La coopération régionale et le développement : 2 stratégies

La coopération régionale : locale, étendue et développement

4. La coopération régionale

Une tentative de développement par la coopération régionale menée dans l’Océan Indien apporte des éléments très intéressants sur de nombreux points.

Cette « coalition » concerne :

  • les Seychelles, composées d’un archipel d’une centaine d’îlots.
  • les Comores, constitués de trois petites îles.
  • l’île Maurice accompagnée de Rodrigues (petite île) plus d’autres petits îlots.
  • Madagascar, l’une des plus grandes îles du monde.
  • la Réunion.

Malgré d’énormes différences tant sur le plan géographique (taille) qu’économique (écarts importants sur le PNB), la proximité géographique et une histoire partiellement commune ont permis de tisser des liens conséquents entre ces îles.

Liens qui se sont renforcés de manière significative en 1983, quand l’île Maurice et les Seychelles mettent en place la Commission de l’Océan Indien (COI) chargée de développer une coopération générale entre ses membres, et en 1984, quand les Comores et la Réunion s’associent à cette initiative en demandant et obtenant le statut d’observateurs auprès de cette même COI dont elles deviendront membres à part entière en 1986.

Cette commission a joué un rôle d’organisme de coopération multilatérale (nous reviendrons sur ce point) générale à savoir aussi bien diplomatique qu’économique, scientifique ou culturel, dont le principal objectif était de montrer que malgré les diversités dont nous parlions plus haut, « ces îles du sud-ouest de l’Océan Indien ont une destinée commune ou du moins qu’elles ont intérêt à se forger un destin commun » (Rochoux, 1988).

Reposant évidemment sur une volonté réelle et institutionnalisée, cette coopération devait aller au-delà des seuls échanges intra-régionaux pour se concrétiser et contribuer efficacement au développement des économies de la zone ainsi créée.

Plus concrètement, il s’agit de s’attaquer au manque de compétitivité de ces îles, qui s’explique notamment par la faiblesse de leurs exportations de produits manufacturés, et se traduit donc par un déséquilibre de la balance commerciale entraînant des problèmes cruciaux de devises et un manque à gagner considérable en matière de production, de revenus et d’emplois.

Deux stratégies sont alors envisagées :

  1. La coopération « locale », consiste à intensifier les échanges industriels intra-régionaux.
  2. La coopération régionale « étendue » consiste à former finalement un pôle régional de compétitivité industrielle capable de participer avec succès aux opérations sur le marché international (d’où le terme « multilatérale »).

4.1. La coopération locale

Nous référant aux différentes explications des problèmes économiques rencontrés par les petites économies isolées (exposés dans les sections précédentes), les avantages qui pourraient découler de cette stratégie sont évidents.

La multiplication des échanges intra-régionaux permettra aux membres du « consortium », d’une part de bénéficier davantage d’économie d’échelle puisque cela revient en quelque sorte à augmenter la taille du marché (et donc la demande), chaque île voyant alors ses « quasi-exportations » (il s’agit quand même d’échanges à l’intérieur de la zone) augmenter dans certains domaines.

Nous avions effectivement montré que la trop petite taille de certains marchés, insulaires notamment, et leur isolement géographique provoquaient (du fait des coûts de transport induits par la recherche d’un plus grand marché) une limite rapidement atteinte des rendements croissants.

Ce nouveau marché aura des effets de relance des productions locales, donc des emplois, pouvoir d’achat, bref, « coup de fouet » pour l’économie locale.

D’autre part, ces échanges intra-zone viendront limiter les importations (extra-zone) et donc augmenter les retombées locales des effets positifs engendrés par les exportations selon le phénomène exposé au cours de la présentation de la théorie de la base.

Il y aura une réinjection des devises extérieures dans l’économie locale plutôt que dans des importations trop importantes.

Là aussi, on assistera à une augmentation de la demande des îles de la zone et donc au développement économique de chaque île dans des domaines respectifs pour satisfaire ces nouveaux besoins issus de la volonté de diminuer autant que faire se peut son approvisionnement extra-zone, on parlera « d’import-substitution ».

Bien sûr, il peut paraître choquant de vanter les mérites des échanges intra-régionaux en considérant, pour une même île, les ventes vers une île voisine comme exportations (et d’en tirer les profits en termes de mécanismes économiques) alors que, dans le même temps, les achats effectués entre ces mêmes îles ne sont pas, eux, considérés comme importations (et d’en tirer de nouveau les effets avantageux démontrés par quelque théorie).

Sauf, si la Commission s’emploie à organiser un système d’échange facilité par une réglementation particulière des transports entre ces îles qui aurait pour effet de rapprocher réellement les territoires à travers une forme de « continuité territoriale ».

Ainsi, s’agissant de manière plus concrète d’une seule et même zone, les ventes intra-zone considérées ou non comme exportations auront tout au moins l’avantage d’exister ; donc zone plus grande égale marché plus grand, égale rendements croissants plus importants et moins limités.

De même, les achats intra-zone considérés ou non comme importations auront en tous cas permis une réinjection dans l’économie de la zone.

Cependant, il faut souligner que les obstacles en termes d’échanges intra-régionaux auxquels a dû faire face la Commission de l’Océan Indien étaient bien sûr existants et relativement lourds à effacer.

Il s’agissait notamment :

  • D’obstacles tarifaires, avec des tarifs douaniers discriminatoires, ou simplement prohibitifs, 600% sur certains vins à Maurice par exemple.
  • D’obstacles non tarifaires avec des contingentements à Maurice ou à la Réunion surtout.
  • D’obstacles financiers avec l’absence de monnaie et surtout le manque de devises convertibles ou de lignes de crédits correspondantes.
  • D’obstacles en matière de communication avec l’absence de téléphone automatique, le coût du télex, la rareté de certaines liaisons aériennes, la difficulté et le coût des liaisons maritimes.
  • D’obstacles relatifs à l’information commerciale.

« On remarque que ces entraves au commerce intra-régional doivent souvent être rapprochées du cloisonnement général des économies de la zone, cloisonnement hérité d’une histoire coloniale » (Rochoux, 1988).

« En l’absence d’un cadre juridique, le commerce intra-régional n’a guère évolué durant la période coloniale, et même depuis l’indépendance des Etats du sud-ouest de l’Océan Indien.

Ces derniers n’ont pu ou voulu, à ce jour, modifier dans une mesure appréciable un système commercial traditionnel visant à satisfaire les besoins et les intérêts des anciennes métropoles, souvent au détriment des leurs » (Bhundun, Montocchio, 1984).

La Commission n’aura obtenu dans le domaine de la promotion du commerce intra-régional, que de faibles résultats. Les effets d’élargissement de l’espace économique à l’ensemble de la zone ont bien été atteints, mais le marché, certes plus vaste, qui en a découlé n’a pas pris assez d’ampleur pour déclencher dans la zone un développement économique significatif.

Rappelons qu’il concernait alors à peine un peu plus de 11 millions d’habitants dont le PNB (par habitant) était pour le début des années 80 inférieur à 600 dollars par an, ce qui explique un pouvoir d’achat très faible et tous les obstacles déjà exposés liés à l’étroitesse du marché des petites économies isolées.

Les besoins régionaux existent mais ils sont limités et surtout ils ne sont pas toujours solvables.

De ce fait, des opérations tournées exclusivement vers leur satisfaction ne peuvent qu’avoir des effets extrêmement réduits sur le développement des économies de la zone.

4.2. La coopération régionale « étendue »

Dans une toute autre optique, l’alliance entre les îles préconisée aura pour objectif d’augmenter la compétitivité de l’ensemble de la zone ainsi créé face aux concurrents du marché international, en termes plus crus :

« La coopération régionale ne doit pas viser par le commerce inter-îles à l’exploitation de nos misères réciproques mais à l’union de nos forces pour attaquer les marchés des pays riches en dehors de la zone Océan Indien » (De Chateauvieux, 1984).

Sans vraiment remettre en cause le bien fondé de l’import-substitution qui fait circuler les moyens financiers à l’intérieur de la zone, on attache alors plus d’importance à l’obtention « d’argent frais », de ces devises extérieures qui seules permettent d’alimenter l’économie interne de façon croissante et non plus stagnante.

Retombant alors dans le schéma de la zone isolée désireuse de se développer, il s’agira de tenir compte de la demande externe afin de tirer les avantages d’une présence sur le marché international par le biais d’exportations, tout en gérant les capacités de la zone.

C’est à dire utiliser les potentialités de production respectives disponibles des différents membres insulaires : matières premières, savoir faire, main-d’oeuvre, tout en « respectant » ces facteurs de production. Certaines ressources naturelles pouvant être éphémères si elles ne sont pas assez choyées.

Le pôle de compétitivité de la zone sera bien sûr constitué des différents atouts dont dispose chaque participant, il faudra utiliser toutes les potentialités rencontrées dans la zone.

Cela permettra alors un élargissement de la capacité d’exportation, aspect non négligeable d’un éventuel développement quand on connaît l’importance de la diversification des produits que l’on est susceptible de proposer sur le marché.

C’est en quelque sorte le rassemblement des potentialités particulières des différentes îles qui va créer un pôle de compétitivité important pour la zone tout entière, d’où coopération.

« Les pôles de compétitivité sont des sous-ensembles du système productif, composés d’entreprises qui ont acquis des positions dominantes dans la concurrence nationale et internationale » (Aglietta, Boyer, 1982).

Il faudra examiner dans toute la zone ce qui se fait, ce que l’on sait faire, et ce que l’on peut faire tant au niveau du marché local qu’au niveau du marché à pénétrer. Un schéma résume assez clairement cette stratégie de coopération régionale étendue :

stratégie de coopération régionale

Les actions nécessaires à la mise en oeuvre de cette stratégie sont sensiblement les mêmes que celles nécessaires à la réalisation d’une coopération régionale « locale ».

Il faudra agir sur les comportements des acteurs économiques et créer des infrastructures adéquates, en passant par exemple par l’établissement d’une zone franche, de codes d’investissements, d’organisation des transports régionaux et toute autre action visant à améliorer la coordination des efforts respectifs.

Là aussi, le rôle de la Commission sera difficile car elle devra laisser les acteurs économiques locaux décider des créneaux qu’ils estiment judicieux de favoriser pour participer activement au développement de la zone en y apportant leurs meilleures compétences.

Ils sont en effets les plus à même de juger de leurs propres potentialités.

Mais la Commission doit également veiller à ce que les efforts consentis pour favoriser le développement de la zone ne soient pas détournés au profit de projets ne concernant que certaines îles et peu bénéfiques à l’essor de la zone dans son intégralité.

Il y aura donc de la part de la Commission un premier temps de non-ingérence dans les choix des décideurs locaux, puis, une intervention d’appui consistant à donner accès pour l’île en question aux avantages mis en place dans la zone, si les décisions sont approuvées.

Elle aura donc évidemment un droit de regard sur les raisonnements et conclusions proposées par les locaux.

Enfin, un rôle permanent d’assistant et d’intervenant, ne serait-ce que sous forme d’observateur, permettra, par un contrôle constant, de s’assurer de la bonne utilisation, de la bonne gestion par les locaux de leurs outils.

4.3. Prolongements de la coopération inter-îles

Certaines formes de collaboration entre petites économies insulaires vont encore plus loin dans leurs intentions puisqu’elles cherchent parfois à mettre en oeuvre une véritable stratégie d’ouverture internationale, c’est à dire reposant presque essentiellement sur l’obtention d’un rôle essentiel qu’elles devront jouer sur les échanges internationaux en se positionnant comme un passage, sinon obligé, du moins préférentiel, en maillon de la chaîne des échanges entre les pays en voie de développement et les pays industrialisés.

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La coordination nécessaire entre les petites économies insulaires concernées a, dans un tel cas, une importance exceptionnelle. Chaque compétence sera utilisée tantôt pour approvisionner le marché local, tantôt pour pénétrer le marché industriel, tantôt pour alimenter le marché des pays en voie de développement.

Cela à la fois par l’utilisation des ressources naturelles et facteurs de production locaux, par le savoir faire en matière de transformation de produits bruts issus des pays en voie de développement, et aussi par la capacité à transformer des produits semi-finis industriels en produits finis.

L’organisation, la coordination des potentialités et des efforts à mettre en commun relève alors quasiment du savoir faire des fourmis.

Cette forme de spécialisation internationale se présenterait ainsi :

L’organisation, la coordination des potentialités

Conclusion

« L’analyse de l’évolution récente du commerce extérieur des petites économies insulaires indique que malgré leur faible dimension, ces pays disposent de plusieurs options de spécialisation internationale.

Dès lors, il convient d’adapter l’analyse économique à leur spécificité et d’éviter le recours à des références systématiques aux théories générales de la division internationale du travail.

En effet, les stratégies d’exportation mises en place par un certain nombre de petits pays insulaires prouvent que des spécialisations internationales notamment régionales peuvent exister tout en étant adaptées aux exigences propres du développement intérieur de ces pays » (Crusol, Hein, Vellas, 1988).

Conclusion du chapitre II

La dernière citation exprime assez bien ce que nous voulions démontrer dans ce chapitre en y exposant les spécificités des petites économies isolées et leur répercussion sur les mécanismes et phénomènes économiques.

Aucune des difficultés rencontrées par ces petits espaces ne semble insurmontable ou en tout cas ne s’oppose à l’idée d’un développement basé sur le tourisme.

Au contraire, les atouts dont ils disposent sont les principales qualités recherchées par le voyageur en quête de « différences » qu’elles soient culturelles ou simplement géographiques. Reste alors à tout mettre en oeuvre pour profiter de ces divers avantages.

Les erreurs pouvant provenir des particularités de l’activité touristique ne semblent pas plus difficiles à éviter, pourvu que l’on respecte certaines règles naturelles vecteurs de cohésion et donc de performance de la politique entreprise.

Insistons de nouveau pour étayer nos conclusions sur l’importance du « service » dans tout produit proposé et sur l’impérieuse nécessité de l’adhésion de la population dans tout projet envisagé.

Rappelons enfin que tous ces éléments peuvent amener à diverses formules de développement qu’il soit mené de manière « autonome » ou en « coopération » avec d’autres espaces, pourvu, une fois de plus, qu’il soit adapté à la situation et au milieu qu’il vise à contenter.

La dernière citation constituera également une transition vers le chapitre suivant, qui ouvre notre deuxième partie.

Celle-ci aura pour ambition de proposer une stratégie de développement insulaire basée sur le tourisme et tenant compte des réflexions, constatations et conclusions issues des recherches effectuées et exposées jusqu’ici.

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Tourisme et Développement Régional
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