Master 2 de Journalisme Culturel de l’Université de Paris III

La Sorbonne Nouvelle

information à l’heure de la culture Web

Les discours éditoriaux des sites pure player d’information à l’heure de la culture Web:

L’exemple de Rue 89, Fluctuat et Slate.fr

Préparé par: Emmanuel Haddad

www.emmanuelhaddad.com

sous la direction d’Eric Maigret et Annick Rivoire

Année scolaire 2008/2009

Index

Introduction

I- Les journalistes Web: du désintérêt de la profession pour un sous-genre médiatique à la construction d’une avant-garde légitime et innovante

A –  Une information sans journalistes ? De l’éthique des hackers à la massification du Web 2.0: le nouveau contrat entre lecteurs et journalistes

1) De  l’esprit pionnier des hackers à la généralisation du web 2.0: naissance de la culture web

2) Les entreprises de presse face à la convergence numérique: de la fenêtre d’opportunité à l’adaptation de la profession journalistique à la culture numérique

B –  La presse en ligne, un nouveau genre médiatique ? L’évolution de la pratique journalistique sur et par le Web

1) Les journalistes Web sont-ils des « forçats de l’information »?

2) Des blogs citoyens aux journalistes blogueurs

3) Des blogs de journaliste aux médias pure players: le travail de repositionnement éditorial des médias 100% web

II – Les médias pure player: derrière le sigle commun, des projets divergents et hybrides, à l’avant-garde du renouveau éditorial de la presse en ligne

A – Evaluation des innovations des sites d’information généraliste pure players: entre mélange des genres rédactionnels et digestion des nouvelles pratiques cyberculturelles

1) Du webzine cyberculturel Fluctuat à l’éditorialisme en ligne de Slate en passant par l’information à trois voix de Rue 89: les projets éditoriaux pure player à l’étude

2) L’adaptation à la culture Web varie selon les projets éditoriaux

B – Les médias 100% Web pris dans la destruction créatrice

1) Les consommacteurs « digérés » par les éditeurs 100% Web

2) Les journalistes Web: genre assis, debout,  ou polyvalent ?

3) Des projets éditoriaux de plus en plus réflexifs et des relations aux lecteurs plus personnalisées: les lecteurs s’emparent des médias

Conclusion: Le genre conversationnel développé par les pure players réévalue la parole ordinaire sans parvenir à la production d’une information en collectif.

Introduction

La révolution Internet a-t-elle sonné le glas du journalisme papier ? Pire, pourrait-elle entraîner la disparition de la profession des journalistes par sa promotion d’une information sans intermédiaire, du moteur de recherche à l’écran du lecteur ?

Aux premières heures du Web, la majorité de la profession des journalistes a considéré ce nouvel instrument de communication comme concurrent plus qu’outil de rénovation et d’adaptation aux nouvelles pratiques des lecteurs. Amateurs, start-up de communication et sites d’information citoyenne, la concurrence s’élargie dans l’espace numérique à mesure que l’espace médiatique perd en audience au profit de la presse gratuite.

Deux décennies plus tard, alors que le Web devient le premier support d’information mondial et que la presse en ligne s’impose comme un genre journalistique à part entière, le problème reste entier : « l’irruption du Net dans le vénérable empire du journalisme a semé la confusion et l’incertitude, sans que personne ne sache très bien s’il faut se réjouir ou se désoler de la prise de cette Bastille » avance John Carlin dans El Pais[1]. « D’après moi, l’ère du journalisme papier a vécu, et le débat doit être centré non pas sur la survie du journalisme imprimé, mais sur la survie du journalisme tel que nous l’avons vécu » renchérit l’éditorialiste.

A l’heure où John Carlin s’exprime, le journalisme est entré de plain pied dans l’ère numérique, l’ensemble des rédactions ont effectué, avec plus ou moins de réussite, un passage de l’édition manuscrite à l’édition numérique, en essayant tant bien que mal de coller aux attentes des lecteurs sur un support où le journaliste n’a plus le monopole de la prescription de l’information.

[1] L’éditorialiste John Carlin, dans un numéro spécial de l’hebdomadaire Courrier International consacré à l’avenir de la presse intitulé « Mais où va la presse ?», n°972, 18-24 juin 2009

Le Web était l’objet de crainte pour les professionnels, l’espace des possibles pour les amateurs en tout genre, il est désormais l’horizon indépassable d’une profession[2], un nouveau support dont il faut intégrer les codes et les normes de consommation, afin de conserver les normes éthiques qui fondent le socle commun d’un métier aux contours flous : l’exigence de vérification et de véracité de l’information.

Car ce que redoutent par-dessus tout les journalistes, c’est la disparition d’un certain âge d’or du journalisme, celui du grand reportage, du journalisme de terrain, quand la nouvelle génération des « digital natives » consomme l’information comme un moyen de socialisation sur Internet, au risque de déconnecter les journalistes du terrain. Pourquoi Internet apparaît comme le responsable potentiel d’une détérioration qualitative du quatrième pouvoir ? Pour son modèle économique d’abord :

« comment gagner de l’argent ? Comment vivre du journalisme ? »[3] se demande John Carlin, alors que l’ère de l’information gratuite, accessible en réseau et sans restriction pose le problème de la rentabilité des sites de presse en ligne et donc le financement de projets éditoriaux ambitieux. Pour sa réalité virtuelle :

« qu’adviendra-t-il si les enfants d’aujourd’hui se rebellent contre l’onanisme dominant de la jeune génération et aspirent à un contact tactile et visuel avec les individus ? »[4]

[2] A titre comparatif, on recueille 1,5 milliard d’internautes en 2008 et on estime qu’ils seront  2,2 milliards en 2013, dont 43% en Asie et 17% en Chine, selon une étude du cabinet Forrester publiée en juillet 09 : soit 4,5 nouveaux connectés chaque seconde. A l’inverse, le lectorat de la presse écrite est en baisse en France (baisse de 10% depuis 2000), principalement du fait du vieillissement de la cible des lecteurs de presse écrite.

[3] John Carlin, Courrier International, op.cit

[4] John Carlin, Courrier International, op. cit.

 

L’ancienne garde considérant toujours l’espace numérique comme un lieu d’échanges virtuels dont l’absence de tangible finira par lasser. Pour comprendre l’évolution du journalisme à l’ère du numérique, ce qui reste de la profession, ce qui a changé, définissons d’abord ce que nous entendons placer derrière les mots journalisme et Web.

Selon l’article L.761-2 du Code du travail :

« le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presses et qui en tire le principal de ses ressources. »

Cette définition tautologique, fondée sur le seul critère économique de la profession, ne doit pas étonner car le journalisme n’a jamais eu d’identité professionnelle fixe. Précisons d’abord que cette étude se cantonne à l’étude comparative des journalistes issus de la presse papier et des sites Web d’information qui transposent le format presse au numérique, que nous qualifierons de genre de la presse en ligne. Les journalistes donc, rassembleraient « un incroyable méli-mélo de fonctions bien différentes »[5] résume l’auteur du « professionnalisme du flou ». Il est dès lors « impossible d’identifier le journalisme de façon exclusive à une essence qui aurait trouvé son incarnation dans une profession »

résume la spécialiste du discours journalistique Roselyne Ringoot[6]. La cause principale de cette absence d’unité, de l’existence de journalismes plutôt que d’un journalisme, tient à la nature de sa fonction : une « pratique sociale de production discursive » dont le discours n’est pas maîtrisé mais traversé par plusieurs discours sociaux qui interagissent dans un espace public en proie aux rapports de force.

Les journalistes ont donc toujours été liés aux évolutions socioculturelles qui touchent le monde qu’ils se font pour mission de décrypter. Cette vision du journalisme s’inscrit dans une conception décentrée de la profession, étant donné les limites de l’analyse média-centrée soulignées par Philip Schlesinger[7].

L’arrivée d’un nouvel outil de communication, le Web, dans cette conception décentrée, est une innovation technico-culturelle que les médias doivent comprendre, apprendre à maîtriser les outils, au même titre qu’ils ont récupéré les innovations techniques de la radio, la télévision et le minitel auparavant.

[5] Denis Ruellan, Le professionnalisme du flou. Identités et savoir-faire des journalistes français, Presses universitaires de Grenoble, Grenoble, 1993

[6] Roselyne Ringoot et Jean-Michel Utard (direction), Le journalisme en invention, nouvelles pratiques, nouveaux acteurs, Edition Presse Universitaire de Rennes, Rennes, 2006

[7] Philip Schlesinger, « Repenser la sociologie du journalisme. Les stratégies de la source d’information et les limites du média-centrisme », Réseaux, n°51, 1992

Le Web ne se limite pas à son aspect technique ; il véhicule une nouvelle conception de la consommation de l’information et de la culture en rupture avec le modèle classique, et dont les générations « digital-natives » sont les premiers bénéficiaires et promoteurs.

Le World Wide Web, littéralement la « grande toile (d’araignée) mondiale », communément appelé le Web, est un système hypertexte public fonctionnant sur Internet et qui permet de consulter, avec un navigateur, des pages mises en ligne dans des sites.

Comme l’a bien expliqué Franck Rebillard, le nouvel espace qui se profile sur le support numérique créé a provoqué la rencontre entre des dispositifs de communication qui n’évoluaient pas sur le même support auparavant : le Web a entraîné la convergence numérique. On retrouve sur cette nouvelle interface

« littérateurs et pouvoirs publics [qui] élaborent des projets de société assez variés par extrapolation des avancées dans la numérisation ; les industriels en proposent des applications dépendantes de leurs stratégies commerciales respectives ; les utilisateurs ordinaires s’en servent en les ajustant aux besoins multiples de leurs activités quotidiennes »[8].

[8] Franck Rebillard, Le web 2.0 en perspective, une analyse socio-économique de l’Internet, Edition l’Harmattan, Paris, 2008, p.106-107

Si les journalistes sont dans l’incertitude sur l’avenir de leur profession sur l’espace numérique qui tend à remplacer l’espace médiatique traditionnel, c’est d’abord parce que les valeurs définies par les pionniers d’Internet et récupérées par les utilisateurs du Web souhaitent « briser le statut de pouvoir absolu du système médiatique établi »[9]. L’ « éthique hacker » du travail qui a pour axiologie la coopération et l’échange gratuit des informations en faveur d’un accès égalitaire au savoir remet en cause le pouvoir symbolique des journalistes au profit des amateurs.

Si l’on parle de révolution de l’information sur Internet, c’est d’abord pour la massification de son accès, mais aussi pour la facilité croissante de prise en main des outils du Web par les amateurs, à tel point que n’importe qui peut devenir éditeur d’informations sur Internet.

Avec Internet, le mode de circulation de l’information serait passé de la transmission verticale d’un émetteur à une masse de récepteurs à un échange horizontal entre une myriade de producteurs-récepteurs d’information, abolissant la frontière entre producteur et consommateur d’information. Les chiffres d’audience l’illustrent. Le site Web le plus visité est Skyrock[10], lequel édite à l’heure actuelle plus de 26 millions de blogs.

Ainsi des « médias de masse » aux « médias des masses »[11], les journalistes ont dû s’adapter à ce nouvel environnement conflictuel où leur rôle social se voit concurrencé et leur main mise sur la formation de l’opinion publique disparaître.

Reste qu’en s’attardant sur le panorama des blogs, ces outils d’auto-publication qui viendraient bouleverser le cycle de la production de l’information, on constate que bien souvent, les journalistes sont les premiers utilisateurs de cet outil.

Les journalistes n’ont d’ailleurs pas critiqué le phénomène d’appropriation des médias par les amateurs ; d’aucuns l’ont accueilli comme une réponse légitime aux dérives éthiques de la profession et à la culture obsolète de la presse écrite par rapport aux évolutions technologiques parachevées sur Internet (le développement de l’information mobile, la baisse des coûts et l’accessibilité immédiate et internationale de l’information).

Le passage des éditeurs de presse à l’espace numérique permet de constater que les expérimentations des journalistes sur le Web ont substitué à la parole pontifiante des journalistes de presse une relation de complicité avec les lecteurs, que la presse en ligne a exploité le potentiel multimédia de Web pour créer de nouveaux formats d’écritures, a intégré le mode de circulation de l’information propre à Internet, celui des liens d’une site à l’autre né de la blogosphère, pour faire de l’information ouverte, accessible et modelable en permanence.

Cette évolution ne se fait pas de manière linéaire et pose de nouvelles questions identitaires à la profession. C’est sur cette phase d’expérimentation, et à partir du cas concret des médias qui ont décidé de s’investir exclusivement sur le support internet, les médias pure players, que nous allons nous concentrer pour analyser le nouvel horizon des possibles que le Web a libéré pour les travailleurs de l’information.

Nous chercherons à dépassionner la polémique entre les «zélotes ivres de l’utopie numérique»[12] et les «technophobes» frileux par rapport à l’adaptation au numérique. Pour cela, nous chercherons les traces éditoriales et les occurrences dans les discours des acteurs qui soulignent à la fois les innovations techniques du nouveau genre médiatique en formation sur le Web et la permanence des formes journalistiques traditionnelles, du reportage à l’écriture éditoriale.

Ces formats persistent mais sur le Web, ils trouvent des formes hybrides d’expression, mêlant le texte au son et à l’image, recoupant le journalisme d’expertise à l’écriture informelle née du blogging. Le Web, souvent qualifié d’aventure par les éditeurs des médias pure players, a déployé un processus de destruction créatrice des formes d’écriture de l’information et de leurs modes de consommation.

[9] Valérie Jeanne-Perrier, Florence Le Cam et Nicolas Pelissier, « les sites web d’auto-publication : observatoires privilégiés des effervescences et des débordements journalistiques en tout genre », in Roselyne Ringoot et Jean-Michel Utard (direction), Le journalisme en invention, nouvelles pratiques, nouveaux acteurs, Edition PUR, Rennes, 2006

[10] Avec plus de 181 millions de pages vues mensuelles selon les chiffres de juin 2009 de l’OJD, loin devant le premier site médiatique consulté, l’Equipe, avec 62 millions de visites mensuelles par mois.

[11] Joël de Rosnay (avec la collaboration de Carlo Revelli), La Révolte du pronétariat. Des médias de masse aux médias des masses, Fayard, coll. « Transversales », Paris, 2006.

[12] Article du Monde de l’éducation d’avril 1997 cité par Serge Halimi (Monde Diplomatique) « des cybers-résistants trop euphoriques », art. cit.

Ainsi, au cours de notre recherche, nous nous demanderons dans quelle mesure l’évolution technique, culturelle et économique du journalisme Web est le véhicule de nouveaux formats d’écriture et d’une nouvelle relation entre les éditeurs et les « consommacteurs » de l’information ? Quelles sont les occurrences de ces évolutions dans le discours éditorial des sites pure players d’information généraliste Slate, Fluctuat et Rue 89 ? Quelles sont les divergences dans les discours éditoriaux des trois sites qui signalent les stratégies différentes des éditeurs de presse en ligne face aux nouvelles contraintes de la culture Web ? Ces expérimentations éditoriales marquent-elles l’arrivée d’une nouvelle culture de l’information journalistique sur le Web, celle d’un journalisme de lien et de conversation ? Ce nouveau genre journalistique en gestation sur la presse en ligne rompt-il avec les formats d’écriture du journalisme papier ou ne fait-il que prolonger le processus d’évolution permanente de l’information au gré des évolutions techniques et culturelles qui en définissent les contours et en module les contraintes ?

Bibliographie & Annexes

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Les discours éditoriaux des sites pure player d’information à l’heure de la culture Web
Université 🏫: Université de Paris III
Auteur·trice·s 🎓:
Emmanuel Haddad

Emmanuel Haddad
Année de soutenance 📅: Master 2 de Journalisme Culturel - 2008/2009
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