Processus de décision d’investissement

Processus de décision d’investissement

2.3. Décision d’Investissement

Le processus de décision dans la recherche d’investissement peut, en partie, se calquer sur les logiques exposées dans la partie précédente consacrée au financement. En effet, certains éléments peuvent être commun. Il faut, par ailleurs, préciser que lorsque nous parlons de politique d’investissement, nous sous-entendons aussi la possibilité de désinvestissement.

Au sein des théories traditionnelles des politiques d’investissement en finance d’entreprise, le courant le plus important est l’évaluation par la Valeur Actuelle Nette – VAN – qui permet de déterminer si le projet est rentable. Or, il est facile de découvrir des projets effectués par les entreprises qui ne sont pas rentables. Pourquoi ? Bien évidemment, des recherches empruntées à d’autres champs pourraient contribuer à répondre à cette question.

Dans une perspective stratégique, par exemple, un projet avec une VAN négative peut toutefois être nécessaire au développement stratégique de l’entreprise. Dans le cadre de cette étude, nous ferons quelques emprunts à la stratégie mais nous allons principalement tenter d’entamer une réponse à cette interrogation à l’aide du développement des approches comportementales en finance d’entreprise.

Hypothèse 5 (H5) : L’étude du comportement peut mieux expliquer les politiques d’investissements des entreprises que les théories actuelles.

Lors de décision d’investissement, les acteurs principaux sont le dirigeant et les parties prenantes de l’entreprise (salariés, fournisseurs, distributeurs…). Il s’agit donc d’une vision partenariale. En effet, lorsqu’ un projet d’investissement est effectué, le dirigeant doit compter sur les différents partenaires intervenant dans ce projet afin de mener à bien ce dernier. D’ailleurs, l’hypothèse auxiliaire la plus importante est la rationalité des agents. Dans ces conditions, les interactions ne sont plus binaires mais multipartites.

Si cela est utile pour certaines précisions de notre recherche, nous étudierons certaines interactions, par simplification, deux à deux afin de mieux cerner les interactions à l’étude. De plus, ces acteurs peuvent être soit internes soit externes à l’entreprise selon le vocabulaire de Baker et al. (2004) et Shefrin (2001).

Hypothèse 6 (H6) : Les agents, dans le cadre de la vision partenariale, agissent et interagissent entre eux. Cette interaction affecte le comportement de chacun des agents.

Bien évidemment, à partir du moment où des interactions entre agents sont prises en compte dans la modélisation, le comportement de chacun acquiert une dimension disciplinaire, afin de réguler les conflits psychologiques ou interpersonnels, et une dimension productive pour créer de la valeur et donc créer une « utilité » de travailler en équipe.

Hypothèse 7 (H7) : Le comportement, lors de décisions d’investissement, a une dimension disciplinaire et une dimension productive.

Mais comment identifier les opportunités d’investissement rentables ? Comment définir un « bon » projet ? Pourquoi tel ou tel projet est sélectionné ?…

Afin d’aborder pleinement les politiques d’investissement, nous allons présenter, dans un premier temps l’environnement, ensuite, les systèmes de préférences, puis, les évaluations des alternatives, et, enfin les critères de sélections.

2.3.1. Connaissance de l’environnement

Toute entreprise doit tenir compte de sa dépendance aux ressources et de sentiers (Kreiser et Marino, 2002). En effet, dans le contexte d’investissement, la firme doit tout d’abord étudier son environnement en récoltant et sélectionnant les informations nécessaires, puis les traiter et les utiliser pour adapter sa connaissance de cet environnement. Toutes ces démarches permettent d’établir une stratégie d’investissement.

De plus, contrairement aux recherches de financement, les projets d’investissement ne sont pas bornés. En effet, il en existe une multitude voire une infinité. Dans ces conditions, le dirigeant doit découvrir les opportunités d’investissement au sien d’un environnement abondant et illimité.

2.3.1.1. Biais de récolte et de sélection d’information

Pour établir une stratégie viable, l’entreprise a besoin de se constituer des informations pertinentes de l’environnement (aF1). Ces informations ne sont pas innées, elles doivent être acquises.

Dans un premier temps, la recherche d’information peut être considérée comme une action individuelle. Tout d’abord, les habitudes, les routines (aF3) et les biais de confirmations (aF5) (Barberis et Thaler, 2002, p14 ; Shefrin, 2001, p5) incitent l’individu éternellement à promouvoir les politiques d’investissement déjà établies soit en poursuivant l’activité sans se poser de question pour des raisons de facilités (aF3) soit en recherchant des arguments afin de légitimer la reconduction des précédentes actions d’investissement (aF5).

Ensuite, la recherche de nouvelles opportunités est freinée par la dissonance cognitive ou affective (aF4) (Shiller, 1997, p7-8) que l’individu a envers certaines idées ou projets d’investissement (narrow framing de Barberis et Thaler, 2002). Sa recherche est donc conditionnée par son attitude.

D’ailleurs, cette recherche est consommatrice d’énergie (Masuch et LaPotin, 1989). Enfin, un individu, face à un environnement d’informations surabondantes, ne peut faire face puisqu’il peut atteindre très rapidement son seuil de surcharge cognitive ou affective (aF6) (Hallowell, 2005). A ce moment, il n’est plus capable de rechercher la moindre information supplémentaire. De plus, cette surcharge peut détériorer sa perception de l’environnement. En effet, il a pu récolter et sélectionner que peu d’informations pertinentes (aF1) ce qui l’empêche de s’adapter correctement à l’environnement.

De plus, dans un second temps, cette étape peut être effectuée collectivement entre plusieurs individus comme au sein d’un conseil d’administration (Forbes et Miliken, 1999). Dans cette perspective, tous les éléments présentés dans le paragraphe précédent sont spécifiques à chaque membre. Chacun étant unique, ils n’ont pas la même perception. Donc, en regroupant, toutes leurs informations, le groupe augmente ses chances d’obtenir les informations pertinentes (aF1). A titre d’exemple, Charreaux (2002b) présente l’intérêt d’avoir des partenaires industriels au sein du conseil d’administration afin de profiter de leurs perceptions des opportunités d’investissement.

En plus de ces éléments de récoltes et de sélection d’informations, d’autres biais de traitement et d’utilisation de la connaissance influencent les références des décideurs.

2.3.1.2. Biais de traitement et d’utilisation des connaissances (références)

Maintenant que les soi-disant informations pertinentes sont sélectionnées, l’individu doit traiter ces informations afin de se les approprier comme connaissances et afin d’adapter ses références à l’environnement en perpétuel mouvement. Pour cela, il nécessite une connaissance claire de l’environnement (aF2).

Contrairement à la récolte d’information, le groupe peut générer des suggestions (aF9) influençant le traitement, en plus des cadrages (aF8), par la pression des pairs (Shefrin, 2001, p10). Le dirigeant adaptera donc son ancrage (aF7) en fonction de ses croyances (aF10) et des influences des partenaires (Morck, 2004 ; Greenfinch, 2005).

D’ailleurs l’investissement de départ est souvent établi comme référence pour les résultats du projet (aF7) (Barberis et Thaler, 2002, p14).De plus, la connaissance des entreprises concurrentes permet au décideur de rechercher ou d’étudier les opportunités d’investissement en fonction de sa position stratégique et de l’évolution des concurrents (aF7).

Tous ces éléments constitueront les références des connaissances à la disposition de l’entreprise. De plus, ceux-ci permettront une certaine adaptation des systèmes de préférence de l’individu.

2.3.2. Système de Préférences

L’analyse des préférences concernant les projets d’investissement se focalise généralement sur la perception du retour sur investissement. D’ailleurs, dans cette partie, il est assez aisé de recourir aux courants d’économie comportementale et de psychologie puisque nous allons étudier l’impact des valeurs sur les préférences et donc le comportement de l’individu face à une évolution de son « épargne ». Nous allons donc, dans un premier temps, étudier les biais de valeurs et, dans un second temps, les biais de « danger ».

2.3.2.1. Biais de valeurs

Il existe différents types de valeur pour établir les systèmes de préférences. La principale est la valeur pécuniaire. En fait, comme l’illustre l’utilisation de la VAN, l’étude des projets s’effectue à travers un écart de valeur.

De plus, le dirigeant évalue le rendement en valeur relative (bF3) la rentabilité par rapport à l’investissement (Rabin, 2002, p9). Bien évidemment, l’individu est toujours averse aux pertes (bF4). D’ailleurs, comme présenté lors du processus de décision, le sujet ressent beaucoup plus une perte qu’un gain même s’ils sont de même valeur absolue (Camerer et al., 2004 ; Kahneman et Tversky, 1979). En fait, ces éléments sont stables à travers le temps (bF1).

Toutefois, certains autres éléments peuvent devenir plus importants que ceux précédemment présentés. En effet, par exemple, un don n’a aucun retour sur investissement. De plus, si un investissement à un intérêt stratégique, le dirigeant peut envisager une perte pécuniaire si cela est nécessaire, mais dans ces conditions, la valeur globale de l’investissement n’est pas limitée à sa valeur pécuniaire. Par exemple, ils peuvent avoir une valeur idiosyncrasique.

En dehors de ces éléments, l’individu a tendance à être myope (bF5). En effet, une valeur est perçue comme plus importante à court terme qu’à long terme, même si les théories actuelles en finance d’entreprise ne prennent pas en compte cette myopie temporelle (Camerer, 2003 ; Rabin, 2002, p18). Par contre, ce biais peut évoluer suivant les époques.

De plus, l’effet de dotation (bF7) (Rabin, 2002, p9) incite l’individu à préférer les éléments en sa possession. Dans ces conditions, un bien est évalué plus cher lorsque l’individu est propriétaire que le même bien s’il devait l’acheter.

Le dirigeant, même s’il reconnaît qu’un projet d’investissement n’est pas aussi rentable que prévu, poursuivra donc sa politique d’investissement malgré tout puisqu’il n’arrivera pas à se résigner à revendre son investissement au prix du marché ou à accepter de montrer, voire prouver, son erreur de management (critère de visibilité de Shefrin, 2001).

D’après tous ces éléments, la valeur est un critère plus ou moins stable de l’élaboration du système de préférence. Par contre, la hiérarchisation des préférences semble fluctuante et non exclusive.

Après avoir identifier les biais de valeur, nous présenterons les biais de « danger ».

2.3.2.2. Biais de « Danger »

Pour tout projet d’investissement, l’individu est averse aux risques (bF8). Il choisira le projet le moins risqué. La démarche est identique pour son aversion à l’incertitude des gains (bF9). D’ailleurs, inversement, le sujet recherchera l’incertitude quant à la possibilité d’enregistrer une perte (bF10) et non la matérialiser directement (cas de Sony Corporation étudié par Shefrin, 2001, p6).

En fait, si un dirigeant effectue un investissement non rentable, il refusera de l’admettre, pour son ego ou son orgueil ou tout simplement en considérant que la perte actuelle est fictive et que, dans un futur, le projet deviendrait rentable. Dans ce cas, il conserve son projet (bF11) même s’il est déficitaire en espérant recouvrir ses pertes avec des profits futurs afin de ne pas devoir admettre son échec dans sa sélection de projet.

Lors de la présentation des préférences, nous avons utilisé l’interprétation des évaluations des projets. Mais ces derniers sont aussi sujet à certains biens que nous allons dès maintenant aborder.

2.3.3. Capacité d’Evaluation

L’évaluation des projets d’investissement joue une part importante dans les politiques d’investissement. A ce niveau, les biais de capacité et de modification de la perception des évaluations doivent être pris en compte.

2.3.3.1. Biais de Capacité de calcul

Parmi les différents biais de capacité de calcul qui sont les plus importants pour l’évaluation des projets d’investissement, la capacité cognitive et affective (cF4) et le compartimentage mental (cF5) sollicitent des simplifications des projets d’investissement afin d’étudier étape par étape les projets.

D’ailleurs, Duhaime et Schwenk (1983) présentent une simplification des analyses des décisions de projets d’acquisitions et de désinvestissements. Cette technique est d’ailleurs commune à tous autres projets complexes. D’après ces auteurs, les différentes activités sont influencées par différents biais cognitif.

Nous allons présenter un extrait de cette étude sans, pour autant, rentrer dans les détails des biais comportementaux présentés. Certains de ces biais sont traités plus précisément à leur place privilégiée au sein de cette recherche.

Tableau 7: Principales Activités d’Acquisition et de Désinvestissement et leurs Processus de simplification cognitive

ActivitésBiais Cognitifs
Considération des Alternatives d’AcquisitionRaisonnement par Analogie
Illusion de Contrôle
Management de l’AcquisitionIllusion de Contrôle
Escalade d’engagement
Considération de décision de désinvestissementEvaluation unique des résultats

De plus, l’expérimentation des projets et leurs apprentissages (cF3) permettent de mieux percevoir les opportunités d’investissement similaires et faciliter les raisonnements par analogie. D’après Duhaime et Schwenk (1983, p14-15), une fois que l’on a pris en compte la possibilité de céder une activité, les mécanismes de raisonnement restent cloisonnés sur les différentes alternatives de désinvestissement mais n’analysent plus les politiques d’investissement pour cette même activité. Tous ces éléments sont des exemples pouvant mettre à mal la capacité calculatoire illimitée (cF1) et simultanée (cF2) des alternatives qui est l’apanage de la rationalité substantive.

En plus de ces éléments, il existe certains biais pouvant influencer l’évaluation.

2.3.3.2. Biais de Modification d’évaluation

Généralement, l’optimisme (cF7) et l’excès de confiance (cF8) peuvent être traités conjointement comme le présente Baker et al. (2004). En effet, tous ces éléments incitent le dirigeant à surévaluer ses projets. Même lors de l’exclusion des conflits d’intérêt ou plutôt lorsque le dirigeant recherche de lui-même l’intérêt des actionnaires, ces attitudes vont pousser le dirigeant à sélectionner des projets non rentables qu’il aura pourtant considéré comme rentable.

De plus, d’après Duhaime et Schwenk (1983, p13), le dirigeant est enclin à croire avoir un contrôle sur les projets d’investissement ou sur d’autres éléments sur lesquels il n’a pourtant aucun impact. Ceci s’apparente à la pensée magique ou à la création de sens (cF9) (Shiller, 1997, p21-22 ; Weick, 1993).

Maintenant que l’évaluation des alternatives est effective, il s’agit de comprendre les critères de sélection lors de politiques d’investissement

2.3.4. Critères de Sélection

Les grandes familles des critères de sélections sont, en majorité, toujours les mêmes. Elles se répartissent en deux groupes. Quels sont les niveaux d’acceptation ? Quels sont les objectifs des politiques d’investissement ?

2.3.4.1. Biais de Stratégie ou niveau d’acceptation

Généralement, le dirigeant cherche à maximiser (dF1) voire à trouver au moins une situation satisfaisante (dF2) (Simon 1955). D’ailleurs ces éléments ont déjà été présentés dans les précédentes parties.

Par contre, lors de politiques d’investissement, le dirigeant est généralement contraint soit par défaut (dF4) soit par besoin (dF5). Par défaut, puisque son temps est compté et qu’il doit tenir compte des compétences à disposition (Kreiser et Marino, 2002). Par besoin, puisqu’il doit renouveler les actifs permettant la remise à jour de son activité (tel que les salariés, les machines, les brevets…).

En plus de ces niveaux, le décideur tente, à travers ses décisions, à atteindre un objectif.

2.3.4.2. Biais d’Intérêt ou Objectif

Bien évidemment, les mêmes éléments que ceux présentés lors des décisions de financement peuvent être traité. En revanche, d’autres sont plus spécifiques aux décisions d’investissement. Par exemple, un dirigeant ayant peur de perdre sa place, pourra inciter l’entreprise à investir dans des projets idiosyncrasiques ou en recherches et développement.

Ces éléments font partis d’un domaine opaque pour de potentiels successeurs du dirigeant, ce qui freinerait les envies de concurrences externes. Dans ce contexte, l’égoïsme (dF6) prime même si les stratégies de politiques d’investissement peuvent aussi être bénéfique pour l’entreprise (actionnaires et salariés) (dF8 voire dF9 et dF7).

Par contre, d’autres éléments, comme la surenchère d’investissement en vue de masquer un projet déficitaire, soit en retardant l’échéance, soit en espérant un retour de situation, peuvent engendrer des crises au sein de la firme voire sa déchéance, la faillite (cas de Syntex Corporation de Shefrin, 2001, p8-9 ; Duhaime et Schwenk, 1983, p14).

Dans cette perspective, les biais comportementaux pouvant expliquer cette attitude sont la peur, le refus d’accepter de reconnaître ses erreurs, tenter de « préserver » sa réputation…

En résumé, les politiques d’investissement s’inscrivent dans une vision partenaire de la gouvernance d’entreprise (H6) et le comportement, ayant aussi bien un rôle disciplinaire que productif (H7), peut générer de nouvelles explications quand la politique d’investissement restait inexpliquée par les théories traditionnelles (H5).

Après avoir étudier les décisions de financement et d’investissement, nous allons maintenant analyser les politiques de rétribution qui, en plus d’être des décisions d’investissements, influencent la structure de financement.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université de Dijon - Laboratoire d’Economie et de Gestion (LEG) - Décisions en Finance d’Entreprise Comportementale
Auteur·trice·s 🎓:
Lionel Tolle

Lionel Tolle
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master Sciences du Management - Option Recherche en Sciences de Gestion, Axe Finance, ARchitecture et Gouvernance des Organisations (FARGO) - 2004-2012
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