Gestion de l’eau au niveau de l’irrigation

Gestion de l’eau au niveau de l’irrigation

Section 2 :

La gestion de l’eau après le protectorat

Le Maroc a hérité de la colonisation, la poursuite de la construction des barrages réservoirs, l’orientation du système de production vers les cultures d’exportation (agrumes, maraîchage primeur) et également le rôle grandissant des ingénieurs dans les choix technologiques.

Après l’indépendance, fut l’intervention des pouvoirs publics, marquée par plusieurs restructurations institutionnelles, la mise en place d’une politique de mobilisation et de maitrise de l’eau (politiques des barrages et d’irrigation) et l’adoption de mesures législatives et institutionnelles.

Paragraphe 1 :

Au niveau de l’irrigation

Après l’indépendance, le phénomène de l’irrigation moderne sera réintégré immédiatement (en 1958) dans le cadre de la commission spécialisée appelée « Groupe de l’Hydraulique » qui participait à la préparation du plan quinquennal 1960 – 1964.

Cette sorte de  » brain trust  » regroupait en majorité des ingénieurs, mais aussi quelques intervenants en sciences humaines et sociales[1].

Les réflexions du groupe vont déboucher sur la riche expérience de l’Office National de l’Irrigation (ONI) (1960-1966).

L’ONI est créé en 3 septembre 1960, pour administrer, de manière centralisée, les cinq périmètres irrigués nés sous le protectorat (basse Moulouya, Gharb, Doukkala-Abda, Tadla et le Haouz), avec quelques légères modifications de superficies (ainsi le gharb est plus étendu que la plaine de Beht et inclut désormais la plaine de sebou). L’ONI, se donne une mission ambitieuse, qui articule modernisation et réformes agraires.

Les principaux aspects de la nouvelle politique agricole en matière hydraulique ne sont plus considérés sous le seul angle technologique, mais sont formulés sous forme d’un programme en même temps d’économie agricole et de politiques sociales qui devaient être prioritaires.

Les distributions symboliques de terres qui eurent lieu après l’indépendance n’avaient pas corrigé réellement cette caractéristique héritée, Le melk marocain, lui, restait très morcelé, aussi le Plan quinquennal 1960-64  fait-il de cette inégale répartition de la terre une des causes principales de stagnation de la production agricole lorsque 75 % des familles rurales disposent de moins de 2 ha, il est inutile d’espérer une intensification.

L’ONI et Le Plan vont aller plus loin que la seule dénonciation de l’accaparement de la terre. Ils mettent aussi en cause la persistance de statuts fonciers traditionnels (guich, habous), et de modes de faire- valoir (khamessat, khobza, Azzaba) qui ne favorisent pas l’intensification, l’idée se fait jour de distribuer des terres, mais aussi de regrouper les agriculteurs dans des formes collectives d’exploitation.

L’ONI élabore aussi le projet de la récupération d’une partie de la plus- value créée par l’irrigation sur les terres de périmètres, de façon à mieux répartir le potentiel productif.

Le projet technique de réforme agraire présenté par l’ONI en 1963, fut suffisamment appuyé par les partis politiques pour que le pouvoir soit contraint de promulguer un texte annonçant une réforme.

C’est l’objet des directives royales du 20 avril 1965 : « il est décidé une réforme agraire profonde assurant une production agricole plus large et permettant au monde rural une participation plus directe au décollage du pays. » semblant pourtant bien engagé, le processus de réforme agraire va trainer en longueur pour finalement échouer.

Répartition des terres sur le « MELK » Marocain en 1961-1963[2]

Repartition de terres melk Marocain

L’expropriation des terres de colonisation se fait très lentement. En 1959, une loi supprime l’aliénation de jouissance perpétuelle acquise sur les terres collectives, mais cela ne concerne que 35 000ha.

[1] J.J.Pérennès, l’eau et les hommes au Maghreb : contribution à une politique de l’eau en Méditerranée, Edition karthala 1993, 646 pages

[2] J.J.Pérennès, l’eau et les hommes au Maghreb : contribution à une politique de l’eau en Méditerranée, Edition karthala 1993, 646 pages

En 1963, sort une loi d’expropriation de la colonisation officielle (250 000 ha), qui sera appliquée jusqu’au 1966. Il faudra attendre 1973 pour que soient touchées les terres de colonisation privée.

A la faveur de cette lenteur plus de 300 000 ha de terres coloniales vont être rachetées par des propriétaires marocains, citadins ou grands propriétaires.

L’Etat marocain va récupérer une autre partie de ces terres (365 000 ha), si bien que les terres à distribuer ne représentent plus grand-chose.

L’attribution des terres récupérées est également très lente : « Plusieurs indices indiquent l’utilisation de la réforme agraire comme « soupape » politique, c’est-à-dire une sorte de vanne qu’on ouvre ou qu’on ferme selon la situation politique intérieure »

Le reste des terres est géré par l’Etat dans le cadre de structures créées à cet effet :

En 1972 sera créée la Sodea (Société de  développement agricole), pour gérer les plantations d’agrumes situées en zones riches (70 000 ha environ, Situés dans le Gharb, les plaines de Fès, Meknès…).

Le souci de rentabilité commence à l’emporter sur celui de la redistribution. L’actionnariat est d’ailleurs partagé entre l’Etat et quelques grands propriétaires, dont la famille royale.

Expropriation et attribution des terres sur les périmètres[3]

Expropriation et attribution des terres sur les périmètres

En 1973 est créée une autre société d’État, la Sogeta (Société de gestion des terres agricoles), pour administrer quelque 325 000 ha de terres en bour (non irrigué) venant de la colonisation privée. Le dynamisme économique est moindre, aussi quelque 110 000 ha en seront-ils redistribués des fellahs.

Finalement, sur 100 ha de terre coloniale, 35 sont passés aux mains de propriétaires marocains déjà bien dotés, 35 sont gérés par l’Etat, et 30 seulement sont attribués à des petits agriculteurs dans le cadre de la réforme agraire.

Le rapport des forces sociales et la préoccupation de rentabilité ont donc eu raison, en quelques années, d’un projet ambitieux que l’ONI avait contribué à faire mûrir.

A défaut de réforme de fond, on fait quelques investissements agricoles à caractère social, pour éviter les troubles et limiter l’exode rural : barrages sur le Ziz et le draa, chantiers de plein emploi, allègements fiscaux pour les petites exploitations.

Gestion de l’eau au niveau de l’irrigationL’inégalité foncière subsiste donc, surtout sur les périmètres d’irrigation, où les équipements existants amplifient la différence de potentiel agricole.

Peu à peu, cependant, on observera des évolutions différenciées : ici, la grosse propriété s’amplifiera ailleurs, la micro-exploitation se développera beaucoup.

Dans les deux cas, les paysans doivent irriguer à la raie ou au calant en utilisant des siphons adducteurs qui puisent dans les canaux quaternaires.

Pour l’ONI, c’est cette impulsion de changements techniques qui aura la plus grande postérité. Quel fut le destin de l’ONI?

Ce fut une structure considérable, partiellement victime des inconvénients d’une administration centralisée et budgétivore (7 000 agents) le manque de cadres marocains n’a rien arrangé.

Les pressions politiques s’ajoutant à ces limites techniques, l’ONI voit d’abord réduire ses compétences. Le  7 mai 1965, avec la création de l’OMVA (Office de mise en valeur agricole), qui est une fusion de l’ONI et de l’ONMR (Office national de modernisation rurale), qui s’occupait du secteur traditionnel, la dissolution pure et simple sera prononcée le 22 octobre 1966, au profit d’offices régionaux de mise en valeur agricole (ORMVA), organes décentralisés ayant des ressources budgétaires propres et, en principe, une autonomie de gestion.

Aux cinq offices existants, on en ajoute alors deux les offices de Ouarzazate et du Tafilalet seront créés ultérieurement celui du Souss-Massa (en 1970) et celui du Loukkos (en 1975). Les fonctions de l’ONI non récupérées par les offices sont confiées à la direction de la Mise en valeur du ministère de l’Agriculture.

Selon le mot de Benhadi[4], l’ONI laisse un « héritage ambigu », contenant à la fois des aspects très positifs (un énorme travail d’étude qui servira beaucoup ultérieurement), des options techniques fécondes (comme Les contrats de culture ou la trame rationnelle), mais aussi un échec cuisant dans la tentative d’associer l’ensemble de la paysannerie marocaine à cette entreprise de modernisation, Benhadi conclut [5] :

L’hydraulique dans les investissements publics devient écrasante, puisque le  secteur de l’irrigation récupère à lui tout seul 2 088 millions de DH, soit 41 % de l’enveloppe globale des prévisions budgétaires du Plan. Les investissements planifiés pour l’irrigation ont augmenté de façon constante.

L’Etat marocain a fournit un effort exceptionnel pour le secteur hydraulique à partir du Plan 1968-72, en particulier pour la construction des barrages, qui aura donc mobilisé jusqu’à 400 millions de DH /an.  Le niveau de dépenses que cela impliquait est souligné par la comparaison avec les crédits alloués au reste de l’agriculture.

Les barrages construits au Maroc de 1956 à 1980[6]

Les barrages construits au Maroc de 1956 à 1980

(a) certains sont connus sous un nom illustre : Moulay Youssef pour Aït Aadel.

(b) La plupart des barrages ont des finalités multiples. On a relevé celle qui prédomine :

I = irrigation ; AEPI = eau potable en industrielle ; E = hydroélectricité

La politique des barrages lancée par Feu Sa Majesté le Roi Hassan II dès 1967 traduit la pertinence des choix stratégiques opérés en matière de développement économique et social et de valorisation des potentialités agricoles du pays à travers le développement de l’irrigation. Des résultats tangibles ont été enregistrés pour bon nombre de régions du royaume.

[3][5] Idem

[4] BENHADI (A.), « La politique marocaine des barrages », problèmes agraires au Maghreb, -Annuaire de l’Afrique du Nord-  Paris, Edition CNRS, 1976, (de 275-293 p), Vol. 14 (1397 p.)

[6] J.J.Pérennès, l’eau et les hommes au Maghreb : contribution à une politique de l’eau en Méditerranée, Edition karthala 1993, 646 pages

Alors que les eaux souterraines avaient déjà fait l’objet d’études d’évaluation approfondies et d’une exploitation avancée, les eaux de surface restaient encore une ressource faiblement valorisée.

C’est incontestablement la décision de lancement du programme national d’irrigation en 1967 d’un million d’hectares à l’horizon 2000, qui a induit la prise en compte de la notion de gestion de l’eau à l’échelle du bassin versant.

A la fin de 1998, la situation des superficies aménagées est caractérisée par l’achèvement du million d’hectares irrigués de façon pérenne comme le montre le tableau suivant :

Situation des superficies aménagées en 1998 (en ha)[7]

Situation des superficies aménagées en 1998

[7] Abdelhafid Debbarh, Mohamed Badraoui : irrigation et environnement au Maroc : situation actuelle et perspective, 2002

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Gestion sociale de l'eau au Maroc
Université 🏫: Faculté des sciences Juridiques - Économiques et Sociales
Auteur·trice·s 🎓:

Année de soutenance 📅: Mémoire de la Licence en Sciences Economiques
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