Projets éditoriaux, relations aux lecteurs plus personnalisées

Projets éditoriaux, relations aux lecteurs plus personnalisées

3) Des projets éditoriaux de plus en plus réflexifs et des relations aux lecteurs plus personnalisées: les lecteurs s’emparent des médias

La nouvelle écologie de l’information apparue avec le journalisme de lien rend le processus de formation de l’information aussi important que l’information elle-même.

« Sur le papier, le processus mène au produit. En ligne, le processus est le produit », constate Jeff Jarvis[1]. La part de l’édition d’une information, de sa mise en page, diminue à mesure que le lecteur peut naviguer par les liens vers la source directe de l’information, vers les archives présentes dans le « Web documentaire », vers les forums de discussions autour de cet article ou vers des sources complémentaires de blogueurs spécialistes ou d’autres médias.

Pour les sites pure players d’information, la disparition du bouclage donne une nouvelle envergure à des phases jusque là non-discursives de la production de l’information: la pré-publication et la post-publication de l’article. Sur Rue 89, la phase de sélection et de hiérarchisation de l’information est donc rendue visible sur le site. Le média joue le jeu de la transparence en offrant aux lecteurs la possibilité de voir et de participer à la conférence de rédaction. Lors du chat hebdomadaire entre la rédaction et les internautes qui accompagne la conférence de rédaction, ces derniers sont appelés à commenter au moyen de sondages le traitement des sujets traités la semaine passée par les journalistes[2].

Cette nouvelle forme de participation dépasse la notion d’« auteur en collectif » qui ne s’arrête que sur l’aspect collectif à l’intérieur des articles[3]. Ici, c’est plus globalement le projet éditorial qui est débattu et adopté en complémentarité avec les internautes: il s’agit d’une méthode de coproduction que les sites d’auto-publication ne peuvent pas entreprendre, et donc d’une plus-value innovante et inédite des sites d’information pure players (Rue 89 est, à ma connaissance, le seul à l’avoir entrepris à l’heure actuelle de manière aussi transparente).

[1] http://www.buzzmachine.com/2008/04/14/the-press-becomes-the-press-sphere/

[2] Conférence de rédaction du 03/07/2009, 10h25

Rue89 a-t-il bien traité la mort de Michael Jackson ?

Oui ( 43% )

Non ( 0% )

Je ne sais pas ( 57% )

http://www.rue89.com/2009/01/14/participez-a-la-conference-de-redaction-en-ligne

[3] Weissberg parle d’ « auteur en collectif » pour donner un nom aux articles de blogs qui recourent au liens hypertextes pour compléter leur information, et dont le contenu est donc à la fois dans le texte et dans les liens, Ce qui modifie le statut d’auteur sur Internet, sans le faire disparaître.

Jean-Louis Weissberg, « auteur, nomination individuelle et coopération productive », Solaris, n°7, 2001

La formation de l’information peut alors devenir une information en soi, et le média s’ouvrir à des formes de mise en abyme de son processus éditorial. L’interview de Bénabar par Pascal Riché et François Krug en est un bon exemple. Sur le site, le visuel montre une photographie de Bénabar debout dans l’allée de la pépinière de Rue 89.

Bénabar, la pépinière de Rue 89

La publication pourrait s’arrêter là, mais le lecteur peut aussi voir la rencontre de l’extérieur:

Bénabar, la pépinière de Rue 89

Une mise en scène réflexive de l’information où Rue 89 déconstruit l’information, et permet au lecteur de voir son processus de fabrication, à la manière d’un journaliste « embedded ». Si le récit journalistique n’a plus de début ni de fin, insiste Jeff Jarvis, la phase de post-publication (corrections, commentaires, suivit etc.) remet elle aussi en cause le rôle de la publication.

The new news process

L’information est désormais une matière première pour faire réagir et interagir plus qu’un produit fini. Elle est parfois complétée et corrigée dans les commentaires. Les réactions peuvent aussi faire émerger un futur sujet d’article pour le journaliste. D’où une relation de plus en plus personnalisée entre le journaliste et ses lecteurs dans le corps même de l’article. A mesure que les journalistes travaillent en coproduction avec leurs lecteurs, on retrouve une mise en scène du public visé par l’article beaucoup plus informelle et de proximité.

Une mise en scène qui ne revient pas à de la connivence se défend Pascal Riché, mais apporte de la simplicité:

« On dit plus facilement ce qu’on pense, on a plus de subjectivité même si dans le fond on ne se livre pas plus que d’autres médias. On ne va plus dire «selon un observateur» mais «je viens de voir que » : les gens ne sont pas dupes, ils vont réagir en disant «c’est qui l’observateur ?» «Ben, c’est moi ! «. Ils savent que tu es un individu comme eux avec ta subjectivité. Cela crée moins de pesanteur, on va plus vite. »

Et cela offre de nouvelles opportunités aux éditeurs. Le « making off » devient un sujet bon à publier aussi bien que le sujet fini. Rue 89 en a fait un blog, qui informe les « riverains » de l’actualité sur le site. Le créneau n’est pas exploité de la même manière par Slate et Fluctuat, mais la relation informelle avec les lecteurs est tout aussi présente dans les discussions post-publications de l’espace dédié aux commentaires.

Nous l’avons déjà abordé dans cette étude: les sites pure players ne cherchent plus à enfermer leurs lecteurs dans un espace clos mais les laissent circuler de leur site vers des sources complémentaires d’information en passant par un forum de conversation ou une plate-forme de billetterie en ligne, pour mieux les retrouver plus tard de retour sur leur site. Emmanuel Torregano évoque le double phénomène de la « synchronisation globale » et de l’ « interopérabilité horizontale » pour définir l’Internet d’aujourd’hui.

L’internaute s’inscrit à tous les services en ligne possibles et imaginables (newsletter, inscription à un fil de news selon un tag favori etc.) et reçoit des alertes à chaque fois qu’un nouveau contenu apparaît.

Le journaliste évoque le passage du Web « network-centric » à un réseau « user-centric »[4], c’est-à-dire que les flux vont de plus en plus vers les utilisateurs et moins entre les sites hébergeurs de contenu. Ainsi, il n’est pas obsolète de parler de communauté d’affinités sur le Web, même si la communauté centrée sur elle-même tend à s’effacer au profit du réseau multi-modal et décentré, où chaque individu peut retrouver la trace de son média favori quelque soit le lieu de sa visite sur Internet:

« L’affinité que l’on développe pour un service agit comme un aimant »[5].

[4] Les flux majoritaires ne sont plus centrés sur le réseau mais sur l’utilisateur

[5] Emmanuel Torregano, « La fin du Web, épisode 4 », in Electron Libre, http://www.electronlibre.info/La-fin-du-Web-Episode-4,00327?var_mode=calcul

La visibilité du média et de sa marque reste donc un enjeu majeur à l’heure de la consommation de l’information sur le Web en mouvement (depuis son Iphone, en déplacement dans un cybercafé, etc.). De là des modes d’expression plus personnalisés au sein de cette communauté où l’éditeur cherche à effacer les frontières entre les différents statuts.

Les « riverains » participent à l’information de certains blogs à l’invitation des éditeurs. C’est particulièrement le cas de la « bande du ciné » et « vos réactions ». Le premier appelle les riverains à critiquer les films sélectionnés par la rédaction, donnant lieu à un article qui résume les opinions les plus intéressantes sélectionnées par la rédaction. « Vos réactions » est une sorte de courrier des lecteurs où la rédaction sélectionne des tribunes de lecteurs ou sélectionne les meilleurs commentaires d’articles de la rédaction et leur offre un espace éditorial à part entière[6]. Rue 89 est des trois sites celui qui pousse le plus loin la participation des lecteurs, afin d’en faire une véritable marque de fabrique.

[6] http://www.rue89.com/2009/07/15/atouts-et-limites-du-systeme-couchsurfing

Ensuite, les lecteurs de Rue 89 deviennent les premiers promoteurs de la marque en réagissant à l’actualité du site, en laissant des commentaires argumentés dans l’espoir d’être publiés, en publiant des liens vers Rue 89 sur leurs espaces personnels, de Twitter à Facebook en passant par You Tube ou Daily Motion.

Une fois comprise et digérée par les éditeurs pure players, l’économie de lien n’est pas synonyme de flou éditorial et de soumission aux lecteurs, mais peut servir un projet éditorial clair en devenant une nouvelle manne de légitimité et de respectabilité face à la concurrence des sites commerciaux et des moteurs de recherche.

B – Les médias 100% Web pris dans la destruction créatrice

II – Les médias pure player: derrière le sigle commun, des projets divergents et hybrides, à l’avant-garde du renouveau éditorial de la presse en ligne

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Les discours éditoriaux des sites pure player d’information à l’heure de la culture Web
Université 🏫: Université de Paris III
Auteur·trice·s 🎓:
Emmanuel Haddad

Emmanuel Haddad
Année de soutenance 📅: Master 2 de Journalisme Culturel - 2008/2009
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