Quand la microfinance cible les migrants

Université de Provence Aix-Marseille 1

Département d’Anthropologie

MASTER PROFESSIONNEL

« Anthropologie & Métiers du Développement durable »

Mémoire de recherche appliquée

Quand la microfinance cible les migrants

Quand la microfinance cible les migrants

Une analyse comparative des processus d’adaptation

et d’appropriation autour d’un projet de microfinance

dans deux communautés rurales du Mexique

Présenté par Annabelle Berthaud

Sous la direction de Isabelle Guérin

2008 – 2009

Les opinions exprimées dans ce mémoire sont celles de l’auteur et ne sauraient en aucun cas engager l’Université de Provence, ni le directeur de mémoire.

Remerciements

Je tiens à remercier Isabelle Guérin de l’intérêt qu’elle a porté à mon travail. Même si l’éloignement géographique nous a contraints à des échanges « virtuels », ils m’ont été d’une grande aide.

Je réalise le chemin parcouru depuis les prémisses de ce mémoire, et, grâce à ses précieux conseils, ce travail s’en est trouvé considérablement enrichi.

RESUME

Au Mexique, les envois d’argent des migrants résidant aux Etats-Unis à leurs familles (les remesas), représentent la troisième devise du pays. Ces transferts servent principalement à la consommation quotidienne des familles. Suivant le montant et la régularité des envois, ils pourront également permettre la construction d’une maison et surtout prévenir des dépenses imprévues.

Le débat qui mêle remesas et développement engage la responsabilité du migrant dans le développement local de sa communauté d’origine. Pourtant ce discours oublie que la migration est justement le reflet d’une économie en crise et qu’elle intervient en palliatif de la pauvreté.

Face à cette réalité, la microfinance entend se positionner en tant qu’acteur financier de proximité pouvant aider au développement local des communautés. D’après les observations faites lors d’une étude d’impact de la migration réalisée dans deux communautés rurales du Mexique, nous verrons les difficultés qui s’imposent tant au migrant qu’à l’institution de microfinance.

MOTS CLES : Migration, microfinance, transferts de fonds, Mexique, développement

TITLE : When microfinance targets migrants

A comparative analysis of the process of adaptation and ownership of a microfinance project in two rural communities of Mexico

ABSTRACT

In Mexico, remittances from migrants residing in the United States to their families represent the country’s third currency. These transfers are mainly used for families’ daily consumption. Depending on the amount and regularity of remittances, they will also allow construction of a house and moreover deal with unexpected expenses.

The debate that mixes remittances and development, involves the responsibility of the migrants in the local development of their community of origin. However this debate neglects the fact that migration is a reflection of an economy in crisis and, alleviate poverty.

Faced with this reality, microfinance intends to position itself as a close financial actor that can help develop local communities. According to our observations made during a study of the impact of migration conducted in two rural communities in Mexico, we’ll see the difficulties that arrive both for the migrant and for the microfinance institution.

KEY WORDS : Migration, microfinance, remittances, Mexico, development

SOMMAIRE

Introduction générale
I. Cadre, acteur et objectif de l’enquête anthropologique
1. La migration mexicaine aux Etats-Unis : une problématique en évolution
1.1 Le migrant : du travailleur illégal à l’acteur de développement
1.2 Les transferts de fonds des migrants : un enjeu pour la microfinance
2. L’Amucss, commanditaire de l’étude : contours et stratégies
2.1 Evolution de l’Amucss comme acteur clé de la Microfinance au Mexique
2.2 L’Amucss se place dans l’arène « remesas et développement »
3. Objectif de l’enquête
II. Du travail de terrain au mémoire de recherche appliquée
1. Conditions générales de l’enquête
2. Des données empiriques à la problématique du mémoire
2.1 Les communautés transnationales : un concept pour des réalités contrastées
2.2 La microfinance : diversité de modalités de mises en œuvre, diversité de populations et diversité des mécanismes d’appropriation
3. Problématique et plan du mémoire
Résumé des principaux résultats
Analyse des données comparatives
I. Contexte économique et social de chaque communauté
1. San Agustín Loxicha, Oaxaca
1.1 Présentation des caractéristiques socio géographiques
1.2 Renouveau d’un village marqué par des années de conflit
1.3 Le café : une agriculture résistante mais en péril
2. Totolapa, Guerrero
2.1 Présentation des caractéristiques socio géographiques
2.2 L’évolution du secteur agricole
2.3 La migration devient le pilier de l’économie locale
II. Deux trajectoires migratoires dépendantes de l’environnement local
1. Le parcours du migrant
1.1 Le contexte de « sortie » du migrant
1.2 Portraits et projets des migrants
1.3 Influence et importance du réseau migratoire
2. Les impacts de la migration pour la famille : entre aide et dépendance
2.1 Les remesas : une ressource essentielle pour le quotidien
2.2 Les jeunes face à l’éducation et la migration
2.3 Intégration des revenus de la migration au sein de l’économie locale
III. L’IMF face à des formes d’appropriations différentes
1. La gouvernance des IMF en question
1.1 Politique sociale générale des IMF du réseau de l’Amucss
1.2 San Agustín Loxicha : une gouvernance en cohérence avec le projet de l’IMF
1.3 Totolapa : un processus d’intégration « forcé »
2. L’influence des réseaux informels sur les IMF
2.1 A San Agustín Loxicha, la variété des pratiques et des acteurs facilite l’intégration de l’IMF
2.2 A Totolapa, les migrants sont les principaux acteurs du réseau informel
Conclusion et perspectives
I. Migration, microfinance et développement : quelles perspectives d’alliance ?
1. Migration et développement local : paradoxe des discours et des pratiques
1.1 L’hypocrisie d’un modèle de développement basé sur les remesas : le cas du Mexique
1.2 Discours et position de l’Amucss dans l’arène « Remesas et développement »
2. Reflet des pratiques sur le terrain : des pistes pour le débat « remesas et développement »
2.1 Projet et fonction du migrant : un acte individuel
2.2 Les Remesas ne se destinent pas à l’investissement
2.3 Les contraintes financières imposées à la microfinance comme limites au rôle de l’IMF
3. Vers des ouvertures de recherches et d’actions
3.1 Comprendre la globalité de la migration93
3.2La microfinance face au défi de l’adaptation
Bibliographie

Introduction générale

I – Cadre, acteur et objectif de l’enquête anthropologique

1- La migration mexicaine aux Etats-Unis : une problématique en évolution

1.1 – Le migrant : du travailleur illégal à l’acteur de développement

L’émigration de mexicains vers les Etats-Unis est un phénomène ancien. C’est au début du 19ème siècle que les mouvements de population se sont intensifiés avec l’arrivée des chemins de fer. Ces flux ont continué de manière informelle jusque dans les années 1940, date à laquelle le programme Bracero signe le premier accord bilatéral qui prévoit l’octroi d’un visa de 6 mois renouvelable, à tous les travailleurs saisonniers embauchés dans les exploitations agricoles du Sud ouest des Etats-Unis.

Bien que ce programme ait pris fin dans les années 1960, les flux migratoires ont été en constante hausse dans les quarante années qui ont suivi.

Dans la seconde moitié des années 1990, le Mexique a connu le plus fort taux d’émigration de tous les pays de l’OCDE (et de loin) et l’un des plus élevés du Monde (Rapport OCDE, 2004). En 2000, 8,5 millions de personnes nées au Mexique, résidaient aux Etats-Unis, soit 30% des étrangers et près de 9% de la population mexicaine.

La proximité géographique des deux pays entraîne naturellement ces déplacements. Dans les années 1980, les Etats-Unis commencèrent à essayer de réguler cette migration illégale. Ils ont alors naturalisé de nombreux migrants déjà présents sur le territoire et ont renforcé, parallèlement, la sécurité de leur frontière. Au cours des dernières décennies, et notamment après les attentats du 11 septembre, le contrôle des migrants s’est largement durci.

Cependant, les mesures engagées par l’Etat américain contre les sans-papiers ont été faiblement accompagnées d’un durcissement contre les employeurs des étrangers illégaux. Ainsi, face à une offre de travail toujours présente et attractive sur le sol américain, les migrants continuent d’affluer.

En raison d’une situation économique souvent défavorable au Mexique, c’est bien le travail et le salaire qui encouragent les mexicains à se rendre « al Norte » (*). Aujourd’hui le salaire minimum journalier au Mexique (5US$) est inférieur au salaire horaire minimal aux Etats-Unis (6US$) (Morvant–Roux, 2007).

Le départ du chef de famille vers les Etats-Unis est donc un moyen d’assurer à son foyer de meilleures ressources. Une enquête nationale sur les revenus des ménages a montré qu’en 2000, 1,2 million de mexicains (soit 5% de la population totale), recevaient de l’argent d’un parent émigré.

Cette aide étant évaluée à plus de 3000 dollars US annuel en moyenne (OCDE, 2004). La Banque mondiale évalue le montant de ces envois à près de 25 millions de dollars US pour l’année 2005. Ce chiffre ne comptabilisant que les transferts par voies formelles, les sommes envoyées sont dans la réalité bien supérieures. Pour mesurer la hausse de ces envois, ils étaient estimés à 7,5 millions de dollar US, en 2000.

En 5 ans on a pu observer une multiplication par 3 du volume des envois. La hausse des recours aux canaux formels, rendue possible par l’amélioration des services de transfert de fonds, a sans doute permis de comptabiliser une hausse aussi importante.

Toute migration possède une double face. Elle entraîne des effets sur le pays d’accueil et sur le pays d’origine. Jusqu’à présent, les pays développés, qui attirent ces populations migrantes, étaient surtout préoccupés par les effets économiques, sociaux et culturels que ces étrangers avaient sur leur société.

Désormais, il est de plus en plus courant d’associer la problématique de la migration sous l’angle du développement du pays d’origine des émigrés.

La considération des données économiques et financières des migrants place, aux yeux des grands organismes internationaux (ONU, Banque mondiale, BID…), les remesas (*) au centre des enjeux de développement. Pour le Mexique, les envois d’argent correspondent à la troisième ressource du pays. Face à cette manne financière, les attentions se sont tournées sur les possibilités économiques et sociales des remesas.

L’idéal poursuivi par les organismes internationaux étant de voir le développement des pays d’origine des émigrés, financés par ces mêmes populations. Selon la Banque mondiale les transferts d’argent ont atteint les 232 milliards de dollars dans le monde, dont 167 qui se dirigeaient vers les pays en développement. Ce montant correspond à plus du double de l’aide publique au développement. (Morvant-Roux, 2007)

Une étude transversale réalisée sur 74 pays a montré qu’« une hausse de 10% de la part des envois de fonds dans le PIB d’un pays conduit à une baisse de 1,2% de la proportion de pauvres vivant avec moins de 1$ par jour et à 2% de réduction de l’intensité ou de la gravité de la pauvreté dans le pays considéré. » (Adams et Page, 2003, citée par Penent (2005, p45) in Morvant-Roux, 2007) Les transferts de fonds sont donc d’une importance économique capitale pour les pays d’émigration.

Si les gouvernements et les ONGs entendent influer sur cette ressource il leur est nécessaire de mieux comprendre les migrants et les familles transnationales qui se cachent derrière ce phénomène de masse.

Les microbanques, qui se positionnent peu à peu en tant qu’acteurs d’intermédiation financière entre le migrant et sa famille se retrouvent devant la nécessité de comprendre les besoins de cette population, en vue de s’adapter à cette évolution. L’étude d’impact de la migration qui est à la base de ce mémoire se situe dans cette démarche.

1.2 – Les transferts de fonds des migrants : un enjeu pour la microfinance

Entre les problématiques du développement et de la migration, quelle place pour la microfinance ?

En milieu rural, il existe, entre le migrant aux Etats-Unis qui envoie de l’argent et la famille réceptrice, un espace largement inoccupé par des intermédiaires financiers. Si les villes sont relativement couvertes par des institutions financières ou des établissements de transferts, les campagnes mexicaines sont, elles, victimes d’une désertification en ce domaine. Les zones rurales, souvent isolées et mal desservies, intéressent peu les organismes privés qui préfèrent se concentrer en ville.

L’absence de point de services, l’inadéquation des produits financiers et des barrières culturelles, souvent fortes, freinent la rencontre des établissements financiers classiques avec les populations rurales et parfois indigènes. (Bouquet, 2005, BIM) « Au Mexique, une personne sur cinq seulement possède un compte en banque, et dans nombre de grosses agglomérations rurales des régions traditionnelles d’émigration, il n’y a tout simplement aucun établissement bancaire. » (OCDE, 2004)

La réalité est telle, qu’en 1995, au Mexique, moins d’un tiers des Municipes (*) disposent d’un établissement bancaire privé ou public (zones urbaines incluses) et que 95% des banques commerciales se situent dans les zones de plus de 20 000 habitants. (Bouquet E., Cruz I., 2002)

Face à cette situation, la microfinance, plus apte à travailler en milieu rural, a donc commencé à occuper cet espace.

Mais, le Mexique s’est ouvert tardivement à la microfinance. Son instabilité monétaire, peu propice à la collecte de l’épargne, la présence d’organisme de financement public en milieu rural, plus spécialisé dans le crédit agricole, et le manque d’un cadre institutionnel clair explique en partie ce retard. (Morvant-Roux, 2007)

C’est depuis les années 2000 que l’Etat tente de s’engager dans une « politique volontariste de construction d’un système non bancaire qui soit à la fois solide (objectif de protection de l’épargne) et accessible au plus grand nombre. » (Bouquet, 2005)

L’avènement du microcrédit, et de la microfinance plus globalement, laisse place à l’idée qu’une meilleure insertion dans les systèmes financiers puisse être « un puissant outil de lutte contre la pauvreté, en améliorant la capacité de tirer parti des opportunités économiques, en réduisant la vulnérabilité et en contribuant à une réduction substantielle des coûts de transaction.

D’un point de vue macro, il s’agit enfin de dynamiser le système financier formel en y injectant – à travers des produits d’épargne – une part plus importante des montants considérables que représentent les transferts d’argent.» (Bouquet, 2005) Fournir des services financiers aux populations exclues du système bancaire traditionnel est l’une des missions des coopératives et des IMF, et, pour cela, elles doivent développer des produits adaptés aux besoins des familles rurales et surtout, s’étendre vers les zones marginalisées.

L’adaptabilité des services proposés comprend aussi bien la réduction des coûts de transferts, que l’accès facilité au crédit, en passant par des produits d’épargne correspondant à leurs situations. Un effort de l’IMF pour intégrer au mieux son agence à la communauté témoigne aussi de l’importance qu’elle donne à la relation entre opérateurs et populations afin de lever les barrières culturelles.

Les zones rurales, qui sont à la fois des lieux importants d’émigration et des lieux désertés par les institutions financières présentent une scène d’intérêt pour les acteurs de la microfinance et du développement. Selon le « milieu de la microfinance », la voie qui mène les remesas vers une aide au développement passerait par l’intégration des populations rurales, et de leurs ressources, dans le système financier formel.

Si ce projet d’intégration financière concerne aussi bien le migrant aux Etats-Unis que sa famille, nous nous intéresserons ici, uniquement à la problématique des communautés rurales mexicaines. En effet, ce travail se base essentiellement sur les données empiriques des études menées dans deux communautés du Sud-est du Mexique. Ces communautés ont la caractéristique commune de se trouver dans des zones pauvres et marginalisées du pays.

Toutefois elles présentent des contextes migratoires tout à fait différents, et ce sont ces différences qui vont nous permettre d’entreprendre une analyse comparative du rôle de la migration et de la microfinance au sein de ces communautés.

* Signifie « Au nord », expression populaire pour désigner les Etats-Unis

* Terme espagnol désignant les envois de fonds des travailleurs émigrés vers leurs familles restées au Mexique

* Terme mexicain désignant l’équivalent d’un canton en France, composé de plusieurs communautés et un chef-lieu qui regroupe les fonctions politiques et administratives.

Au Mexique, l’Amucss (Association Mexicaine des Unions du Crédit du Secteur Social) est un acteur central sur les questions de microfinance. Elle a également été le commanditaire de l’enquête anthropologique qui est à la base de ce mémoire. La partie qui suit fait une présentation de l’organisme, de son histoire et de sa stratégie d’action.

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