. : Confère
CJCE : Cour de justice des Communautés européennes
C.mut. : Code de la mutualité
CSS : Code de la Sécurité sociale
C.trav. : Code du travail
Dr.ouvrier : Droit ouvrier
Dr.soc. : Droit social
Ibid. : Ibidem, même localisation dans le même ouvrage ou article
Id. : Idem, dans le même ouvrage ou article
JO :Journal officiel
JOCE : Journal officiel des Communautés européennes
op.cit. : Opere citato, ouvrage ou article cité précédemment
p. : page
pp. : pages
p.X sq. : page X et suivantes
Rec.CJCE : Recueil de jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes
Resp. civ. et assur. : Responsabilité civile et assurances
R. franç. sociol. : Revue française de sociologie
RJS : Revue de jurisprudence sociale
_______________________________
128 SACHS-DURAND (C.), op.cit., p.54.
129 cf ROSANVALLON (P.), op.cit., p.81 ; BAUMARD (M.), BLANCHOT (M.), Crise du syndicalisme, p.58.
130 ROSANVALLON (P.), op.cit., p.82.
131 Id., p.83.
132 Ibid.
133 Id., p.84.
134 ROSANVALLON (P.), op.cit., p.77.
135 OLSON (M.), Logique de l’action collective, Paris : PUF, 1978, , cité par BAUMARD (M.), BLANCHOT (M.), op.cit., p.56.
136 ROSANVALLON (P.), op.cit., p.79.

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