Recherche universitaire sur la musique et l’enseignement

II. Méthodologie : des idées en action, des élèves en intelligence

1. Choisir une méthode

Elaborer un travail de recherche c’est avoir recours à des méthodes, celle que l’on utilise en sciences humaines, celles que d’autres chercheurs ont utilisé, et défini, avant nous dans leurs propres expériences, dans leurs propres travaux de recherche.

Il s’agit de méthodes dites qualitatives, ceux sont des méthodes de recherche utilisées en sciences sociales comme en sociologie, en ethnologie, ou en anthropologie.

Ces méthodes laissent délibérément de côté l’aspect quantitatif pour gagner en profondeur dans l’analyse de l’objet d’étude.

En sciences humaines, on distingue quatre grands types de méthodes :

  • la recherche documentaire
  • l’observation
  • le questionnaire
  • l’entretien

Chacune de ces méthodes correspond à un type de questionnement, et seuls le questionnaire et l’entretien sont des méthodes de production verbale. Ces techniques représentent une situation interlocutoire particulière qui produit des données : ou corpus -le questionnaire provoque une réponse et l’entretien fait construire un discours.

L’observation (participante ou non) permet l’immersion sur le terrain. Elle accorde un rôle important mais non exclusif à l’observation directe ou à l’enregistrement in situ des échanges verbaux. L’observation implique la participation, c’est-à-dire la présence de l’observateur, elle n’est pas que visuelle, elle est aussi auditive. Elle sous-entend la participation à la vie sociale, culturelle, rituelle etc. afin d’observer, écouter, et comprendre.

2. poser une question et y répondre

Poser une question bien définir les limites

↓ bien  élaborer les détails

Creuser utiliser des concepts et définitions clairs

↓ utiliser un outillage approprié et explicite

comparer avec les connaissances qui existent

Y répondre avec un texte clair et une structuration logique

Effectuer un travail de recherche, c’est donc d’abord choisir une méthode pour tenter de répondre à une question de départ ou hypothèse.

Le choix de la méthode dépend également de son terrain de recherche.

L’expression « faire du terrain » (fieldwork) est certainement l’un des impératifs les plus catégoriques de la discipline (B. Pulman,)[i], celle d’un chercheur, d’un anthropologue, d’un ethnologue, ou d’un sociologue.

[i] Bertrand Pulman,  Pour une histoire de la notion de terrain , in Gradhiva 5, 1988

Il s’agit d’une démarche empirique.

Pour une question de recherche donnée :

Conceptualisations

Artefacts / interventions (designs)

Mesures

Analyse et conclusion

Conceptualisation : on explicite les questions, fait des hypothèses, établit un cadre d’analyse, définit des critères d’analyses.

Artefacts : développement de procédures, implantations, matériaux d’expérimentations.

Mesures : on va voir sur le terrain (selon échantillonnage)

Analyse et conclusion : on met en rapport mesures, analyses de mesures (statistiques, qualitatif etc.) avec les questions de recherche et la théorie.

La recherche est  donc une interrogation qui utilise une méthode qui appartient aux sciences humaines. Elle investit un terrain qui devient une rencontre.

3. Un terrain : des acteurs et des activités

Le terrain de recherche joue un rôle important. Il permet de rencontrer ses acteurs et de se rendre compte de leurs activités.

Il fait parler de lui parce qu’il est difficile de décrire les Autres sans expliquer ce qui sert de base à cette description, sans indiquer à un moment ou à un autre, comment on a « recueilli », « transcrit », « compris », les faits.

La recherche s’intéresse au fait social et s’interroge sur les phénomènes sociaux.

Elle s’articule autour du rapport entre réalité et représentation.

Il n’existe pas de recherche qui ne soit pas en même temps « action ».

La pratique de recherche devient ainsi une pratique réflexive[ii].

[ii] ZAY D. & DAY C. (1998). Conceptualising Reflective Practice through Researchers/Practitioners Partnerships :A Discussion of Dilemmas/Conceptualiser la pratique réfléchie en partenariat chercheurs et praticiens :Discussion de Dilemmes. Communication au séminaire du sous-réseau F du TNTEE à l’université de Lisbonne, 16-18 janvier 1998.

Le sujet de l’action et la vie quotidienne deviennent les points de départ de l’analyse sociologique selon un paradigme constructiviste et interactionniste.

Le « virage » épistémologique est évident et très important pour la théorie et la méthodologie de la recherche sociale.

4. Exploration textuelle : des idées en action

a. Deux idées et bien des débats

Observer la relation entre une possible maturité de l’élève quant à son travail et l’enseignement artistique c’est observer un phénomène à deux têtes : une double éducation fondée d’une part sur les exigences habituelles de l’enseignement général en classe primaire, d’autre part sur l’enseignement musical. Car si la place de l’art à l’école fait débat, la place de la musique pose des problèmes spécifiques.

Tout d’abord, la musique a son propre système d’enseignement, lequel est l’objet de débat à la fois esthétique et pédagogique ; ensuite parce que si l’éveil musical est inscrit au programme de l’enseignement primaire depuis longtemps,  il a été souvent constaté qu’il était plutôt délaissé par les enseignants (plus délaissé semble-t-il que la pratique plastique) ; cette négligence s’inscrit à la suite de l’école maternelle qui use intensément du chant, de la danse et d’autres formes d’éveil musical (éveil au rythme par exemple).

En terme de contexte, on parvient avec ces deux choses, musique et enseignement, au carrefour de deux contextes de réflexion vastes et mouvants : la pédagogie et l’esthétique.

b. Observer des idées

Ainsi qu’on le verra plus loin, la musique et son enseignement convoquent simultanément, parfois de façon très confuse, un double débat pédagogique et esthétique : par exemple, les débats autour de l’enseignement de la musique dans les conservatoires, sur lesquels on reviendra, mettent en cause des pratiques d’enseignement elles-mêmes, tout autant que  les présupposés et les conséquences esthétiques qu’elles impliquent.

Une part de notre observation se porte donc sur l’observation de concepts en mouvements, mobilisés à des fins diverses au cours des débats susmentionnés : enseignement, musique, enseignement de la musique pour chercher les connexions qui existent entre elles.

Il s’agira de se réapproprier les états antérieurs de ces mouvements et de ces débats, par exemple dans les idées, les textes et les déclarations qu’ils ont suscités, « dans un travail qui tiendrait lieu de reformulation, d’explicitation, d’interprétation, ou de théorisation du matériau à l’étude »[iii].

[iii] Pierre Paillé, Alex Mucchielli, L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales, Armand Colin, 2003

Tantôt en éclairant les contextes de production de ces débats et des idées, tantôt en les évacuant (et souvent en les éclairant pour en évacuer ce qui ne nous concerne pas directement ici) pour reconstruire ces concepts dans la perspective de notre travail.

Ainsi, quand on évoquera plus loin  une déclaration  de la Convention sur l’utilité de la musique à la nation, on oubliera ce qui participe de la fièvre révolutionnaire, pour n’en retenir que cette utilisation, cette mobilisation à des « fins supérieures » que l’on retrouve ailleurs.

c. L’esthétique et la musique

La place de la musique dans la pédagogie tient une place importante parmi les plus anciennes réflexions sur la pédagogie. Que ce soit chez Platon ou les rhéteurs médiévaux, la musique et l’enseignement considérés ne sont pas les mêmes que ceux qui peuvent se déployer au sein d’une école primaire contemporaine, il n’en demeure pas moins que suivre l’évolution de ces concepts, comme l’évolution de  leurs relations nous guideront vers une identification de l’état de cette relation et mettra à jour des concepts et des facteurs toujours actifs, mais peut-être transformés au point d’être devenus méconnaissables.

Par ailleurs, on verra comment la réflexion sur la place de la musique au sein de l’éducation, se double d’une réflexion sur la place de la pédagogie au sein de l’éducation musicale.

Il ne s’agit donc pas seulement par cette exploration conceptuelle de préciser les outils théoriques, il s’agit de « s’engager du côté de la fabrication des données »[iv] en considérant la dimension textuelle et théorique de cette fabrication comme un champ dynamique dont les forces en présence peuvent fournir une vérification théorique de notre hypothèse.

Il s’agit (en reformulant notre question initiale) de se demander quelles compréhensions de la réussite scolaire, de la pratique musicale et de son enseignement se construiraient de façon à se connecter pour modéliser un soutien de la réussite scolaire de l’élève par l’apprentissage de la musique.

sciences sociales5. La compétence comme outil

L’objet de la recherche « La musique adoucit l’école » ne met pas seulement en relation l’enseignement scolaire et l’enseignement musical, il se demande aussi par quels chemins conceptuels l’un peu étayer l’autre et interroge une « certaine réussite », dont la perception intuitive fut à l’origine de cette recherche, quand je me demandais brutalement : « un dispositif qui intègre la musique rend-il les élèves meilleurs ? ».

« Une façon d’aborder un travail de recherche en sciences sociales est d’énoncer le projet sous la forme d’une question de départ. Par cette question le chercheur tente d’exprimer le plus clairement possible ce qu’il cherche à savoir, à mieux comprendre et pourquoi pas me dis-je à confronter.

La question de départ servira de premier fil conducteur à la recherche et doit présenter des qualités de clarté, de faisabilité et de pertinence ».[v] Au-delà donc de la brutalité, de l’imprécision et des pièges de cette question, elle avait donc le mérite de poser les termes essentiels de ma recherche.

Mais préciser la question de la réussite est en soi une véritable difficulté, le sujet est vaste, complexe, ouvert à de nombreuses controverses. La réussite peut être exprimée par « de bonnes notes » mais encore faut-il y introduire, à côté d’une réflexion docimologique, la notion de progression ; et cela passerait encore à côté des notions d’éveils et d’épanouissement qui semblent, quand on parle d’éducation musicale et donc de pratique culturelle, incontournables.

Une façon d’aborder la notion de réussite ou d’échec à l’école, serait de considérer qu’être « meilleur » à l’école serait de répondre au mieux aux objectifs de l’école : le meilleur élève est celui qui répond le mieux à ces objectifs.

C’est donc une façon de reporter la question de l’élève sur l’école elle-même en demandant quels sont ces objectifs. Mais la mission assignée à l’école par la société est immense, et même si les mots de Condorcet[vi] sonnent un peu positivistes à nos oreilles, il y a fort à parier qu’on demande encore à l’école de « Cultiver enfin dans chaque génération les facultés physiques, intellectuelles et morales, et par là contribuer à ce perfectionnement général et graduel de l’espèce humaine, dernier but vers lequel toute institution sociale doit être dirigée. »

[iv] Stéphane Beaud  et Florence Weber, ibid., p23.

[v] Raymond Quivy et Luc Van Campenhoudt,  Manuel de recherche en sciences sociales , 2005, p35

[vi] Condorcet, Rapport sur l’Instruction publique, présenté à l’Assemblée nationale législative des 20 et 21 avril 1792

En fait, c’est le ministère lui-même qui nous fournit une piste pour sortir de l’inextricable labyrinthe des objectifs scolaires : dans un contexte de lutte contre l’échec scolaire et de ce qui est vécu comme une « crise scolaire » ou, peut-être comme l’introduction d’une crise sociale au sein du monde scolaire, le ministère de l’éducation a souhaité en 2005 repréciser les objectifs de l’enseignement primaire en établissant le socle commun de connaissances et de compétences.

La notion de compétence, investi par l’univers de la formation professionnelle « renvoie aux trois niveaux de langage. Il fait partie du langage objet et du langage théorique des sciences psycholinguistiques et psychologiques.

Mais c’est comme outil qu’il développe son emprise dans le domaine de l’éducation et de la formation. Il s’est imposé dans les programmes scolaires français de l’enseignement technologique, général, élémentaire ; il étend son influence dans l’approche par compétence dans les programmes québécois ; il vient d’inspirer la réforme des programmes en Belgique. C’est bien, selon l’expression de Romainville, une « irrésistible ascension »[vii].

[vii] Pierre Gillet, Pour une écologie du concept de compétence , in L’éducation permanente, n°135, La compétence au travail, 1998

C’est bien cette ambivalence ou cette polysémie du la compétence qui nous fait recourir à ce terme dans notre recherche, comme pont conceptuel entre les univers scolaire et musical ;  en le considérant, selon l’usage du ministère dans sa définition d’un socle commun de référence, comme le marqueur d’une réponse aux objectifs ministériels ; en le considérant également dans ses acceptions issues du champs de la formation ou investies par celui-ci en faisant le pari que ce champs de travail de la formation, qui s’adresse à des savoirs-faire, sera en mesure de nous offrir des connexions avec  la musique.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université Charles de Gaulle – Lille III - UFR Sciences de l’Education
Auteur·trice·s 🎓:
Djanet Aouadi

Djanet Aouadi
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master 2 Recherche - 2008/2011
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