L’activation laissée au marché ou par l’investissement social

L’activation laissée au marché ou par l’investissement social

7.3 Les pays nordiques : l’activation par l’investissement social

De tous les regroupements de pays qui se dégagent de nos analyses, l’ensemble formé par les pays nordiques est de loin le plus homogène et ce, à chaque point dans le temps. L’évolution de la configuration des dépenses publiques dans les pays nordiques est marquée par une générosité de l’État dont la spécificité s’affirme tout particulièrement dans le financement de services publics.

Ces caractéristiques s’avèrent très stables dans le temps, ce qui suggère d’une part que les assises de la protection sociale sont solidement ancrées et, d’autre part, que la pratique d’une stratégie d’investissement social n’est pas une chose récente puisque ses paramètres sont déjà présents au milieu des années 1980.

En ce sens, nos analyses dans le temps ne permettent pas d’identifier un point tournant quant à l’émergence d’une telle stratégie, ce qui donne à penser que la genèse de l’investissement social est antérieure à cette période.

Si l’évolution des dépenses publiques dans les pays nordiques est empreinte de constance et de stabilité, il en va de même pour la configuration de leurs situations socio-économiques. À chaque point dans le temps, ils sont en tête de peloton d’une part en regard des situations qu’ils affichent sur le marché du travail et, d’autre part, quant à la situation des inégalités sociales. À la lumière de nos résultats, l’évolution des caractéristiques des dépenses publiques et des situations socio-économiques dans les pays scandinaves s’inscrit dans la continuité.

Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’interventionnisme de l’État est teinté d’un parti pris manifeste à l’égard des services sociaux. Si l’appareil de transferts sociaux s’inscrit dans une optique d’universalité, il en va de même pour le système de services sociaux si on en juge par l’étendue et la diversité de sa clientèle : la petite enfance, les jeunes familles, les personnes âgées et les travailleurs sur le marché du travail pour ne nommer que celles-là.

L’éducation et la santé constituent deux pierres angulaires des services publics dans les pays scandinaves : à chaque point dans le temps, les dépenses publiques en éducation (de l’éducation préscolaire à l’éducation tertiaire) et en santé figurent parmi les plus élevées de tous les pays de notre examen et laissent très peu de place au financement privé.

Qui plus est, l’éducation et la santé constituent des pivots de la protections sociale dans la mesure où ils sous-tendent un éventail de services sociaux analogues ; les services de garde destinés à la petite enfance, au-delà des objectifs de conciliation travail/famille qu’ils peuvent servir, ont une fonction importante d’éducation et de socialisation ; un bon nombre de ressources mises à la disposition des chômeurs prennent la forme de services éducatifs appliqués aux réalités du marché du travail ; et les services aux personnes âgées représentent dans une large mesure un prolongement du système de soins de santé.

À la lumière des résultats affichés par les pays nordiques au chapitre des dépenses publiques et des situations socio-économiques, on peut penser que l’architecture de la protection sociale dans ces pays est empreinte de liens horizontaux forts.

D’ailleurs, nous estimons que cette dimension horizontale est au cœur de l’investissement social pratiqué dans ce regroupement de pays ; des mesures de protection sociale qui poursuivent simultanément plusieurs objectifs recoupant différents champs d’intervention, notamment l’intégration des individus (particulièrement celle des femmes) dans le marché du travail, la conciliation travail/famille, l’éducation et la santé.

Les garderies publiques constituent un excellent exemple de cette dimension horizontale : pour les jeunes enfants, elles représentent un lieu de socialisation première alors que pour les parents, elles constituent un relais des responsabilités familiales et permettent d’harmoniser la vie active et la vie familiale. En somme, les dépenses publiques dans les pays nordiques sont non seulement généreuses, mais elles s’épaulent l’une et l’autre.

7.4 Les pays anglo-saxons : l’activation laissée au marché

Les pays anglo-saxons forment un bloc un peu moins homogène que celui des pays nordiques, mais leurs caractéristiques centrales demeurent sensiblement les mêmes du milieu des années 1980 jusqu’aux années 2000. La spécificité de ces pays par rapport aux autres pays de notre analyse s’affirme davantage à partir du milieu des années 1990 ; en 1985 et en 1990, on les distingue un peu moins clairement des regroupements de pays d’Europe continentale et d’Europe du Sud.

Si les pays nordiques sont engagés sur la voie de l’activation à travers l’investissement social, les perspectives d’activation qui semblent prévaloir dans les pays anglo-saxons reposent sur des prémisses fort différentes. Dans les pays anglo-saxons, l’État affiche une présence relativement effacée dans la plupart des champs de dépenses publiques, ce qui lui confère une dimension résiduelle dont les individus doivent s’accommoder, en se tournant vers le marché pour combler leurs besoins de protection sociale.

Ainsi, des ressources préalables à l’activation telles l’éducation, la santé et les mesures de conciliation travail/famille sont plus largement financées privément par les individus et, parfois, par leurs employeurs, ce qui restreint leur accessibilité dans la mesure où celle-ci repose davantage sur la capacité financière des individus que sur leur statut de citoyen. D’ailleurs, le caractère résiduel des dépenses publiques dans les pays anglo-saxons les distingue clairement des regroupements nordique et d’Europe continentale.

Si la différenciation des pays anglo-saxons par rapport aux pays nordiques est si saillante à chaque point dans le temps, c’est que ce regroupement forme un pôle distinct sur le continuum d’activation que met en relief le premier facteur de nos analyses. Si l’investissement social prévaut dans les pays nordiques, l’investissement de nature privée prime dans les pays anglo-saxons : l’accès aux ressources d’activation passe principalement par le marché, il s’articule autour des avantages sociaux conférés par la situation d’emploi et, ultimement, par la capacité financière des individus.

Cette particularité de la protection sociale dans les pays anglo-saxons semble paver la voie à des situations inégalitaires. En effet, l’inscription de principes marchands au sein des schèmes de protection sociale tend à reproduire les inégalités du marché; les individus dont l’emploi n’est pas assorti d’un salaire et d’avantages sociaux suffisants pour combler leurs besoins via le marché doivent souvent s’en remettre à eux-mêmes pour assurer leur bien-être et celui de leurs proches.

Nos résultats semblent aller dans le sens de cette affirmation : les pays anglo-saxons figurent en queue de peloton quant à la prévalence de la pauvreté dans les familles avec enfant(s) et, ce à chaque point dans le temps. Ces pays (mais plus particulièrement les États-Unis) se démarquent aussi par des niveaux élevés de mortalité infantile, ce qui témoigne de situations inégalitaires se manifestant au plan de la santé.

Toutefois, les pays anglo-saxons font bonne figure quant à l’intégration sur le marché du travail, si on en juge par les taux élevés d’activité (notamment chez les femmes) et les faibles niveaux de chômage et de chômage de longue durée, qui, à chaque point dans le temps, sont comparables à ceux des pays nordiques.

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