Le marketing ethnique made in USA et la société française

Marketing ethnique made in USA est-il transposable au modèle français

Institut d’études politiques IEP de Toulouse

Mémoire de recherche
Le marketing ethnique "made in USA" est-il transposable au modèle républicain français ?
Le marketing ethnique «made in USA» est-il transposable au modèle républicain français ?

Mémoire présenté par
Mlle Soraya Thonier

Directeur du mémoire :
Jean-Marc Decaudin

2010

Avant-propos

Le choix du thème de ce mémoire a été motivé par plusieurs facteurs. Je porte avant tout un attrait particulier pour le domaine du marketing, dans lequel je souhaiterais évoluer professionnellement.

En outre, les cours de marketing international suivis en quatrième année à l’IEP m’ont donné envie d’en savoir davantage sur les adaptations culturelles que subissent le management et la communication d’une entreprise s’établissant à l’étranger ou souhaitant cibler un groupe en particulier.

Par ailleurs, étudier la place des minorités ethniques dans le monde du marketing revient à s’interroger plus largement sur leur place au sein de la société. La publicité est bien souvent le reflet amplifié de la réalité.

Ainsi, ce mémoire ne s’applique pas seulement aux domaines du marketing et de la communication, mais amène surtout à une réflexion d’ordre sociologique, politique, historique, culturelle et sociale.

Moi-même française «issue de l’immigration», j’ai souvent porté un regard critique face au manque de diversité dans les médias de mon pays.

Après avoir passé plus d’un an aux États- Unis pour mon stage de mobilité, j’ai pu constaté que les communautés ethniques n’y sont pas appréhendées de la même manière.

De l’autre côté de l’Atlantique, les campagnes de marketing mettant en avant Noirs, Latinos et Asiatiques Américains sont très fréquentes.

Les américains aiment en effet afficher leur diversité et la race fait partie intégrante de leur identité, ce qui est souvent mal compris par les français. Dans le monde de l’image et des médias, il faut être visible pour exister socialement.

Il m’a donc semblé judicieux de m’interroger sur la place du marketing ethnique au sein de deux cultures antinomiques, l’une usant de ses ethnies à outrance, et l’autre les dissimulant.

Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur(e).

Quatrième de couverture (résumé)

Le marketing ethnique est une approche qui consiste à segmenter le marché local ou international en s’appuyant sur l’homogénéité d’une souche ethnique d’un groupe de consommateurs.

On proposera ainsi des produits adaptés aux caractéristiques physiques et culturelles des consommateurs agrégés par souches ethniques.

Ce marketing de niche est né aux Etats-Unis du fait d’une société multiculturelle et d’une dimension démographique ayant facilité l’émergence de segmentations ethniques.

Outre le problème de la rentabilité, il soulève d’importantes implications managériales liées à l’ethnicité des produits, car la stratégie déployée par l’entreprise ne doit pas favoriser un repli communataire de la société.

En France, la forte population ethnique représente une opportunité considérable pour les annonceurs.

Mais l’hexagone est aujourd’hui divisé entre des besoins grandissant de la part de ses minorités et une peur du communautarisme renforcée par ses principes républicains…

Le marketing ethnique «made in USA» est-il transposable au modèle républicain français ?

Sommaire

Première partie – Le marketing ethnique aux Etats-Unis : un marché en plein essor
Chapitre 1 – Portrait d’une société américaine multiculturelle
Chapitre 2 – Des revendications des minorités à la naissance du marketing ethnique aux USA
Chapitre 3 – Le marché du marketing ethnique aux USA : un business juteux
Chapitre 4 – Quel avenir pour le marketing ethnique aux Etats-Unis ?
Seconde partie – Le développement du marketing ethnique en France : des perspectives d’avenir ?
Chapitre 1- Une marche d’avance pour les voisins européens
Chapitre 2 – La France : un contexte particulier
Chapitre 3 – Les écrans français : des minorités encore peu visibles, malgré des efforts en matière de diversité
Chapitre 4 – Un essor possible du marketing ethnique en France ?

Introduction : le marketing ethnique made in USA

Ces dernières années, on a assisté à une complexification des comportements des individus à laquelle le marketing a du s’adapter.

Dans tous les pays du monde, beaucoup d’individus choisissent aujourd’hui de s’identifier symboliquement à des héritages ethniques et les consommateurs ont une tendance de plus en plus marquée à rechercher et revendiquer leurs racines ou leur différence.

Aux États-Unis, les minorités affirment davantage leur identité communautaire et rejettent désormais l’American way of life, qui a fait disparaître l’héritage culturel, historique et religieux de toute une génération d’immigrés.

Les consommateurs sont souvent las de devoir regarder des publicités dont les produits ne les intéresse guère. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir des campagnes qui s’adressent directement à eux, refusant ainsi d’être considérés comme un marché de masse uniforme dont les besoins sont identiques.

Le marketing ethnique, au départ ignoré par beaucoup de publicitaires, est désormais un marché très prometteur avec un énorme potentiel de croissance, notamment du fait de la hausse du pouvoir d’achat des minorités dans tous les pays et de leur rôle croissant dans les domaines économiques, culturels, politiques…

D’une part, les populations sont de moins en moins homogènes du fait de l’immigration, ce qui pousse à la segmentation du marché. Et d’autre part, les acheteurs montrent une tendance de plus en plus marquée à rechercher et revendiquer leurs racines ou leurs différences.

L’ethnomarketing se développe en réaction à la mondialisation, qui tend à uniformiser les modes de consommation du monde entier. Ce mémoire sera consacré à l’analyse du marketing ethnique aux États- Unis, le pays dans lequel il a émergé, et à sa possible transposition en France. Ce sujet soulève plusieurs questions.

Tout d’abord, quels ont été les facteurs à l’origine de la naissance et de l’essor du marketing ethnique aux États-Unis ? Il convient également de se demander si le marketing ethnique est un concept pérenne dans une Amérique au sein de laquelle le brassage culturel est de plus en plus présent.

En effet, on peut émettre l’hypothèse d’un grand retour du melting pot face au métissage croissant de la population américaine. Au 21e siècle, les jeunes Américains ont tendance à ne plus faire de différence entre eux et préfèrent voir des publicités multicolores plutôt qu’ethnicisées.

Existe-t-il un avenir pour le marketing ethnique au pays du président métisse Obama ?

Ensuite, qu’en est-il de la situation des pays européens ?

Se sont-ils eux aussi lancés dans le ciblage des ethnies ?

Enfin, il est primordial de s’interroger sur la compatibilité du marketing ethnique avec l’”exception” républicaine française.

On peut partir du postulat selon lequel la société française risque de s’opposer à l’avènement d’un ciblage ethnique qui va à l’encontre de ses principes.

La France va-t-elle enfin accepter d’afficher sa diversité ou va-t-elle rester fidèle à son concept d’assimilation ?

Selon la définition du Petit Larousse, une ethnie est un «groupement humain qui possède une structure familiale, économique et sociale homogène et dont l’unité repose sur une communauté de langue et de culture.»

Si autrefois, le terme «ethnie» renvoyait aux sociétés exotiques en dehors de l’Occident, il exprime aujourd’hui la diversité des cultures présentes, souvent due à l’immigration. 1

On définit généralement une ethnie de manière “objective”, en se basant sur des critères socioculturels (patronyme, pays d’origine, langue parlée au domicile…). Mais cette technique a été jugée à la fois limitative et contraignante, puisqu’elle assigne une “étiquette” aux individus de manière arbitraire.

L’ethnicité n’est plus seulement liée à une dimension géographique ou raciale, mais surtout à un sentiment d’appartenance. S’est donc développée une méthode dite “subjective”, basée sur la simple déclaration d’appartenance de l’individu à un groupe ethnique.

En 1977, Handleman2 a développé une méthode permettant de mesurer le degré d’intensité d’affiliation à un groupe ethnique en combinant les aspects subjectif (l’individu déclare par lui-même appartenir à une minorité ethnique) et objectif (basée sur des critères socioculturels : langue parlée au domicile, niveau d’acculturation, caractéristiques familiales…).

On s’aperçoit ainsi que les individus influencés par la culture dominante du pays ont des comportements d’achat différents de ceux dont le degré d’identification à la culture minoritaire est fort.

La culture, définie comme un ensemble de valeurs, de croyances, de symboles, de mythes, de coutumes et de traditions partagés par des individus, exerce une influence sur les modes de comportements à travers l’instauration de normes sociales et de codes de conduite.

Elle remplit ainsi un rôle déterminant pour établir des comparaisons de comportements entre individus.

La culture est “apprise” par l’individu, par l’intermédiaire de la famille, du système éducatif, de la religion et des médias. Elle peut se modifier au fil du temps, en fonction de l’environnement dans lequel est émergé l’individu, qui pourra ainsi adopter les valeurs de plusieurs cultures.

Il convient donc de dissocier les valeurs sociétales partagées dans une société donnée, des valeurs individuelles pouvant emprunter d’autres références à des cultures étrangères, religieuses ou sociétales différentes.3

1 (Gicquel) Yohan, Le marketing ethnique, Le Génie des Glaciers, 13 mars 2006

2 Handleman (Don), The organization of ethnicity, in Ethnic groups, p. 187-200, June 1977

3 Ammi (Chantal), Marketing ethnique, utopie ou réalité, Hermès-Lavoisier, Septembre 2005

Il existe des différences culturelles au sein-même des pays.

On distingue ainsi une culture dominante, non exclusive, à laquelle adhère la majorité de la société, et une ou plusieurs sous-cultures (ou contre-cultures) qui ne se reconnaissent pas ou plus dans les valeurs dominantes ou les rejettent en les remplaçant par leurs propres valeurs.

La sous-culture ethnique est aujourd’hui devenue perméable et attractive auprès de la culture dominante.

Le marketing ethnique peut ainsi être défini comme une “approche qui consiste à segmenter le marché local ou international en s’appuyant sur l’homogénéité d’une souche ethnique d’un groupe de consommateurs.

Ainsi proposera-t-on des produits adaptés aux caractéristiques physiques et culturelles des consommateurs agrégés par souches ethniques, par exemple, les populations noires, hispaniques, juives, islamiques,…».4

4 Badot O., Cova B., “Communauté et consommation : prospective pour un marketing tribal”, Revue Française du Marketing n°151, 1995

Le marketing ethnique a donc pour but de répondre à des besoins spécifiques liés à une ethnie en particulier.

Il ne s’agit pas uniquement de parler la langue du consommateur, mais surtout de comprendre sa culture. «Dis-moi ta couleur, je te dirai qui tu es» est le nouvel adage des spécialistes du marketing.

Il faut pour cela considérer qu’il existe un marché par communauté et que ce marché est parallèle au marché grand public.

Ainsi, pratiquer l’ethnomarketing, c’est accepter l’existence d’une société composée d’un agrégat de communautés qui se distinguent pas leurs modes de consommation, styles de vie, langages, façons de s’habiller, loisirs, et supposer que ces différents groupes ont des attentes et des valeurs bien distinctes de la majorité de la population blanche.

En clair, c’est admettre que chaque ethnie a une façon bien particulière de consommer et qu’il faut miser sur cela lors du lancement des produits et campagnes qui doivent refléter leurs envies et leurs besoins.5

Le marketing ethnique est une réponse à la société pluriculturelle qui permet aux marques de proposer des produits adaptés aux besoins physiques, physiologiques et culturels des ethnies.

La stratégie du marketing ethnique consiste donc à s’approprier les coutumes de l’ethnie, afin de connaître ses rites et événements importants.

La plupart des produits commercialisés dans une démarche de ciblage ethnique ne peut être proposée à l’ensemble des ethnies.

Le marketing ethnique est cependant parfois complexe à mettre en place, pour des raisons principalement éthiques. Les professionnels doivent également réussir à convaincre les annonceurs et faire face à une problématique de rentabilité propre aux marchés de niches.

Aujourd’hui, les annonceurs cherchent à affiner leur cible et se tournent de plus en plus vers le marketing «segmenté» ou le niche marketing. Leur démarche est facilitée par le développement rapide des nouvelles technologies, qui permettent de faciliter le ciblage et le découpage, notamment grâce à Internet.

Les chaînes câblées se sont également multipliées et se sont spécialisées pour chaque audience. En divisant les consommateurs selon des critères tels que la couleur de peau, l’âge, le sexe ou la religion, les professionnels du marketing tentent de s’approprier la plus large partie possible de l’immense marché américain.

Les Noirs, les Latinos et les Asiatiques sont aujourd’hui les trois principales communautés ethniques des États-Unis.

Leur nombre grandissant d’année en année en fait la cible principale des professionnels du marketing. La religion est également devenue un critère de segmentation non négligeable aux États-Unis.

Le judaïsme est ainsi la cible privilégiée des annonceurs, qui voient dans le marché casher de nouvelles possibilités d’augmenter leurs profits. Tous les grands noms de l’industrie alimentaire se sont mis au casher pour satisfaire les 15% des 6 millions de juifs recensés en Amérique suivant strictement ce régime.5

Les fondements du marketing politique

Pour séduire cette minorité religieuse, General Electric a par exemple équipé 65 de ses fours du «mode shabbat».

Même certaines universités pratiquent aujourd’hui le marketing communautaire et ciblent les Juifs-Américains, comme la Vanderbilt University qui avait envoyé un rabbin faire la promotion de son université lors de la convention de l’Union des congrégations hébraïques d’Amérique, bien que cette pratique aille à l’encontre des lois fédérales.6

6 Golden (Daniel), «In Effort to Lift their Rankings, College Recruit Jewish Students», Wall Street Journal

D’autres minorités ethniques sont également visées par les professionnels du marketing, comme les Iraniens, Israéliens, Polonais, Russes, Ukrainiens, et Arabes.

Cependant, je centrerai ma réflexion sur les trois plus grandes cibles ethniques : les Noirs, les Latinos et les Asiatiques, qui constituent plus d’un tiers de la population américaine.

A travers ce mémoire, on s’interrogera sur le développement du marketing ethnique, à ne pas confondre avec d’autres concepts pouvant s’en rapprocher. Il ne sera pas question ici de marketing tribal, qui s’appuie sur les communautés d’intérêts, tandis que le marketing ethnique est basé sur les communautés culturelles.

Représenter des groupes ethniques au sein d’une publicité ne signifie pas non plus pratiquer le marketing ethnique.

Celui-ci se distingue ainsi des trois autres formes de stratégies marketing que sont l’icône ethnique (apporter de l’exotisme ou de l’authenticité à la marque, parfois de manière très stéréotypée), le marketing héroïque (mettre en avant une célébrité appartenant à une minorité ethnique), et la communication multiculturelle (mettre en scène plusieurs ethnies, sans adapter l’offre ou la manière de communiquer).1

Il ne s’agit donc pas de traduire la réalité démographique d’un pays dans un spot publicitaire ni de prôner le multiculturalisme à l’image de Benetton (les individus sont tous les mêmes, il faut aller au-delà de la couleur de peau).

Au contraire, faire du marketing ethnique, c’est courtiser les «ethnies» à des fins purement mercantiles. L’ethnomarketing est donc à distinguer du marketing multiculturel.

Les annonceurs ne sont pas là pour faire de la politique ou du social, mais pour faire de l’argent.

La décision d’achat : inconscient, mémoire, émotion et attentes

C’est autour de cette problématique que portera ma réflexion, puisque c’est cette notion qui entre véritablement en conflit avec les principes républicains français.

Afin de réaliser ce mémoire, ma démarche a consisté dans un premier temps à effectuer des recherches d’ouvrages, de revues et de sources archivistiques en lien avec le sujet.

J’ai dû ensuite collecter des données statistiques appuyant mes recherches, le plus souvent sur les sites Internet officiels de l’INSEE et son équivalent américain, l’US Census Bureau.

En outre, j’ai profité d’un stage d’été aux États-Unis pour effectuer des recherches documentaires sur place, d’où l’utilisation d’ouvrages et de revues en anglais.

Ce fut également l’occasion pour moi de réaliser un entretien auprès de l’entreprise dans laquelle j’effectuais mon stage. Enfin, le dernier outil méthodologique utilisé fut le questionnaire, que j’ai conçu sur Internet.

Après avoir déterminé les questions pertinentes à poser, j’ai effectué une liste de contacts de personnes françaises d’origine étrangère (élèves de l’IEP, amis, famille, étudiants en cité universitaire…) et leur ai envoyé un lien vers le sondage anonyme.

Il m’a en effet paru intéressant d’interroger un panel de français sur leur vision du marketing ethnique. Je n’ai pas rencontré de problème majeur lors de ma démarche d’analyse du sujet.

Cependant, j’aurais aimé avoir la possibilité de rencontrer des responsables d’agences ethniques aux États-Unis, ce qui n’a pas été possible faute de temps.

Phénomène largement développé en Amérique, le marketing ethnique s’installe également peu à peu en Europe.

En France, si l’importante population immigrée constitue une aubaine pour les agences de marketing ethnique, l’idée d’une République une et indivisible freine en revanche son essor.

Nous sommes donc enclins à nous poser la question suivante : le marketing ethnique “made in USA” est-il transposable au modèle républicain français ?

Je m’emploierai dans un premier temps à étudier la place du marketing ethnique aux États-Unis, en précisant les principales caractéristiques du modèle américain et en analysant ses évolutions futures.

Je m’intéresserai ensuite au cas de l’Europe, en situant la place du marketing ethnique au sein des trois pays présentant la plus importante population multiculturelle : l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas.

Enfin, je me pencherai sur la situation spécifique de la France.

Pour cela, j’étudierai ses particularités politiques et sociologiques, et j’établirai un état des lieux de la diversité française, avant d’explorer les perspectives de développement du marketing ethnique et ses limites.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le marketing ethnique made in USA est-il transposable au modèle républicain français ?
Université 🏫: Institut d’études politiques IEP de Toulouse
Auteur·trice·s 🎓:
Mlle Soraya Thonier

Mlle Soraya Thonier
Année de soutenance 📅: Mémoire de recherche - 2010
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