Le contrat de crédit et la responsabilité du banquier

Chapitre II : la responsabilité disciplinaire du banquier
Titre II: la responsabilité pénale et disciplinaire du banquier

Section 2 :

Le contrat de crédit

La responsabilité du banquier distributeur de crédit doit en principe être appréhendée à travers l’analyse de la jurisprudence ayant eu à se prononcer à ce sujet. Cette démarche apparaît la plus adéquate puisque le droit positif en la matière n’a pas suivi l’évolution connue par les techniques de crédit.

Certes, les règles générales du DOC prévues en la matière ne sont pas absolument surannées, mais pour le moins, elles demeurent sommaires.

Cependant, devant l’inexistence d’un véritable système jurisprudentiel, publié et unifié qui aurait pu permettre une analyse concrète et actualisée des obligations spécifiques du banquier distributeur de crédit, force est de recourir pour analyser cette responsabilité, moins à la jurisprudence qu’aux règles du DOC et au contenu pratique des contrats de crédit.

L’importance de cette dernière référence est essentielle en raison de ce que représente la distribution du crédit pour le secteur bancaire. Il s’agit bien, en effet de son n’activité la plus rémunératrice.

Or, bien qu’ il ne soit pas question de minimiser l’utilité qu’en tirent les agents économiques, dans certaines hypothèses l’octroi du crédit peut s’avérer dangereux.

L’étude de double responsabilité du banquier en matière de crédit pour octroi de crédit (paragraphe 1 ) et pour rupture de crédit (paragraphe 2) révèle qu’il s’agit en réalité d’une fausse contradiction : ce qui est parfois reproché au banquier dans la distribution des crédits n’est pas l’octroi proprement dit, qui est la raison même de son activité, mais un défaut de discernement dans l’appréciation de la situation financière du client qui précède la décision d’octroi ou de maintien du crédit; le banquier n’a pas le droit de prendre des risques illégitimes.

Par suite et logiquement il peut toujours refuser un crédit. Et dans sa responsabilité pour refus de crédit, ce n’est pas le refus proprement dit qui peut lui être reproché, ce sont les conditions de dénonciation du crédit.22

Quelles sont les responsabilités encourues par le banquier lors de l’octroi de crédit ?

Paragraphe 1 :

L’octroi abusif de crédit

Pour mériter le qualificatif d’abusif l’octroi de crédit doit remplir certaines conditions : en premier lieu, il doit être inadapté à la situation de l’entreprise bénéficiaire, en second lieu, le caractère inopportun du crédit doit résulter d’une erreur d’appréciation du banquier sur la véritable situation économique et financière de l’entreprise.

En troisième lieu, il doit avoir été consenti à une entreprise dont la situation est irrémédiablement compromise, ce qui implique les conséquences suivantes : prolongement artificiel de l’activité de l’entreprise qui se trouve ainsi dotée d’une fausse apparence de prospérité de nature à tromper les tiers, et l’aggravation de son passif et par voie de conséquence, diminution de ses actifs, gage de ses créanciers.

Les tribunaux français déterminent l’octroi abusif de crédit en tenant compte de trois éléments objectifs et d’un élément subjectif.

Les trois éléments objectifs qui sont liés les uns aux autres, visent à démontrer le caractère inopportun de l’octroi de crédit et son ultime objectif, l’accroissement de l’insuffisance d’actif.

Le premier élément objectif pris en considération d’où sont déduits les deux autres éléments objectifs est la situation de l’entreprise; celle ci doit être irrémédiablement compromise au moment où le crédit a été consenti.

Le financement d’une entreprise en situation désespérée pose bien entendu la question du comportement fautif du banquier.

Deux conditions doivent être réunies :

  1. crédit à une entreprise dont la situation est sans issue : le banquier masque la réalité économique et permet ainsi que s’accroissent les pertes d’exploitation. Il commet une faute car il manque à son devoir de discernement que la doctrine a dégagé au travers de multiples applications jurisprudentielles. Peu importe que le banquier se soit trompé dans ses appréciations, qu’il ait été simplement impudent, qu’il se soit laissé tenter par la fuite en avant.
  2. Négligence, imprudence, ou « myopie » de la banque : par contre, il n’apparaît pas de faute pour favoriser un redressement présentant des chances raisonnables de succès, au moment de l’octroi ou au moment du maintien des crédits.23

Pour établir cette situation, le tribunal saisi procède à une véritable analyse financière et économique de l’entreprise et constate l’existence de cette situation lorsque l’entreprise est dans l’incapacité totale de faire face au passif exigible à l’aide de l’actif disponible.

Le deuxième élément objectif pris en considération est l’incapacité de l’entreprise de rembourser le crédit consenti par ses propres forces d’exploitation.

Ayant constaté que la situation de l’entreprise était gravement obérée et vouée inéluctablement à la liquidation, le tribunal constate aisément qu’elle se trouve dans l’impossibilité de rembourser le crédit par ses propres forces d’exploitation, à moins de s’endetter à nouveau.

Ainsi, l’utilité de la constation de ce second élément objectif a pour objet non seulement de mettre en relief le caractère inopportun, voire insensé de l’octroi du crédit, mais également de démontrer la carence et l’imprudence du banquier.

Le troisième élément objectif pris en considération est la conséquence naturelle des précédents, il s’agit de l’accroissement de l’insuffisance d’actif engendrée par l’octroi de nouveaux crédits.L’exigence de ce troisième élément objectif vise à démonter que le but ultime atteint par l’octroi de ce crédit inopportun consiste dans l’aggravation du passif de l’entreprise qui se traduit par un accroissement de l’insuffisance d’actif disponible.

L’élément subjectif pris en considération par le tribunal pour déterminer l’octroi abusif du crédit consiste dans la connaissance par le banquier des trois éléments objectifs au moment où il a consenti le crédit.

L’utilité de la constatation de cet élément subjectif par le tribunal vise à démonter le caractère abusif du crédit puisqu’il a été consenti en connaissance de causse par le banquier.

La mise en jeu de cette responsabilité exige l’existence d’une faute qui a causé un préjudice à autrui et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice. La faute du banquier consiste en un manquement aux devoirs qui incombent au banquier dans la distribution du crédit.

La doctrine distingue deux sortes de devoirs : devoir de s’informer sur la solvabilité du débiteur et devoir de surveillance et de discernement, il n’est pas nécessaire qu’il y ait collusion frauduleuse du banquier, il suffit qu’il y ait faute et celle-ci sera valablement constituée si lors de l’octroi du crédit, le banquier a manqué de discernement ou de prudence et le crédit consenti est inopportun eu égard aux fonds propres de l’entreprise et à ses perspectives de développement.

Le préjudice consistera en une altération négative de la consistance du patrimoine du débiteur due à l’aggravation du passif provoquée par l’octroi abusif du crédit.

Qu’en est il de la rupture abusive de crédit ?

Le contrat de crédit et la responsabilité du banquier

Paragraphe 2 :

La rupture abusive de crédit

L’article 63 de la loi 1-93-147 du 6 juillet 1993 relative à l’exercice des établissements de crédits et leur contrôle a introduit dans notre droit de nouvelles dispositions qui visent à régir la rupture de crédit.

Le texte de loi est ainsi conçu : « tout concours sans échéance fixe consenti par un établissement de crédit, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l’expiration d’un délai de préavis fixé lors de l’octroi du concours.

Toutefois, l’établissement de crédit n’est tenu de respecter aucun délai de préavis que l’ouverture de crédit soit à durée déterminée ou indéterminée.

Lorsque la situation du bénéficiaire est irrémédiablement compromise, notamment, à la suite de l’accumulation de créances impayées, de la détérioration sensible de la situation financière ou de la cessation d’activité prolongée sans perspective de reprise dans un délai raisonnable ou lorsque le bénéficiaire a commis une faute grave à l’égard de l’établissement de crédit intéressé.

Le non respect de ces dispositions peut engager la responsabilité pécuniaire de l’établissement de crédit »

La lecture attentive de cet article nous amène à constater qu’il puise directement son inspiration dans l’article 60 alinéas 1 de la loi française du 24 janvier 1984.

En effet, à l’instar de l’article 60, alinéa 1 de la loi française, le texte marocain prévoit deux conditions à la rupture de crédit à durée indéterminée : le respect d’un délai de préavis fixé lors de l’octroi du crédit, et la notification écrite de la rupture à l’expiration du délai de préavis.

Les deux textes prévoient également les mêmes causes qui exonèrent le banquier du respect du délai de préavis et ce que le crédit consenti soit à durée déterminée ou indéterminée : la situation irrémédiablement comprise de l’entreprise bénéficiaire du crédit, et la faute grave du bénéficiaire du crédit, ce que la loi française qualifie de comportement gravement répréhensible.

Enfin, les deux textes stipulent que si les conditions exigées ne sont pas remplies, la rupture du crédit serait abusive et engagerait la responsabilité pécuniaire de l’établissement de crédit.

Ainsi, comme nous le constatons, un contrat à durée indéterminée d’ouverture de crédit peut être rompu par la volonté unilatérale de l’une des parties mais il faut néanmoins, respecter les formes que doit prendre cette rupture et le moment où elle doit intervenir, à savoir qu’elle ne peut intervenir que sur notification écrite et à l’expiration d’un délai de préavis fixé lors de l’octroi du concours.

En réagissant les modalités de la rupture de crédit, les deux textes de loi ont voulu créer un équilibre entre l’intérêt du sort des entreprises en difficulté et la préoccupation légitime des banques de la bonne fin de leurs crédits.

Qu’en est-il de la rupture d’un contrat d’ouverture de crédit à durée déterminée ?

En principe, lorsqu’il s’agit d’un contrat d’ouverture de crédit à durée déterminée, le banquier est tenu de respecter son engagement jusqu’au terme prévu dans le contrat; en effet, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont conclues et une rupture unilatérale de la part du bnquier serait abusive et engagerait sa responsabilité.

Malgré l’existence de l’une des causes exonératrice du respect du délai de préavis, le banquier reste tenu de l’obligation de la notification de la rupture.

Plusieurs arrêts de la jurisprudence française confirment l’importance de cette obligation.

Dans un arrêt du 19 février 1988, la cour a estimé que si le banquier était dispensé de respecter un délai de préavis par application de l’article 60 de la loi du 24 janvier 1984, car la situation de l’entreprise était irrémédiablement compromise, il n’en restait pas moins tenu de notifier par écrit à son client, l’interruption de son concours, car si la résiliation sans préavis est une faculté pour la banque, le client, est toujours en droit de se demander si la banque exerce ou non cette faculté.

Dans un autre arrêt du 19-2-1991, après jugement de mise en observation, la chambre commerciale de la cour a précisé que le banquier qui est habilité dans les termes de l’alinéa 2 de l’article 60 à réaliser unilatéralement le crédit pour l’une des causes indiquées à l’alinéa 1 de l’article 60 doit néanmoins respecter l’obligation de notifier sous forme écrite, la résiliation du crédit, les ruptures unilatérales ne prouvent être même en période de l’observation sauvages.

La responsabilité contractuelle du banquier à l’égard de ses clients peut être engagé pour l’inexécution ou révocation injustifiée d’une ouverture de crédit.

Pour que cette responsabilité puisse être engagée, trois conditions doivent être réunies à savoir qu’ :

  1. Il faut en premier lieu que le client ait subi un préjudice du fait de la rupture de crédit.
  2. Il faut en second lieu, que la rupture de crédit ait un caractère abusif, ce qui implique la faute du banquier.
  3. Il faut en troisième lieu, qu’il y ait un lien de causalité entre la faute du banquier et le préjudice subi par le client.

Le tribunal saisi appréciera les éléments de preuves et décidera s’il y a rupture abusive de crédit ou non.En pratique, la rupture de crédit serait abusive et la faute du banquier serait évidente:

  • En cas de contrat de crédit à durée déterminé, s’il ne respecte pas le terme convenu et rompt le crédit alors que le comportement de l’entreprise est irréprochable et sa situation in bonis.
  • En cas de contrat à durée indéterminée, s’il met fin au crédit consenti sans respecter le délai de préavis prévu et sans notifier la décision de rupture à l’intéressée étant bien entendu, que l’entreprise concernée est in bonis et que le comportement du bénéficiaire est au delà de toute critique.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Responsabilité du banquier
Université 🏫: Université Moulay Ismail - Faculté des sciences Juridiques - Economiques Et Sociales
Auteur·trice·s 🎓:
F.F. Fatima Zohra

F.F. Fatima Zohra
Année de soutenance 📅: Départements : Sciences juridiques - Option : droit privé - 2003-2013
Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top