Le contrôle budgétaire face à différentes attentes externes

Le contrôle budgétaire face à différentes attentes externes

Le budget est un outil privilégié du contrôle de gestion, vis-à-vis duquel il assume de nombreuses fonctions de contrôle interne. Mais il vise aussi à préserver les relations de pouvoir existantes.

Il représente ainsi un enjeu politique entre les acteurs internes et externes. Dans cette fonction, il peut servir de lien informationnel avec l’environnement de la firme.

2..1. Influences externes sur le contrôle budgétaire

A la suite des travaux d’Argyris (1952,1953) et de March et Simon (1958) (1), la littérature en théorie des organisations s’est intéressée aux notions de prise de décision et de coordination dans les grandes entreprises complexes évoluant dans des environnements incertains. Le budget est alors perçu comme un dispositif simplificateur de la prise de décision, un écran contre l’incertitude.

Pour le courant de la contingence les pratiques organisationnelles sont ainsi dépendantes de variables telles que la taille, l’incertitude environnementale et la technologie (Covaleski et al., 2003). Pour se développer les entreprises ont besoin de ressources externes, en échange de leurs apports, les partenaires externes vont formuler des demandes et exercer des pressions sur l’entreprise (Filleau et Marques Ripoull, 1999).

Les systèmes comptables et de gestion vont s’adapter à ces exigences externes : ils vont donc dépendre des circonstances spécifiques dans lesquelles se trouve l’organisation (Otley, 1980). Les changements de l’environnement économique et réglementaire ont une répercussion sur les dispositifs comptables et de gestion.

La création de la communauté européenne et la globalisation des marchés économiques et financiers ont entraîné la nécessité d’une homogénéisation du langage des comptes.

Les enjeux de l’harmonisation comptable internationale sont « non seulement économiques mais aussi politiques et sociaux » (Colasse, 2000). Les normes sont marquées par l’importance qu’elles accordent aux échanges économiques et aux marchés boursiers. L’investisseur devient le destinataire privilégié de l’information, car le marché est considéré comme la source principale de financement.

La comptabilité sert cette demande en fournissant l’information qui rend compte d’une manière précise et économique des performances financières de l’entreprise (Raffournier, 2000).

Mais les partenaires de l’entreprise constituent un ensemble hétérogène, aux demandes diversifiées. Ainsi, pour Kang et Sorensen, (1999), la théorie de l’agence est insuffisante à expliquer l’influence des actionnaires sur la firme, car elle considère l’actionnariat comme un groupe homogène et postule que la pression des propriétaires sur l’organisation est d’autant plus forte que leur part dans le capital est importante, ce qui n’a pas été vérifié de manière empirique.

Pour les auteurs, des types d’actionnaires variés vont générer différentes pressions politiques. En effet, plusieurs sources de pouvoir peuvent être mobilisées par les détenteurs de capital pour influencer l’organisation et sa gestion.

L’autorité formelle est inhérente au droit de vote qui permet aux actionnaires de désigner les membres des organes de direction et de participer aux décisions majeures L’influence sociale émerge des relations suivies avec les dirigeants ou les employés de la firme. Elle s’acquiert essentiellement dans le cas d’un actionnariat stable et impliqué.

Enfin certains actionnaires détiennent aussi un pouvoir d’expertise – sous forme de compréhension approfondie de la firme et de son environnement – généralement acquis en participant aux organes de direction. Enfin, selon les auteurs, certains fonds de pension ont même utilisé les médias ou fait pression sur le gouvernement pour influencer les managers de la firme.

Sponem, (2004), s’intéresse à l’impact de la structure du capital sur l’outil de gestion. Il met en exergue l’existence d’une relation entre le type d’actionnariat et les pratiques budgétaires. L’auteur fait ressortir cinq groupes d’entreprise ayant des styles budgétaires différenciés.

Pour expliquer la diversité de ces pratiques et notamment leurs causes, l’auteur s’intéresse alors aux budgets analysés dans leur contexte. Un certain nombre de déterminants sont abordés, qu’ils soient internes : taille, technologie, décentralisation, stratégie, origine professionnelle des dirigeants, ou externes : environnement, appartenance à un groupe et type d’actionnariat.

P1: les pratiques de gestion prévisionnelle répondent à des contraintes externes

La théorie de la contingence offre une explication aux liens que l’entreprise entretient avec son environnement et à la variété des systèmes de comptabilité de gestion observés dans la pratique. Mais ce courant n’explique pas pourquoi certaines pratiques vont faire plus que répondre à la demande.

La recherche d’efficience n’est pas suffisante pour comprendre pourquoi les acteurs vont se conformer à des modes de fonctionnement externe à la firme et pas forcément en ligne avec la gestion interne. Ainsi, l’appartenance à un groupe, les types de relation avec le groupe et le type d’actionnariat sont plutôt des composantes de l’environnement institutionnel (Sponem, 2006)

2.1. Le budget dans une quête de légitimité

Pour Covaleski et Dirsmith, (2003), les études qui ont été menées sur le budget proviennent de perspectives théoriques variées et montrent sous quels aspects différents, cet outil améliore l’efficience de l’organisation.

Certaines recherches sur le budget en sociologie se sont focalisées sur les conflits d’intérêts entre les individus de l’organisation et ont montré que cet outil de gestion favorise l’exercice du pouvoir au travers de routines et de procédures techniques apparemment neutres.

Le budget sert les intérêts de la coalition dominante. Mais ces différentes approches, quoique sous des aspects différents, sont toutes orientées vers la gestion interne de la firme. D’autres auteurs remettent en cause les approches classiques et mécanistes des budgets.

Les chiffrages budgétaires confèrent une objectivité et une rationalité qui ne seraient qu’apparentes (Hayes, 1983, Hopwood, 1984) (2). Le budget serait ainsi un mécanisme de négociation politique en vue de résoudre des conflits d’intérêts internes à la firme.

De la même façon Barley et Kunda (1992) soutiennent que les pratiques de gestion sont influencées par l’idéologie dominante qui n’est pas forcément axée sur la rationalité.

A des périodes de pratiques rationnelles caractérisées par un contrôle fondé sur une expertise technique succède une phase normative qui repose sur des valeurs partagées et l’implication des acteurs (3). Une technique de gestion est donc porteuse des règles et des conventions, c’est-à-dire des institutions, de la société qui l’a vu naître.

Mais certaines pratiques peuvent s’institutionnaliser – comme par exemple le budget, qui véhicule l’image d’une gestion maîtrisée – alors même que les fondements idéologiques qui ont donné lieu à leur naissance ont disparu. Il apparaît alors un décalage entre les aspects techniques de l’outil et les attentes de la société dans laquelle il est encastré (Berland, 1999a, p89).

De nombreuses études montrent aujourd’hui que les comportements organisationnels sont généralement le reflet des pressions institutionnelles, même si les pratiques de gestion sont nées dans le cadre d’une rationalité technique et économique.

Les facteurs cognitifs et culturels, mobilisés par des organes de régulations, des organisations leaders ou la société en général, jouent un rôle moteur dans l’évolution des structures et des pratiques de la firme (Desreumaux, 2004).

Notre démarche s’inscrit dans la théorie néo-institutionnelle car nous cherchons à voir comment l’organisation utilise le contrôle budgétaire dans sa quête de légitimité.

Théorie néo-institutionnelle et contrôle budgétaire

contrôle budgétaireLa théorie néo-institutionnelle s’intéresse au comportement de l’organisation en référence à son environnement institutionnel. Meyer et Rowan, (1977), dans leur article fondateur posent que les organisations adoptent les pratiques et les formes dominantes de leur environnement institutionnel.

Le terme d’environnement institutionnel est caractérisé par des normes, des règles et des valeurs. En subissant des contraintes de même type, les organisations tendent à adopter, ou se voient imposées, des structures et des modes de fonctionnement homogènes, qui deviennent des modèles institutionnalisés (DiMaggio et Powell, 1983).

Ce processus qualifié d’isomorphisme correspond à l’homogénéisation des formes organisationnelles et des pratiques et procédures de gestion au sein d’un champ organisationnel. Celui-ci est composé de sociétés évoluant dans des domaines d’activité proches. L’organisation serait ainsi soumise à deux environnements distincts, l’un institutionnel, l’autre technique, qui génèrent des demandes contradictoires vis-à-vis de l’organisation.

En effet l’adhésion aux règles institutionnelles, dans une recherche de légitimité, va souvent à l’encontre de la notion d’efficience, basée sur la coordination et le contrôle des activités (Meyer et Rowan, 1977).

Pour ces auteurs, certaines activités seraient ainsi réalisées dans un but cérémoniel, afin de donner une apparence de comportement rationnel et ainsi de légitimer l’organisation. Mais les exigences de l’environnement institutionnel peuvent être en conflit avec les demandes techniques centrées sur la coordination et le contrôle interne.

Pour résoudre cette incompatibilité, les organisations vont renoncer à maintenir l’alignement entre structures et activités et vont mettre en œuvre un phénomène de « découplage ». Meyer et Rowan (1977) soutiennent que les structures formelles qui répondent aux mythes institutionnalisés diffèrent de celles centrées sur l’efficience.

La comptabilité, comme le dispositif de contrôle, n’est pas une simple technique mais participe « à la construction de la réalité sociale et organisationnelle » (selon Hopwood) (4). L’entreprise cherche à se doter des systèmes de contrôle qui sont fonctions de ses choix stratégiques et des demandes de l’environnement institutionnel (Abernethy et Chua, 1996).

Plusieurs études de la littérature rendent compte de ce phénomène ; ainsi le budget est une forme d’isomorphisme coercitif que les gouvernements exigent, pour légitimer la gestion de l’entité, en vue de l’attribution de financement public (Di Maggio et Powell, 1983) ; de la même façon, les filiales vont adopter les modes de contrôle de la société mère (Meyer et Rowan, 1977).

Le budget, telle la comptabilité, est un langage commun et légitimant qui tend à reproduire et renforcer les attentes sociétales. (Covaleski et Dirsmith, 1988a et 1988b)

Réciproquement, les croyances, les règles et les conventions culturelles de l’environnement façonnent les buts et modes de comportement et de gestion des organisations. Sponem (2004, 2006) fait ressortir que la mise en place du contrôle budgétaire répond à une recherche d’efficience mais surtout à une pression institutionnelle.

L’étude de Covaleski et Dirsmith, (1986), montrent que l’image externe de l’action rationnelle a été intégrée en interne et a influencé les pratiques et les comportements des acteurs de l’organisation et donc que la notion de découplage ne s’est pas vérifiée.

Un même dispositif budgétaire peut rendre compte de l’efficience et permettre de se légitimer. Dambrin, Lambert et Sponem (2005) en étudiant l’influence d’un changement de l’environnement institutionnel sur le contrôle de gestion, se demandent si l’adoption de nouveaux modes de gestion est uniquement cérémonielle ou si elle implique des pratiques nouvelles.

P2 : certaines pratiques budgétaires sont découplées des activités opérationnelles quand les exigences institutionnelles ne sont pas perçues comme utiles à la gestion de la firme

Les différents courants de recherche sur les organisations et leur fonctionnement nous informent sur la rationalité technico-économique des pratiques organisationnelles. Le budget est un outil central en contrôle, il s’insère donc parfaitement dans une démarche de gestion interne.

Cependant pour les néo-institutionnels, la rationalité porte plus particulièrement sur la conformité aux exigences institutionnelles ce qui assure soutien social et survie de l’entreprise (Meyer et Rowan, 1977).

(1) Cité par Covaleski et al., 2003

(2) Cités par Covaleski et Dirsmith, 1986

(3) Cité par Berland, 1999a, p 100

(4) Cité par Berland, 2005

Les organisations adoptent des pratiques et des comportements pour se légitimer vis-à-vis de leur environnement. Le budget n’est pas uniquement un outil de gestion interne, il répond à un besoin d’information et de contrôle de différentes parties prenantes.

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top